Les derniers jours de Marie-Antoinette

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Frantz FUNCK-BRENTANO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

DÉPART DE TRIANON

(5-6 octobre 1789)

 

 

La Bastille représentait dans l’imagination populaire l’autorité du roi. Le 14 juillet 1789 la Bastille est prise, révolte victorieuse contre l’autorité. Une ère nouvelle s’ouvrait pour la France.

Louis XVI n’a personne auprès de lui capable de tenir tête à la révolution. Mirabeau disait :

– Il n’y a qu’un homme auprès du roi, c’est la reine.

Contre elle les efforts vont se concentrer.

En des pages délicieuses, Pierre de Nolhac montre Marie-Antoinette errant, l’après-midi du 5 octobre 1789, dans les jardins de son cher Trianon, avec un seul valet pour l’accompagner. Les arbres du Hameau se colorent des teintes d’automne : un or fauve jaunit les feuilles, la vigne vierge s’empourpre des tons les plus chauds. Le roi chasse à Meudon et la reine a désiré jouir seule de cette douce mélancolie d’une belle saison qui s’éteint.

De ses mains royales, Marie-Antoinette a voulu traire Roussotte, sa vache préférée, arroser les plantes solitaires en leurs grands vases blancs. Puis elle est arrivée à la grotte où la mousse verte étend son tapis. Sa pensée est calme mais glisse à la tristesse, une vague tristesse qui lui enrobe le cœur. Elle y est appelée par le souvenir du fils que la reine a perdu, le premier Dauphin, mort quelques mois auparavant. Combien de fois, en ces lieux dont la beauté champêtre répondait à ses goûts enfantins, ne l’a-t-elle pas conduit par la main, l’enfant dont la mort fut la première de ses grandes douleurs. Et voici la suite des pensées qui l’affligent : l’Affaire du collier dont les éclats ont porté atteinte à l’affection que le peuple lui témoignait et, récemment, les États Généraux où des voix hostiles se sont élevées contre elle, suivis des journées d’émeute. Le roi est faible, hésitant, les ministres sans consistance ; dans les clubs pérorent des énergumènes ; des pamphlets orduriers, où son nom est traîné dans la boue, sont placés par des mains familières jusque sur le marbre de sa toilette. La monarchie semble vaciller sur ses bases séculaires. Si le trône était culbuté, son fils, le fils qui lui reste, quel serait son sort ?

Par l’ouverture de la grotte, la reine aperçoit l’un de ses pages qui accourt l’air agité, un billet à la main. Il la cherche, de droite, de gauche, le regard effaré. La reine s’avance à sa rencontre, prend le billet. Il est du ministre de la Maison du roi, M. de Saint-Priest. La reine lit, sa main tremble. Un peuple en armes, débraillé, hurlant, marche sur Versailles, mêlé à des gardes-françaises. L’acier des piques brille sur la route de Paris. Les grilles du château pourront-elles résister à une poussée violente ? La reine se hâte, elle voudrait courir, mais ses jambes fléchissent. Elle s’arrête, se retourne un instant : le « hameau » de Trianon, son cher hameau, sous ses toits de chaume, a pris un air de tristesse. Il semble que le départ de celle qui l’a tant aimé vienne de lui être un signal de se fermer sur les beaux jours.

Le hameau des beaux jours, la reine le reverra-t-elle jamais ? Sous un lourd ciel d’automne où se sont amoncelés de gros nuages gris, Marie-Antoinette regagne en hâte le palais en rumeur.

 

*

*    *

 

Le peuple de Paris se plaignait de la disette.

– Du pain ! du pain !

Les agitateurs populaires en profitaient. La disette, accusaient-ils, était l’œuvre de la reine ou, tout au moins, de ses indignes favoris.

Le peuple de Paris marche sur Versailles d’où il entend ramener le roi, la reine et le dauphin, « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ».

Nous disons « le peuple », on dirait mieux « la populace ». Des femmes débraillées vont en tête ; mais d’autres sont jeunes, quelques-unes jolies, vêtues de blanc, coiffées, poudrées.

Le temps est affreux ; il s’est mis à pleuvoir. Il tombe des hallebardes. La pluie fait sur la route des mares de boue dans lesquelles patauge le long cortège.

Les femmes hurlent, gesticulent, les cheveux collés par l’eau qui ruisselle.

« Comme nous voilà arrangées, mais la vache nous le paiera ! »

« La Vache », c’est la reine.

D’autres dansent et rient les poings sur les hanches ; le mauvais temps n’altère point leur bonne humeur.

D’aucunes sont mêlées à des groupes de gardes-françaises. Quelques harengères tirent à la bricole un canon dont les roues sont peintes en rouge ; tandis que des lavandières chevauchent de gros percherons blancs attelés à un train d’artillerie. Nombre de ces femmes brandissent, qui un sabre, qui une pique, qui une hache, une fourche, ou vulgairement une faux à faucher dans les champs ; il en est qui sont armées d’une pelle ou de lardoires qu’elles ont fixées au bout d’un bâton.

Des hommes marchent en élevant au-dessus des têtes, cloués à des perches, des écriteaux où se lit : À Versailles ! Vive la liberté nationale !

La horde semble conduite par un homme tout en noir qui marche en tête, sabre au clair : un certain Maillard, petit clerc d’huissier et « vainqueur de la Bastille », c’est-à-dire faisant partie du corps des héros qui s’est constitué, après le 14 juillet, par la réunion des triomphateurs.

L’ensemble du cortège est estimé à sept ou huit mille hommes et femmes.

Il traverse Chaillot, arrive à Sèvres, toujours précédé de l’homme en noir et d’une dizaine de tambours qui roulent militairement. Passe un garde à cheval :

– Tu vas à Versailles ? Annonce à la reine qu’on arrive pour lui couper le cou !

Au passage de cette trombe hurlante les magasins se ferment ; mais les devantures des marchands de vin sont trop frêles pour résister à l’enthousiasme de ces dames. Les volets en volent en éclats, les caves s’encombrent de joyeuses commères ; les tonneaux sont mis à sec.

On approche de Versailles dans le crépuscule.

La pluie redouble. Lavandières, poissardes, demoiselles du bel air, sont trempées, crottées, harassées, une braillée interrompue leur a éraillé la voix ; quelques-unes titubent.

