Chansons de la terre et du ciel
par
Franz FUNCK-BRENTANO
Dans la fraîcheur du verger, les pommiers en fleurs percent de leurs touffes roses les grises vapeurs d’une matinée de printemps ; la brume se pénètre d’aurore ; le soleil, à l’horizon, semble un grand abricot lumineux.
Du verger en fleur monte une voix claire et pure, transparente comme le cristal de la fontaine, une voix limpide comme la source qui coule en murmurant sur la mousse des bois :
Au mois de Mai
Le beau temps gai,
Que la saison est belle !
Tôt me levai
Jouer allai
Lès une Fontenelle.
En un verger
Clos d’églantier
J’ois une vielle,
Là, vis danser
Un chevalier
Et une demoiselle.
Une jeune fille courait dans l’herbe que blanchissait encore la rosée de la nuit. Les cheveux dénoués, des cheveux noirs comme l’ébène, tombaient en ondulant sur les plis droits d’une tunique blanche ; une écharpe violette, fine et claire, couleur de jacinthe sauvage, était jetée sur ses épaules ; par moments, les mouvements de l’enfant vive et gracieuse la faisaient glisser sur ses bras. Elle courait dans l’herbe pieds nus, et comme elle relevait de la main gauche le bas de sa robe blanche, on suivait le mouvement de ses pieds plus blancs encore, blancs comme la neige, si blancs que les pétales des narcisses dont elle courbait la tige de son pas rapide, en se repliant sous son pied menu, y perdaient par comparaison l’éclat de leur blancheur. On eût dit la fée virginale des jardins heureux, avec ses longs cheveux fins, annelés, ses yeux bleus et riants, son visage clair, au pur ovale, et ses lèvres plus vermeilles que cerise ou rose rouge d’été ; et sa taille était si fine que deux mains l’eussent enclose. Elle cueillait les fleurs des prés, les violettes au cœur fermé, les ombelles gracieuses, les jonquilles pointues, les mauves anémones, les jacinthes bleues et les boutons d’or ; elle s’arrêtait par moments pour les tresser en couronnes tout en poursuivant sa chanson :
Sur son front blanc
Un blanc ruban
Fixait une aubépine,
Et de ses yeux
Si grands, si bleus,
Elle riait, mutine.
De gais pinsons
Mêlaient les sons
De leur chant qui brocarde
Sous les taillis
Au gazouillis
De la source bavarde.
Emmi le verger se dressait la margelle en pierre bise d’un puits profond, au-dessous de laquelle se tordait en rinceaux le bâti de fer forgé, où le ferronnier avait ouvré un décor de feuilles de chêne et de branches de houx en sombre métal. La poulie rouillée y tournait en grinçant quand la corde y glissait en faisant monter ou descendre le seau d’étain. Et sur le sommet une figurine de chevalier en armure de plates dorées brillait à la lumière du jour.
La jeune fille s’approcha du puits, en sa longue robe blanche aux plis flottants où se détachait l’écharpe couleur de jacinthe sauvage. Elle avait posé sur sa tête la couronne de fleurs qu’elle avait nouée d’un ruban détaché de ses cheveux, et se mirait dans l’eau pure du puits, dans l’eau immobile, d’un noir profond, mais qui s’éclaira au visage de l’enfant, comme un miroir brillant. Et sa chanson se terminait :
Des jeux, des ris,
Des prés fleuris,
Et des nids de verdure,
Où palpitait
L’amour, c’était
L’éveil de la nature.
Galeran, fils de Bongars, comte de Valence, était à l’une des fenêtres du château. Il y avait été attiré par le charme de cette voix si claire, et voici qu’il ne pouvait plus détacher ses yeux de cette apparition exquise en sa robe blanche souple, aux larges plis ; l’écharpe couleur de jacinthe s’emplissait par moments du souffle de la brise et se soulevait légèrement des épaules ; quelques fleurs de la couronne que la jeune fille avait posée sur sa tête, glissaient jusque sur ses sourcils, prêtes à se détacher ; elle allait, insouciante et légère, dans l’herbe drue dont les rayons du soleil faisaient scintiller, en les effleurant, les gouttes de rosée matinale.