Voici que l’émeute gronde autour du château. La foule crie :

– Du pain ! du pain !

Du pain, certes, du sang aussi.

Les boutiques de la ville sont closes ; de rares réverbères répandent dans les rues une clarté incertaine.

L’Assemblée nationale a été envahie par des gardes-françaises et des filles de joie qui se mêlent familièrement aux députés. Une femme a pris possession de la tribune présidentielle qu’elle occupe d’ailleurs avec autorité, donnant la parole à tort et à travers.

La Cour pouvait compter sur le dévouement des gardes du corps, mais ceux-ci viennent de recevoir l’ordre de partir pour Rambouillet. On a craint que la vue des gardes du roi ne surexcitât la populace. L’un ou l’autre garde s’est-il attardé dans les rues de la ville ou les cours du château, il est roué de coups. Deux d’entre eux sont égorgés. On leur tranche la tête. Oh ! la contagion de la cruauté dans les foules en délire ; l’un excitant l’autre, l’un voulant, par faiblesse de cœur, renchérir sur le voisin en excès de méchanceté.

À l’Assemblée, la dame Landelle n’occupe plus le fauteuil présidentiel. Mirabeau, de sa voix tonnante, demande l’inviolabilité pour le roi, pour le roi seul. Il savait l’impopularité déchaînée contre la reine. Flagornerie à la populace, dont le grand orateur se repentira.

On a insisté auprès de Marie-Antoinette, directement menacée, pour qu’un prompt départ la mit à l’abri du danger

– Il y a danger ? Ma place est auprès du roi.

À l’Assemblée nationale la séance est levée, sur les trois heures du matin, dans un indescriptible brouhaha. On va se coucher. Louis XVI également va se coucher, puis la reine ; mais à cinq heures du matin elle s’éveille dans un cri d’effroi. Elle entend les vociférations perçantes :

– À mort l’Autrichienne. ! Où se cache la gueuse ? Qu’on lui torde le cou !

Des femmes folles sont parvenues à franchir les grilles ; elles se sont répandues dans les cours, dans le jardin. Les cris se multiplient.

– À bas l’Autrichienne ! l’Autrichienne à mort !

Des coups de feu animent le tapage qui monte à présent l’escalier de marbre. La foule hurlante déferle contre les portes des appartements royaux.

– Madame, sauvez la reine ! crie à l’une des dames d’atour l’un des rares gardes du corps demeurés au château. Il a le visage ensanglanté d’un coup de crosse qu’il a reçu sur la tête. Une partie de la foule s’est massée dans la cour de marbre où les feux de l’aurore font briller l’acier des piques. Cris, menaces, jurons, ordures, où éclate :

– Le roi ! le roi ! nous voulons le roi !

Des femmes à demi nues brandissent des piques ou des fusils ; quelques-unes tapent sur des casseroles avec des pique-feu.

Louis XVI se présente : cris de Vive le roi !

Puis :

– La reine au balcon, nous voulons la reine !

– Madame, lui dit La fayette, cette démarche est nécessaire pour calmer le peuple.

Marie-Antoinette paraît au balcon entre ses deux enfants qu’elle tient par la main.

– Point d’enfants ! crie la foule.

Marie-Antoinette a repoussé ses enfants dans l’appartement. La voilà seule sur le balcon, simplement vêtue d’une petite redingote de toile rayée jaune. Elle reste sur le balcon, pâle, immobile, tranquille, la tête haute, sans air de fierté. La Fayette est auprès d’elle. Un homme, vêtu en garde national, l’a mise en joue ; mais la reine est demeurée immobile et le garde n’a osé tirer. À ce moment, La Fayette lui baise la main, ce qui provoque un mouvement de réaction :

– Vive la reine ! crient cent voix.

Cependant une partie du château était aux mains des assaillants ; les portes en ont été enfoncées, les meubles sont brisés ou jetés par les fenêtres, les tableaux sont lacérés, les glaces volent en éclats : c’est le plaisir.

Le 6 octobre, midi et demi, une salve annonce le départ pour la grand’ville de la famille royale, désormais prisonnière, parmi les acclamations. L’avenue de Paris regorge de gens armés. Le mauvais temps de la veille a fait place à un soleil radieux, aussi parmi la populace triomphante une folle gaîté éclate-t-elle bruyamment.

En tête marchaient deux hommes portant au bout de leurs piques les têtes de deux gardes du roi, Deshuttes et Varicourt. À Sèvres on s’amusera à les faire poudrer et papilloter. Puis des soldats mêlés à des bandes de crocheteurs, rouleurs, gens sans aveu, la plupart pompettes.

Après eux deux autres gardes, des « traîtres » qui ont voulu défendre leur prince. Ils sont blessés. De robustes gaillards les tiennent au collet et les secouent comme pruniers d’automne. De temps à autre un coup de pied dans le bas des reins les aide à marcher plus vite. Puis des femmes, l’actrice Théroigne de Méricourt, les unes à califourchon sur des canons, ou à cheval en amazones, les autres entassées dans des fiacres. Elles se sont parées de chapeaux et de bandoulières pris aux gardes du corps. Cris et chants de triomphe mêlés de polissonneries.

Des grenadiers escortaient des charrettes pleines de farine, élevant en leurs mains, en manière de sabres, de longues branches de peuplier.

Enfin encaquée dans une seule voiture, un carrosse aux panneaux de couleur cramoisie, la famille royale : huit personnes. La voiture va lentement. Les quolibets, les railleries, les injures à l’adresse de la souveraine sifflent en se croisant autour d’elle. Suivent quelques voitures de la Cour où sont montées les dames de la suite de Sa Majesté, puis des ministres et des députés. Derrière le carrosse du roi une délégation de l’Assemblée nationale précédant un groupe de gardes sans armes, quelques-uns sans chapeau. Les malheureux n’en peuvent plus, harassés, affamés ; mais la foule, qui fait haie sur le passage du cortège, les ragaillardit de ses injures et de ses quolibets. De temps à autre retentissent des coups de feu qui font tressaillir Marie-Antoinette. Un moment donné le carrosse occupé par la famille royale fut attaqué : la vaillance et l’énergie d’un grenadier de la garde, nommé Marquié, repoussa les assaillants.