Et Galeran eut tôt fait de s’habiller, de passer ses braies de cuir cordouan, ses chausses de laine grise, ses souliers boutonnés ; il jeta sur ses épaules le bliaud de ciclaton noir roué d’écarlate et le surcot de brunette bordé de vair. Il avala les degrés de pierre, poussa le portillon qui donnait accès au verger ; son cœur battait au moment où il arriva sous les cerisiers parés de blanc et de rose ; mais déjà le verger était vide et l’apparition si douce à ses yeux, telles les fées diaphanes des légendes enfantines qui courent sur l’herbe sans la fouler, avait disparu.
Tout le long du jour, Galeran chercha la jeune fille qui lui était apparue le matin, dans la brume argentine du verger. Le donjon de Crussol qui dominait, du haut de son roc abrupt, la ville de Valence, sur les bords du Rhône aux flots tumultueux, était peuplé comme une ville : la famille du comte de Valence, sa femme, ses enfants, sa riche parenté, une mesnie nombreuse, joyeuse, où jeunes femmes et jeunes filles mettaient leur charmant éclat ; puis les hommes d’armes attachés à la défense du château, la domesticité active, affairée, où prenaient rang les fils et les filles des nobles hommes de la région, vassaux du puissant seigneur ; enfin les artisans et leur famille dont les échoppes basses et pittoresques s’accrochaient aux flancs du château de pierre, laborieux, bourdonnants, sous la protection de l’épée féodale.
Le cœur empli d’un émoi qu’il n’avait pas encore connu, Galeran parcourait les cours, les couloirs innombrables, montait et redescendait les escaliers étroits ; il lui arrivait de s’arrêter au pas des portes de chêne brut, que retenaient de lourdes pentures en fer noir ; mais sa recherche fut vaine. La nuit, il ne dormit pas : il attendait avec impatience le retour du jour. Peut-être, aux feux dorés de l’aurore, la légère enfant, à l’écharpe couleur de jacinthe sauvage, aux longs cheveux annelés, couronnée de fleurs des prés, reparaîtrait-elle comme la veille, dans la rosée du matin. Mais l’aurore se voila d’une grise pluie d’avril, une pluie morne et toute droite, qui semblait tendre la nature de longs fils d’araignée.
Et il en fut de même les jours qui suivirent. Par un sentiment de crainte qu’il ne s’expliquait pas, Galeran n’osait pas questionner les familiers du château ; enfin, assis auprès de sa mère dans la grande salle, au haut de la table seigneuriale, il prit une grande résolution et interrogea sa mère sur la jeune fille à la voix de cristal, entrevue dans la matinée du jardin en fleur. La comtesse de Valence hésita un instant ; elle fronça ses bruns sourcils ; mais ce ne fut qu’un rapide éclair et, reprenant un calme impassible, elle répondit qu’elle ne savait pas de qui son fils voulait parler.
*
* *
Les semaines ont passé, et Galeran, bien que levé tous les matins avant l’aurore, accoudé à la profonde embrasure de la fenêtre du château, n’a plus aperçu la pucelle à l’écharpe couleur de jacinthe parmi les fleurs de la prairie. Une mélancolie qu’il ne connaissait pas l’envahissait et bientôt l’absorbait entièrement, au point qu’il n’avait plus de plaisir à courir la quintaine, dans la cour du vieux donjon, au bas du degré de pierre ; il ne chassait plus avec la même ardeur les loups et les sangliers dans la forêt profonde qui avoisinait Crussol ; quand un jour, en revenant de l’appartement de sa mère, au moment où il passait par le couloir où donnait la chambre des pucelles, il entendit la voix, la pure voix de cristal qui, depuis de longs jours, ne cessait de retentir au fond de son cour. Elle chantait une de ses chansons de toile, ainsi nommées parce que dames et pucelles les chantaient en cousant et parce que ces chansons mettaient toujours en scène femme ou fille occupée à coudre. Galeran s’arrêta ; son cœur battait à se rompre ; un moment il crut que la respiration allait lui manquer. La porte de la chambre était entr’ouverte, aussi les divers couplets venaient-ils distinctement jusqu’à lui :
Belle Yoland’ en chambre coie (silencieuse)
Sur ses genoux pailes (étoffes) déploie
Coût un fil d’or, l’autre de soie.