De Versailles à Paris le trajet dura six heures.

Sur le siège du carrosse où se trouvait Sa Majesté, le comédien Beaulieu qui, dans la suite, changera de sentiments, amusait la foule et insultait la femme de ses grimaces de saltimbanque. Marie-Antoinette, muette, immobile, les yeux secs, semble perdue dans un rêve. Le dauphin la tire par la manche de sa robe :

– Maman, j’ai faim.

Et des larmes, les premières de la journée, coulent sur les joues de la mère.

Le souvenir de cette journée demeurera, dans la pensée de Marie-Antoinette, marqué d’une couleur affreuse. « Tout ce que l’on pourra dire, écrira-t-elle, sera au-dessous de ce que nous avons vu et éprouvé. »

 

 

 

II

 

AUX TUILERIES

(7 octobre 1789 – 19 juin 1791)

 

 

Le bruyant cortège était arrivé aux Tuileries le 6 octobre, à la lueur fumeuse des torches, sur les neuf heures et demie du soir. On ne sait quelle réaction s’était produite dans la pensée du roi qui avait un air radieux. « Il étonna ses entours par un appétit prodigieux », dit un témoin. La reine, en mantelet noir et en coiffe, sans poudre ni fard, causait familièrement. Sans doute, à leur descente au château, quelques voix dévouées, amies, respectueuses s’étaient-elles fait entendre.

Le palais des Tuileries n’avait plus connu d’hôtes journaliers depuis 1663. Rien n’était préparé pour le rendre à sa destinée première. Des ouvriers travaillaient fiévreusement, tant bien tant mal, à le remettre en état. Portes et fenêtres étaient disjointes, les serrures rouillées, le mobilier poussiéreux, détérioré, les chaises bancales ; on manquait de lits.

– Oh ! maman, comme tout est laid ici ! s’écriait le petit Dauphin.

L’affreuse « conduite » de la veille eut un surprenant revirement. Dès l’aurore un peuple nombreux était accouru aux Tuileries, se pressant autour du château. Cris de joie et acclamations : les Parisiens retrouvaient leur roi. On le voulait à la fenêtre et la reine. Ils parurent : que de chapeaux ont volé en l’air ! Les portes furent ouvertes, le peuple entra. On se bousculait, chacun voulait approcher de Sa Majesté ; mais c’était un tumulte ami. Entre ces femmes du peuple et la souveraine, la conversation s’engage sur un ton familier :

– Vous avez voulu faire bombarder Paris et vous sauver vers les frontières ?

– Mes ennemis répandent ces méchancetés. Nul plus que moi n’aime les Français. Ces calomnies, dont on vous trompe, me remplissent de tristesse ainsi que le roi.

Et comme l’une de ces femmes lui adressait la parole en allemand :

– Depuis que je suis Française, je ne sais plus l’allemand.

Quelques jeunes citoyennes lui demandèrent une fleur du chapeau qu’elle venait de mettre pour sortir ; la reine en détacha plusieurs et les offrit de bonne grâce.

Le lendemain, 7 octobre, Marie-Antoinette écrivait au comte de Mercy :

« Je me porte bien, soyez tranquille. En oubliant où nous sommes et comment nous y sommes arrivés, nous devons être contents du mouvement du peuple, surtout ce matin. J’espère, si le pain ne manque pas, que beaucoup de choses se remettront. Je parle au peuple : milices, poissardes, tous me tendent la main, je la leur donne. Dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville, j’ai été personnellement très bien reçue. Le peuple, ce matin, nous demandait de rester. Je leur ai parlé de la part du roi qui était à côté de moi, qu’il dépendait d’eux que nous restions ; que nous ne demandons pas mieux ; que toute haine devait cesser ; que le moindre sang répandu nous ferait fuir avec horreur : les plus près de nous m’ont juré que tout était fini. »

Quelques jours plus tard Marie-Antoinette alla au « faubourg Antoine » visiter une manufacture de glaces renommée. Auprès de ces artisans d’élite, demeurés dans les cadres fermes et sains des anciennes corporations, la reine trouva l’accueil le plus déférent, le plus affectueux ; elle en fut émue aux larmes. Perdue dans le faste de Versailles, dans l’étiquette étroite de la Cour, jamais encore Marie-Antoinette n’avait pu prendre directement contact avec l’âme populaire :

– Que le peuple est donc bon, disait-elle avec une émotion heureuse, quand on vient le chercher !

Succédant à la classe populaire les autorités constituées vinrent, le 9 octobre, offrir leurs hommages à leurs princes redevenus parisiens après plus d’un siècle d’éloignement. D’abord le Parlement (cour de justice), puis les membres de la Commune de Paris (corps municipal) présentés par Bailly, maire de la ville et par l’inévitable La Fayette.

Marie-Antoinette se tenait auprès du roi avec sa fille Madame Royale et son fils le Dauphin.

La présentation aux souverains des membres de l’Assemblée nationale n’eut lieu que le 20 octobre. Les députés se rendirent en premier lieu chez le roi qui les reçut en son grand salon ; d’où ils passèrent dans l’appartement de la reine. Marie-Antoinette, surprise de leur arrivée, était occupée à sa toilette : elle se disposait, écrit Maxime de la Rocheterie, à jouer en public. Plutôt que de faire attendre les députés le temps de se mettre en robe de cour, elle osa les recevoir telle qu’elle était. Les membres de l’Assemblée sont introduits dans le cabinet de la reine trop exigu pour les contenir tous ; nombre d’entre eux doivent rester au dehors. La reine est assise en un fauteuil. Le président de la Constituante, Fréteau de Saint-Just, entama une harangue d’un ton solennel, mais qui n’était pas exempte d’émotion. Il exprima le désir qu’éprouvaient les représentants de voir leur Dauphin. Marie-Antoinette l’envoya quérir et, le prenant dans ses bras, le montra à l’assemblée. L’enfant saluait de ses petites mains, les députés éclataient en applaudissements : Vive la reine ! Vive le dauphin !

En pareille circonstance, Marie-Antoinette se montrait incomparable, par la grâce exquise dont se nuançait son air de majesté. En prenant congé de leur princesse, les membres de l’assemblée nationale paraissaient radieux.

La dernière de ces réceptions fut celle des membres de l’Académie française ; eux aussi furent conquis par le grand air de la reine ; son sourire accueillant, que les circonstances nuançaient d’une teinte de mélancolie, en avait un charme encore plus séduisant.

Mais hélas ! une partie du peuple parisien, la partie faite des âmes haineuses, des caractères aigris, des cerveaux égarés par les calomnies morbides et les bobards méchants avait déjà, de son côté, repris les manifestations hostiles.

Dès le 8 octobre, le lendemain du jour où le couple royal était entré aux Tuileries, s’était produit un incident caractéristique : une manière de petite émeute au Mont-de-piété, accompagnée d’imprécations contre « l’Autrichienne ».

Dans l’intention qu’on imagine, quelques feuilles – bien pensantes – avaient annoncé que la reine de France dégageait de ses deniers tous les objets consignés au Mont-de-piété où leurs propriétaires n’avaient qu’à les aller quérir. On y courut mais pour y trouver visage de bois. Mise au courant de l’incident et de l’irritation qui en était née contre elle, Marie-Antoinette obtint du roi que, sur les deniers de la caisse royale, tous les objets mis au Mont-de-piété, en seraient dégagés au profit des déposants jusqu’à concurrence d’un louis (400 francs approximativement de valeur actuelle). La dépense, pour la cassette du roi, fut par le fait de 300 000 livres (environ six millions de nos francs papier). Marie-Antoinette obtint en outre la mise en liberté de quatre cents pères de famille détenus pour dettes de mois de nourrice.

Bonté semée au vent. De l’affaire du Mont-de-piété ne subsista qu’une irritation accrue contre la souveraine « qui ne perdait pas une occasion, disait-on, de manifester son mauvais vouloir contre le peuple de Paris ». Des individus, des groupes même s’arrêtaient devant le château des Tuileries pour lancer violemment aux fenêtres des appartements occupés par la princesse, injures et menaces. Sous couleur de délégations et de motions à soumettre à Leurs Majestés, des individus de tout poil étaient introduits. Les motions consistaient à dire des sottises au roi et à la reine, à la reine surtout. Certain jour, un de ces personnages osa formuler, contre elle et en sa présence, une inculpation grave et dans les termes les plus offensants :

– Vous vous trompez, répondit très doucement le roi ; la reine et moi n’avons pas les intentions qu’on nous prête, nous agissons de concert pour votre bien commun.

Mais lorsque la soi-disant délégation fut partie, Marie-Antoinette fondit en larmes. Sur quoi les ministres proposèrent d’interdire désormais l’entrée du château à ces singuliers représentants du peuple :

– Non, dit la reine, qu’ils entrent, nous aurons le courage de les recevoir et de les écouter.

Dès son installation aux Tuileries, le roi s’était vu contraint de consentir à un douloureux et encore plus dangereux sacrifice. Les conséquences en devaient être incalculables ; le roi et la reine ne pouvaient pas ne pas en être effrayés. Il fallut se séparer de la fidèle garde royale, sûr rempart aux coups de force des factieux. Les gardes du corps durent faire place à la garde nationale en majorité hostile au trône. Les portes mêmes des Tuileries lui furent confiées.

« J’ai pleuré, écrit Marie-Antoinette à la duchesse de Polignac son amie. Vous parlez de mon courage ; il en faut bien moins pour soutenir les moments affreux où je me suis trouvée que pour supporter notre position, ses peines à soi, celles de ses amis et celles de tous ceux qui nous entourent. C’est un poids trop lourd à supporter, et si mon cœur ne tenait par des liens aussi forts à mon mari, mes enfants, mes amis, je désirerais de succomber. »

Aussi la reine se repliait-elle en sa vie de famille.

Aux Tuileries cependant son séjour s’était organisé ; on avait fait venir de Versailles des meubles dignes d’une Cour royale. Avec moins d’éclat évidemment que naguère, moins de franche gaîté, la Cour de France avait repris son rythme traditionnel. Mais en Marie-Antoinette, noyée de soucis et d’angoisse, le cœur n’y était plus. Seules les heures passées dans l’intimité avec ses enfants et son mari pouvaient encore lui donner de la satisfaction.

Le 10 février 1790 se place une des jolies pages de la vie de l’infortunée princesse et sur laquelle on s’arrête d’autant plus volontiers qu’elle fit pour l’instant – hélas ! un instant seulement – l’unanimité dans le cœur des Français. Les jacobins eux-mêmes durent rendre hommage en cette circonstance à la grâce charmante et à l’âme généreuse de celle qu’ils poursuivaient d’une haine aveugle. La feuille ultra-jacobine, surnommée le Journal des Tigres, conte avec émotion la visite de Marie-Antoinette à l’hôpital des Enfants trouvés. Elle était accompagnée du roi, de sa fille Madame Royale, de son fils le Dauphin et de Madame Élisabeth, sa belle-sœur.

Le roi a souri aux petits enfants, la reine les a embrassés.

« Ah ! que les rois sont donc grands dans de telles circonstances et qu’un peuple est heureux quand il est témoin de tant de bontés en ses souverains ! »

Et voici que durant le séjour même de la famille royale en l’Hôpital des Enfants trouvés, on y apporte un pauvre petit marmot ramassé sur les marches de Saint-Germain-l’Auxerrois. La reine tenait le jeune Dauphin par la main :

– Mon fils, lui dit-elle, vous êtes ici dans un asile de pauvres orphelins, abandonnés de leurs parents. N’oubliez jamais ce que vous voyez et que votre protection s’étende un jour sur ces êtres infortunés et sur ceux qu’aura recueillis encore cette maison de charité.

Mais ce n’étaient là que de rares moments de répit, courts instants de repos en l’âpre côte du calvaire. Le soir du vendredi, 19 février, le noble marquis de Favras, à la sombre lueur de torches fumantes, était pendu place de Grève, aux applaudissements frénétiques d’un peuple en délire. Aussi bien Favras était-il le premier gentilhomme pendu en France sur condamnation des tribunaux, pendu comme un vulgaire manant.