Sa male (sévère) mère la chastoie (gronde)
Chastoi vous en
Belle Yoland’ !
« Belle Yoland’ », je vous chastoie,
Ma fille estes, feire le dois.
– Ma dame mère, eh ! donc, de quoi ?
– Je vous le dirai, par ma foi !
Chastoi vous en
Belle Yoland’ !
– Mère de quoi me chastoiez ?
Est-ce de coudre ou de tailler,
Ou de filer ou de brosser,
Ou si c’est de trop sommeiller :
Chastoi vous en
Belle Yoland’ !
– Ni de coudre ni de tailler,
Ni de filer ni de brosser,
Ni ce n’est de trop sommeiller ;...
Mais trop parlez au chevalier !
Chastoi vous en
Belle Yoland’ !
La voix était d’une douceur apaisante, d’un rythme très uni, et, par moment, elle s’arrêtait. Galeran devinait alors que la jeune fille s’absorbait un instant sur un point de couture plus difficile, ou peut-être interrompait-elle la chanson pour couper, de ses menues dents blanches, le fil blanc que tirait son aiguille ; puis la chanson reprenait en son exquise tranquillité.
« Charmante coutume, se disait Galeran, de chanter ainsi les rêves et l’incessant souci des jeunes femmes et des jeunes filles tout en cousant ; en conduisant le fil de ce mouvement monotone et délicieux dont s’accompagne l’une de leurs plus jolies et de leurs plus utiles occupations. »
Lentement il avait poussé la porte restée entrebâillée. Assise par terre sur des bottes de paille recouvertes d’étoffe de soie, les jeunes filles, les gracieuses familières de la comtesse de Valence, brodaient des parements d’Église, chasubles et aubes parées, des aumônières pour la châtelaine, et pour les hommes d’armes des lacets de heaume et des baudriers. Au milieu d’elles, la pucelle entrevue un matin sous la neige rose des pommiers chantait de sa voix de sirène. Et ses compagnes reprenaient le refrain :
Chastoi vous en
Belle Yoland’ !
Le corps de la jeune fille se devinait grêle et souple sous la cotte de soie mi-partie vert pâle et vermeille, bandée d’or ; une cotte sans manches, en sorte que c’était la blanche chemise ridée qui habillait les bras ; une ceinture d’orfroi, dont les pendants retombaient par devant, lui nouait la taille ; et ses cheveux, ses noirs cheveux qui ondulaient, étaient, comme au matin où pour la première fois Galeran l’avait aperçue cueillant des fleurs dans le verger, enroulés sur ses épaules. À la vue du fils de leur seigneur, toutes les jeunes filles se lèvent, elles le saluent d’une révérence profonde, à laquelle Galeran répond à peine, tant il est troublé. Il murmure d’une voix embarrassée :
– Excusez-moi, c’est la chanson...
– Ah ! nos chansons de toile ! dit l’une des jeunes filles, Liénor, cousine du jeune comte de Valence, fille de la sœur de sa mère.
– Mais asseyez-vous, mon doux seigneur, nous vous en chanterons une autre.
Les joues du jeune homme s’empourprèrent de satisfaction.
– Oui, dit-il, vous me ferez grand plaisir ; mais vous n’interromprez pas votre ouvrage.
– Ce ne serait plus une chanson de toile, répliqua sa cousine, en riant très franchement, si nous ne la chantions en tirant l’aiguille.
Gracieuses, elles se sont toutes assises sur les bottes de paille recouvertes de soies brillantes. Leurs jupes se chiffonnent en se tassant sur le sol et, sous la blanche lumière qui tombe de la profonde embrasure de la fenêtre, elles semblent former un parterre de fleurs soyeuses, larges pivoines et roses de France aux couleurs variées.
– Voyons, chantez, Amile, c’est vous qui chantez le mieux, dit Liénor à la jeune fille, dont la chanson avait attiré le fils du comte de Valence.