Thomas de Mahy, marquis de Favras, avait conçu un plan d’évasion des Tuileries pour le roi. On y mêla une conspiration contre le gouvernement dont Favras aurait été l’instigateur.

Les faits sont demeurés dans une obscurité relative, car Favras témoigna au procès d’une telle force et fermeté de cœur, qu’on ne put obtenir de lui aucune révélation.

Il se contentait d’affirmer :

– Je suis innocent.

Nulle preuve ne put être alléguée contre lui ; mais le peuple n’en exigeait pas moins sa mort.

– Votre vie, lui disait Quatremère, rapporteur du procès, est un sacrifice que vous devez à la tranquillité publique.

Quel argument dans la bouche d’un magistrat !

Le marquis de Favras fut pendu aux cris de joie d’une foule hideuse, qui voulait ensuite mettre son cadavre en lambeaux.

« Je ne puis penser, écrit Mme de Tourzel, à l’état où je vis la reine quand elle apprit que Favras n’était plus. »

Marie-Antoinette fit remettre à la veuve du noble condamné une somme importante et le roi lui fit attribuer sur sa cassette une pension de 4 000 livres – approximativement 80 000 francs d’aujourd’hui.

Le 21 février 1790, deux jours après le supplice de Favras, un ami du condamné crut devoir présenter au roi et à la reine, au cours de leur dîner où, suivant l’usage, chacun pouvait être admis en qualité de spectateur, la femme et le fils de l’héroïque victime. Non seulement le repas du roi avait encore lieu en public, comme au temps jadis, mais, ce qui ne se faisait pas jadis, il se déroulait sous la surveillance de la garde nationale dont le commandant au palais se trouva être ce jour-là le brasseur Santerre. Celui-ci ne quitta pas Marie-Antoinette des yeux. Dès après le repas la pauvre reine se retira en sa chambre où, désespérée, elle se jeta dans un fauteuil ; Mme Campan assista à la scène :

« Il faut périr, soupirait la malheureuse femme, quand on est attaqué par des gens qui réunissent tous les talents et tous les crimes, et défendu par des gens fort estimables, mais qui n’ont aucune idée juste de notre position. Ils m’ont compromise vis-à-vis des deux partis en me présentant la veuve et le fils de Favras. Les royalistes me blâmeront de n’avoir pas paru occupée de ce pauvre enfant ; les révolutionnaires seront courroucés en songeant qu’on a pu me plaire en me le présentant. »

Marie-Antoinette définissait exactement la situation où elle se trouvait.

Bien avant celui de Favras, des plans d’évasion des Tuileries par la famille royale avaient été conçus.

« Le seul moyen de nous tirer d’ici, répétait-elle, est la patience, le temps et une grande confiance qu’il faut inspirer. »

Un autre plan d’évasion pour la famille royale avait été conçu par le secrétaire des commandements de la reine, nommé Augeard. Mais le roi n’aurait pu suivre la reine et ses enfants.

Marie-Antoinette étudia le projet et conclut :

– Réflexion faite, je ne partirai pas ; mon devoir est de rester auprès du roi.

Augeard sera arrêté comme l’avait été Favras, mais, plus heureux que lui, il sera remis en liberté.

En mars 1790, quatrième plan d’évasion, celui-ci conçu par le comte d’Inisdal. Mme Campan a peint en ses Mémoires la scène où l’affaire fut discutée. Louis XVI adhère au plan proposé, puis se ravise, puis se reprend et se ravise encore : l’indécision innée de ce caractère, le moins fait du monde pour les circonstances où il se trouvait placé, fait contraste avec la résolution et la ferme énergie de la reine.

Le 27 février, Marie-Antoinette avait appris la mort à Vienne de son frère l’empereur Joseph II (20 février 1790). Certes Joseph II n’avait jamais été d’un secours bien efficace à sa sœur ; aussi bien était-il lui-même empêtré dans les difficultés que lui créait le soulèvement des Pays-Bas ; mais le chagrin n’en fut pas moins vif pour celle qui, plus que jamais, avait besoin de recevoir des témoignages de sympathie et d’affection, dussent-ils demeurer stériles.

La publication du fameux Livre rouge, par les soins de l’Assemblée nationale, en avril 1790, donna un nouvel aliment à l’hostilité qui grandissait autour de la reine de France.

On jetait brutalement sous les yeux du public, avec commentaires malveillants, liste et chiffres des pensions et indemnités versées sur la caisse royale à ceux et à celles qui remplissaient des fonctions à la Cour ; sans indiquer en regard les charges et obligations que ces mêmes fonctions faisaient peser sur les titulaires, ni les dépenses qu’elles entraînaient pour eux. Il est vrai que, sur certains points, en ce qui concernait notamment la duchesse de Polignac et sa famille, Louis XVI, sur les instances de sa femme, s’était certainement laissé entraîner à des générosités et des faveurs excessives. Le comte de Mercy-Argenteau, l’homme de confiance de Marie-Thérèse auprès de la reine de France, n’avait pas laissé d’en signaler plus d’une fois les graves inconvénients à l’impératrice.

La publication du Livre rouge donna lieu à de nouvelles manifestations hostiles à la reine, au sein de l’Assemblée et dans Paris où l’on vit les émeutes se renouveler. Elles allèrent jusqu’à faire craindre une attaque du château.

Mais voici qu’un séjour passé à Saint-Cloud, au grand air, dans la liberté de la campagne, donne à Marie-Antoinette un bienfaisant moment de répit. Rien n’y avait d’ailleurs été préparé pour recevoir la famille royale ; à la table du roi prenait place qui voulait ; laisser-aller qui avait en soi un certain charme par son air de familiarité bourgeoise : il brisait pour un moment les contraintes de l’étiquette que Marie-Antoinette n’avait cessé de considérer comme une ennemie personnelle. Le Dauphin jouait librement dans le parc, étendait parfois sa promenade jusqu’à Meudon. Le temps était admirable, le ciel bleu, le soleil rayonnant. Combien sa mère était heureuse de voir reparaître sur ses joues enfantines les couleurs que la claustration entre les murs des Tuileries en avait bannies. Louis XVI et sa famille demeurèrent à Saint-Cloud durant tout l’été.

Mais il y a ici encore de tristes ombres au charme du tableau. La Cour demeure à Saint-Cloud sous la surveillance des gardes municipaux, en grande partie des soldats déserteurs de l’armée royale.

– Que ma mère serait étonnée, murmurait la fille de Marie-Thérèse, en voyant sa fille, femme d’un roi et mère d’un dauphin, entourée d’une garde pareille !

Chaque dimanche, le ménage royal devait quitter Saint-Cloud pour le dîner en grand couvert donné au château des Tuileries :

– Il ne fallait pas, disait la reine, paraître céder aux cris (qui réclamaient Louis XVI et les siens à Paris), mais il était bon de prouver qu’on n’était pas éloigné d’y aller quand il y avait quelque chose à faire.

Ce fut à Saint-Cloud qu’eut lieu la fameuse entrevue de Mirabeau avec la reine. Mme Campan en a parlé en ses Mémoires ; le puissant tribun fut immédiatement conquis, enthousiasmé, charmé par la dignité unie à infiniment de grâce et par l’intelligence de la princesse. Au moment de prendre congé :

– Madame, dit-il non sans émotion, lorsque votre auguste mère admettait l’un de ses sujets à l’honneur de sa présence, jamais elle ne le congédiait sans lui donner sa main à baiser.

Avec un sourire où se marquait à la fois satisfaction et tristesse, Marie-Antoinette tendit sa main à Mirabeau. Des lèvres se posèrent sur la main blanche :

– Madame, dit le fougueux orateur en se relevant, et sa voix tremblait un peu, la monarchie est sauvée.

Le neveu de Mirabeau, le comte Victor du Saillant, reconduisit le visiteur jusqu’à la porte du parc :

– Elle est bien grande, bien noble et bien malheureuse, dit le député à la Constituante, mais je la sauverai !

Puis ce furent les apprêts de la fête de la Fédération (14 juillet 1790) en commémoration de la prise de la Bastille.

La pensée de cette fête en l’honneur de la première des grandes dates révolutionnaires, causait à Louis XVI et à sa compagne, enfermés aux Tuileries, les plus vives appréhensions. « Je ne pense pas sans frémir à cette époque (14 juillet 1790), écrivait Marie-Antoinette au comte de Mercy ; elle réunira pour nous tout ce qu’il y a de plus cruel et de plus douloureux et, avec cela, il faut y être. C’est un courage plus que surnaturel qu’il faut avoir pour ce moment. » Mais une fois de plus, les évènements vont tourner au rebours des prévisions.

La veille du jour commémoratif, c’est-à-dire le 13 juillet 1790, Louis XVI reçut les délégations des fédérés au pied du grand escalier devant le château des Tuileries. La reine se tenait auprès de lui avec ses enfants qu’elle présentait aux diverses délégations à mesure qu’elles défilaient devant elle, à la queue leu leu. La bonne grâce de la souveraine lui gagnait les cœurs ; les cris de Vive le roi ! Vive la reine ! Vive monseigneur le Dauphin ! fusaient de toute part.

Mais le lendemain, Louis XVI dut se rendre seul à la cérémonie du Champ de Mars, contrairement au désir qu’il avait exprimé. L’Assemblée nationale ne permit pas que sa femme figurât auprès de lui. « C’est un soufflet appliqué à tour de bras à la reine, écrivait Madame Élisabeth à Mme de Bombelles, et d’autant mieux appliqué qu’il a été ménagé de loin et que, jusqu’au dernier moment, on avait dit au roi que le contraire se passerait. »

La reine avec ses enfants ne put assister à la fête que de loin, des fenêtres de l’École militaire. Il est vrai que la foule l’acclamait en passant devant elle. Marie-Antoinette présentait son fils qu’elle avait enveloppé de son châle, à cause de la pluie qui tombait à verse ; et les acclamations redoublaient, démonstrations populaires qui, cette fois-ci, remplissaient un cœur maternel de joie et d’émotion.

Quelques journées de satisfaction commune ; considérons-les avec une complaisance d’autant plus marquée qu’elles furent plus rares en cette terrible époque.

Les délégués des provinces venaient aux Tuileries dont ils remplissaient cours et jardins. Le petit Dauphin leur distribuait les fleurs cueillies au jardinet qui avait été spécialement aménagé pour lui :

– Des fleurs de mon jardin !

Et quand il n’y eut plus de fleurs à distribuer, il se mit à distribuer les feuilles de ses arbres.

Le mardi suivant, à la porte de Chaillot, Louis XVI passa la revue de la garde nationale. Marie-Antoinette suivit en voiture avec son fils et sa fille. Les marques d’affection, de dévouement, de respect redoublèrent. La Rocheterie cite le trait suivant :

« La reine était dans une voiture découverte, sans armoiries, avec ses enfants et Madame Élisabeth. Aussitôt sa voiture fut entourée de fédérés avec lesquels elle s’entretint familièrement, répondant à leurs questions et les provoquant même. Ils désirèrent baiser la main du petit Dauphin ; elle le leur présenta elle-même. À ce moment, le bras de la reine se trouva appuyé à la portière : un des fédérés le saisit vivement et y appliqua ses lèvres. L’exemple fut contagieux et l’affection faisant taire le respect, en un instant trois cents bouches couvrirent de baisers le bras que la reine émue ne songeait pas à retirer. »

« Ce jour-là, écrit la duchesse de Tourzel, fut véritablement un jour de bonheur pour le roi, pour la reine et ceux qui lui étaient dévoués ; c’était une ivresse de sentiments : ce fut le dernier beau jour de la reine. »

Soulignons-en la date : 20 juillet 1790.

Une enquête sur les excès commis au cours des journées de Versailles, 5 et 6 octobre, avait été ouverte au tribunal du Châtelet. Marie-Antoinette, interrogée par les commissaires, avait répondu :

– Je ne serai jamais la dénonciatrice de mes sujets. J’ai tout vu, tout su, tout oublié.

Les conclusions en vinrent devant l’Assemblée constituante. Le rapporteur désigné, Jean-Baptiste Chabroud, député du Dauphiné, rédigea un mémoire haineux, qui établissait que la reine et les gardes du corps avaient eu grand tort, l’une d’être insultée, les autres massacrés : conclusions qui furent adoptées. Les crimes des 5 et 6 octobre devenaient, par décision de l’Assemblée nationale, des malheurs justement autorisés par la Providence, pour « servir de leçon aux rois ».