Et, sans se faire prier, la pucelle du verger, après avoir, d’un mouvement jeune, secoué sa mouvante chevelure, commença une autre chanson, tandis que ses compagnes, groupées autour d’elle, attentives à leur ouvrage, brodaient ou cousaient diligemment. Le jeune chevalier s’était assis sur l’un des bancs de pierre qui, dans l’épaisseur du mur profond, avait été taillé sous la clarté de la fenêtre :
La châtelaine aux fenêtres se tient,
Chante en cousant, mais au cœur ne l’entend,
De son ami Doon lui ressouvient,
En autre terre est allé tournoyant
Et or en est deuil !
Un écuyer aux degrés de la salle
Est descendu, a détroussé sa malle.
La châtelaine les degrés en avale
Ne pense pas oïr nouvelle male (une mauvaise nouvelle)
Et or en est deuil !
La châtelaine prit à lui demander :
« Où est messire, que je dois tant aimer ?
– En mon Dieu, Dame, ne vous le puis celer,
Mort est messire, occis fut au joûter
Et or en est deuil !
La châtelaine a pris son deuil à faire
Quelle douleur, comte franc, débonnaire !
Pour votre amour je vêtirai la haire,
Plus sur mon corps n’aurai pelice vaire (fourrée)
Et or en est deuil !
Pour vous deviendrai nonne au moutier de Luxeuil 1.
La chanson terminée, Galeran se leva. Il s’approcha de la jeune fille : sa voix tremblait d’émotion.
– Comme votre chant est triste, lui dit-il.
– Il n’est pas de chanson joyeuse pour une captive.
– Une captive !...
Il n’osa questionner davantage et poursuivit :
– Au matin, le mois dernier, dans le verger, vous chantiez plus gaiement...
– Vous m’avez donc entendue ?
– Et depuis lors, je vous entends toujours.
*
* *
Galeran et Amile sont assis face à face, sur les bancs de pierre qui se font vis-à-vis dans la profondeur de la fenêtre. Ils ont laissé entr’ouverte la porte de la salle, afin d’entendre les pas qui graviraient l’escalier en colimaçon par lequel les étages de la tour sont reliés l’un à l’autre. Les jeunes gens craignent d’être surpris. À la moindre alerte, Galeran gagnerait l’étage supérieur de la tour, la chambre en calotte, recouverte d’une toiture de plomb fondu, où sont rangées les guisarmes et les arbalètes à crocs destinées, en cas d’alarme, aux défenseurs de la place.
À voix basse, Amile lui raconte son histoire. Elle est fille de l’émir de Kairouan. Les chevaliers francs ont tué son père ; elle s’est enfuie quand elle a vu la ville en flammes. Des Bédouins se sont emparés d’elle et l’ont vendue à des marchands juifs. De leurs mains, elle est passée au pouvoir du comte de Valence, étonné de l’art dont elle savait teindre la soie. Le comte de Valence voulait la convertir à la religion du Christ et la faire baptiser, mais elle s’y est toujours refusée. Elle veut demeurer fidèle aux croyances de son père. Au reste, dans sa religion à elle, tout est gai, brillant, éclatant, joyeux, tandis que la religion du comte de Valence est sombre et cruelle : un Dieu mort sur une croix, supplicié comme un malfaiteur. Le paradis, tel qu’on le lui représente, doit être un lieu où l’on s’ennuie beaucoup ; sans parler de l’enfer qui ne lui plaît pas du tout. Tandis que l’Éden de Mahomet est embaumé et fleuri. Les sources vives y coulent parmi les verts gazons et des femmes toujours jeunes s’y promènent en chantant, entourées d’hommes qui les aiment d’un amour toujours nouveau. Galeran interrompit :
– Comme vous chantiez, dans la verte prairie, certain jour au matin ; et comme je vous aime, Amile, douce amie chère ! plus belle que l’aurore au front radieux.
Peu après, Galeran avouait son amour à sa mère, il l’avouait à son père, le rude comte de Valence. Ses parents feront tout ce qu’ils pourront pour effacer cette passion de son cœur. Ils l’enverront tournoyer dans les contrées lointaines aux cours des comtes de Bourgogne et de Flandre, jusqu’à la cour du comte de Bretagne et à celle du roi d’Angleterre. Ils l’enverront commander, aux marches de Lorraine, un château que le comte de Valence y possédait.
– Tu ne peux épouser une captive, lui disait son père.