Richard Wellesley, frère aîné du duc de Wellington qui commandera les Anglais à Waterloo, visite la famille royale aux Tuileries le 27 septembre 1790 : « J’ai été ce matin à la Cour aux Tuileries : c’est une Cour très triste, beaucoup de jeunes personnes du grand monde portent toujours le deuil par économie : la reine avait l’air très malade ; le Dauphin était avec elle et elle paraissait anxieuse de le montrer. On dit ici qu’il est son bouclier : elle ne bouge jamais sans lui. »

Le 9 octobre 1790, Marie-Antoinette eut le grand chagrin d’être définitivement séparée du comte de Mercy-Argenteau, obligé de quitter Paris pour se rendre à La Haye. Mercy avait été jadis placé auprès d’elle en son extrême jeunesse par sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, en manière de tuteur moral et, depuis lors, ce noble esprit n’avait cessé d’être pour elle le conseiller le meilleur.

Il est vrai que, d’autre part, sous l’influence de sa forte intelligence et de son grand cœur, des charmes aussi et des souffrances de la reine, Mirabeau s’était résolu à se dévouer au salut du trône :

– J’ai professé les principes monarchiques, déclarait-il en l’une de ses notes secrètes pour la Cour, je les ai professées lorsque je ne voyais autour du trône que faiblesse et que, ne connaissant ni l’âme ni la pensée de la fille de Marie-Thérèse, je ne pouvais compter sur cette auguste auxiliaire. J’ai combattu pour les droits de la couronne lorsque je n’inspirais que de la méfiance... Que ferai-je maintenant que la confiance a relevé mon courage !... Je serai ce que j’ai toujours été, le défenseur du pouvoir monarchique réglé par les lois et l’apôtre de la liberté garantie par le pouvoir monarchique. Mon cœur suivra la route que la raison m’avait tracée.

Il disait à son ami La Marck :

– Avertissez donc le roi et la reine qu’ils sont perdus si la famille royale ne quitte pas Paris.

Et, le 20 octobre, il faisait proposer à son tour un plan d’évasion.

Malheureusement Marie-Antoinette ne pouvait se défaire entièrement de la méfiance, ni surmonter toute l’aversion que l’ardent et turbulent orateur continuait de lui inspirer. Elle se refusait à la nouvelle entrevue qu’il sollicitait.

– Ah ! soupirait Mirabeau, que l’immoralité de ma jeunesse fait de tort à la chose publique !

Mirabeau devait mourir le 27 mars 1791. Avant de rendre le dernier soupir, il disait au comte La Marck :

– J’emporte avec moi le deuil de la monarchie. Après moi les factieux s’en disputeront les lambeaux.

Les manifestations tumultueuses se succédaient à présent presque sans interruption. En date du 5 février 1791, Madame Élisabeth annonçait à la marquise de Raigecourt, comme un fait exceptionnel :

« Nous n’avons pas eu de tapage depuis huit jours. »

Le printemps est en fleur. Louis XVI se souvient de son séjour bienfaisant à Saint-Cloud, l’an passé, et veut y retourner avec les siens, y demeurer du moins la semaine de Pâques. La populace, mise au courant des intentions royales, s’attroupe aux Tuileries (lundi 18 avril 1791).

– Partira pas ! partira pas !

Louis XVI est monté dans une berline avec sa famille. Les gardes nationaux lui barrent la route, croisent leurs baïonnettes sous le poitrail des chevaux. Une heure durant la foule couvre le roi et les siens de railleries et d’injures. Des serviteurs du château sont bousculés et frappés.

Le roi dut renoncer à son projet.

– Au moins, avouerez-vous à présent que nous ne sommes plus libres ? disait la reine à La Fayette.

Le lendemain, mardi saint, le roi se rendit à l’Assemblée pour y formuler ses plaintes contre les violences qui lui avaient été faites :

– Bah ! répondit le président – Chabroud, l’homme du rapport sur les journées d’octobre – agitation inquiète, inconvénient inséparable des progrès de la liberté.

Cependant que la Direction du département faisait parvenir au roi une lettre injonctive, où, sur le ton d’un maître parlant à un valet, il lui adressait une réprimande hautaine. Le roi était mis en demeure de déclarer par écrit qu’il était libre comme l’oiseau sous le ciel bleu, et ce pauvre Louis XVI dut rédiger la déclaration exigée pour être communiquée aux diverses Cours de l’Europe.

Au fait, cette liberté n’était-elle pas complète ? « Le château, écrit Lenôtre, était surveillé comme une geôle. » À toutes les portes, des gardes nationaux ; aux issues du jardin sont postées des sentinelles, et dans le jardin même celles-ci se répètent tous les cent pas. Des patrouilles traversent incessamment les cours des Tuileries ; elles pénètrent dans le palais ; on les rencontre montant ou descendant les escaliers ; elles se faufilent jusque dans les appartements ; s’installent dans les cuisines. Un détail fera comprendre l’intensité et la minutie de l’inlassable surveillance. Un couloir obscur passait derrière l’appartement de la reine. On y établit à demeure un capitaine de la garde nationale ; comme il devait s’y tenir quasiment immobile, on l’installa sur une chaise. Il montait la garde assis, avec la consigne de ne pas éternuer, tant était mince la cloison qui le séparait du lit de la reine.

On exigea que le confesseur du roi fût un prêtre « jureur », c’est-à-dire un ecclésiastique qui avait prêté serment à la constitution civile du clergé. Le jour de Pâques, le roi et sa famille furent contraints de se rendre en l’église Saint-Germain l’Auxerrois pour y assister officiellement à la messe qui y était chantée par un autre « jureur », en remplacement du curé de la paroisse qui s’était retiré pour demeurer fidèle à sa foi. Louis XVI était profondément attaché à ses croyances ; dans sa pensée, dans sa conviction on le contraignait à des sacrilèges.