– Elle est fille de l’Émir de Kairouan, de plus noble race que vous et moi.
– Tu ne peux épouser une païenne, lui disait sa mère.
Et Galeran se signant :
– C’est vrai, mère, mais elle se convertira.
*
* *
Amile s’est montrée sensible à l’amour de Galeran. Son teint a repris de vives couleurs ; du vermillon s’est posé en caresse sur ses pommettes d’un blanc mat et la gaieté a reparu sur son visage.
– Veux-tu devenir ma femme ? lui disait Galeran.
– Ce serait la beauté de ma vie, mais tu ne peux pas épouser une musulmane, et à ta religion je n’arriverai jamais.
– Mais pourquoi ne veux-tu pas devenir chrétienne ?
– Je te l’ai dit : ta religion est sombre et triste, elle me fait peur ; je ne la comprends pas. Ma religion à moi est pleine de parfum, de musique et de fleurs.
*
* *
Au milieu de la nuit, cornets et buccines ont retenti entre les hautes murailles du donjon de Crussol, où se répètent en échos éclatants leurs brillantes fanfares. Il en est beaucoup qui ne se sont pas couchés cette nuit-là ; les autres s’éveillent, s’habillent avec joie. Dans la chapelle tendue d’étoffes aux vives couleurs, de draperies écarlates, de longues bandes de satin vert et bleu, de tapisseries aux arabesques brillantes, brûlent mille flambeaux. Les hauts ménestrels font retentir leurs instruments de cuivre et les joueurs de vielle et de luth les accompagnent de leurs accords mélodieux. Aux sons des nacaires et des flûtes se mêle le murmure du psaltérion, et des voix d’une pureté céleste chantent sous les voûtes lumineuses la gloire de l’enfant divin.
Bien qu’elle ne soit pas chrétienne, Amile est venue dans la chapelle avec ses compagnes, debout, appuyée contre l’un des piliers de la nef, elle suit la cérémonie, mystérieuse pour elle, mais dont le charme – si touchant à cette heure de la nuit où l’imagination ouvre ses ailes vers le pays du rêve – exerce sur elle un irrésistible attrait. Et voici qu’elle entrevoit la beauté charmante de cette religion, que les raisonnements des moines à qui on l’avait confiée lui avaient présentée sous un jour trop austère ; elle en démêle la vérité émouvante, non sous les paroles graves des docteurs, mais sous cette émotion surnaturelle qui s’empare d’elle et la pénètre, et elle suit avec attention les paroles des hymnes qui viennent du chœur :
Entre le bœuf et l’âne gris
Dort le petit fils,
Mille anges divins,
Mille séraphins,
Volent alentour
De ce Dieu d’amour.
Entre les deux bras de Marie
Dort l’enfant chéri,
Mille anges divins,
Mille séraphins,
Volent alentour
De ce Dieu d’amour.
Et, le lendemain, Galeran contait à Amile le charme des saints mystères ; la naissance de l’enfant de Bethléem, le vol des anges dans la nuit, le voyage de l’étoile, l’adoration des bergers ; puis la vie de prédication bienfaisante et de douceur du Dieu qui s’est fait homme pour mettre la parole divine plus près de notre cœur. Sa main diaphane a semé avec humilité, parmi les souffrances et les misères du monde, des grains qui se sont levés en fécondes moissons. Le sang du calvaire s’est transformé en larmes d’amour.
Les jeunes gens marchaient l’un près de l’autre dans la prairie où, pour la première fois, Galeran avait entendu la chanson d’Amile. Ils s’étaient assis sur la margelle du puits que surmontaient des fleurs en fer forgé. Leurs doigts s’étaient enlacés. Une autre musique emplissait le cœur de la jeune fille, par la voix de son bien-aimé.
Les chants de la nuit de Noël, qui avaient retenti dans la chapelle aux mille lumières ardentes pleine d’encens au parfum de son pays, bourdonnaient encore dans son âme où la douceur de l’amour mêlait sa tendresse. C’est ainsi qu’Amile, fille de l’Émir de Kairouan, devint chrétienne et épousa le comte Galeran de Crussol.
Franz FUNCK-BRENTANO,
Récits pour le temps de Noël, 1934.