Maxime de la Rocheterie et le marquis de Beaucourt estiment que cette pression exercée sur la conscience du souverain, violence faite aux sentiments qui lui étaient les plus chers, fut la cause déterminante qui tira Louis XVI de son indécision et fit qu’il se résolut à quitter Paris avec les siens.

 

 

 

III

 

VARENNES

(20-25 juin 1791)

 

 

« L’évènement qui vient de se passer (le lundi 18 avril), écrivait la reine à Mercy, nous confirme plus que jamais dans nos projets. La garde, qui est autour de nous, est celle qui nous menace le plus. Notre vie même n’est pas en sûreté. » Et quelques jours après (6 mai) : « Notre position est affreuse et telle que ceux qui ne sont pas à portée de la voir ne peuvent s’en faire une idée. Il n’y a plus qu’une alternative pour nous, ou faire aveuglément tout ce que les factieux exigent ou périr par le glaive qui est incessamment suspendu sur nos têtes. »

En dehors du roi et de la reine, quatre personnes furent dans le secret de l’évasion qui se préparait : le marquis de Bouillé, commandant de la place de Metz, auquel un rôle important était réservé dans l’aventure ; le comte de Mercy-Argenteau, le baron de Breteuil, de tous les anciens ministres celui en lequel la reine plaçait le plus de confiance, enfin le comte de Fersen, l’inébranlablement fidèle et dévoué serviteur de la reine. Fersen sera l’agent principal et metteur en œuvre du projet conçu.

Fersen arrêta et prépara les voitures pour le voyage : une vaste berline qu’il fit spécialement construire pour le roi et pour sa famille, un cabriolet pour les deux femmes de chambre qui devaient les accompagner, ainsi que pour les provisions de bouche, bœuf et veau froid, champagne et bouteilles d’eau.

Le départ avait été fixé primitivement au 6 juin ; mais il parut prudent de le retarder. Une femme de chambre du Dauphin et qui vivait dans l’intimité de la famille royale, prononçait des sentiments contraires à ceux de ses maîtres. Elle devait quitter la Cour incessamment ; la date du départ fut donc reculée au 11 juin et, comme la « mauvaise femme » se trouvait encore au château, remise au 20 juin. Retards préjudiciables, car les idées révolutionnaires se propageaient dans les provinces et y pénétraient de plus en plus profondément. L’armée même, depuis que les portes des clubs lui avaient été ouvertes, tendait à se dépouiller de son loyalisme.

Le 20 juin 1791 était un lundi. Fersen arriva au château des Tuileries sur les six heures du soir.

– Monsieur, lui dit Louis XVI, quoi qu’il puisse arriver, je n’oublierai jamais ce que vous faites pour nous.

Marie-Antoinette pleurait.

Le gentilhomme suédois prit congé ; il fit mener la berline destinée au voyage rue de Clichy, devant l’hôtel Crawford, rentra chez lui, se costuma en cocher de bonne maison, monta sur le siège d’une citadine – voiture publique – et la conduisit dans la cour des Tuileries où, pour ne pas attirer l’attention, il prit la file derrière les autres voitures qui s’y trouvaient rangées. On allait sur les neuf heures du soir.

– Nous approchons du terrible quart d’heure, murmurait la reine.

Sonnent dix heures. Il fallut réveiller le Dauphin ; et comme le petit bonhomme se frottait les yeux en pleurnichant :

– Nous allons dans un grand château où il y a beaucoup de soldats et où vous commanderez votre régiment.

Le gamin battant des mains :

– Vite, vite, partons !

Madame Royale (Marie-Thérèse-Charlotte, fille de Louis XVI, plus tard duchesse d’Angoulême) fut vêtue d’une robe d’indienne mordorée, piquetée de fleurettes jaunes et blanches. Le Dauphin fut habillé d’une robe de fille.

La famille royale quittait les Tuileries en emmenant la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France, deux des femmes de chambre de la reine, Mmes de Neuville et Brunier, enfin trois anciens gardes du corps, habillés pour la circonstance d’une livrée de domestique, couleur chamois : MM. Florent de Valory, Jean-François de Maldent et Moustier de Bermont. Moustier, quarante ans, une manière de colosse, large des épaules, brun et barbu ; Valory, mince, d’apparence chétive ; Maldent, long, maigre et sec comme un jour sans pain.

On put sortir par une porte condamnée mais dont la reine avait la clé ; la porte ouvrait sur un logement sans communication avec le reste du château que M. de Villequier venait d’abandonner. Le logement donnait immédiatement sur la cour. En traversant le salon vide, la reine tout à coup frissonna, elle porta la main à sa poitrine, un cri lui avait échappé. Une ombre était apparue, collée à la fenêtre, d’où ses yeux plongeaient dans la pièce : c’était Fersen en sa houppelande de cocher. Il venait chercher Madame Royale, le dauphin et la duchesse de Tourzel. Dans la cour des Princes, circulaient des gardes nationaux. Les fugitifs parvinrent à se dissimuler derrière la file des voitures qui y stationnaient. Arrivé près de sa citadine, Fersen y fit entrer Mme de Tourzel et les enfants, puis monta sur le siège. Quai d’Orsay attendait un cabriolet de poste attelé de trois chevaux. Le postillon se promenait de long en large. Survinrent les deux femmes de chambre, Mmes de Neuville et Brunier. Fersen installa tout son monde dans le cabriolet qui partit directement pour Claye où le postillon avait ordre de le conduire sans arrêt. Minuit allait sonner. Le roi, la reine, Madame Élisabeth ne devaient quitter le château que plus tard. On imagine l’angoisse dont la reine, dans ce moment, se trouva oppressée. Jamais encore elle ne s’était séparée de ses enfants et les voilà qui roulaient, en fiacre, dans la nuit, à travers ce Paris immense et incertain.

Vers une heure et demie du matin, Fersen amena rue de l’Échelle la citadine dans laquelle il avait conduit quai d’Orsay les enfants de France. Il y trouva Madame Élisabeth que le roi et la reine ne tardèrent pas à rejoindre. Louis XVI était très fier de lui. Il avait bravement traversé les cours des Tuileries, sa canne à la main, parmi les militaires qui y circulaient. Il avait revêtu un habit brun sur lequel était jeté une manière de houppelande vert foncé. Sur la tête il s’était mis un chapeau galonné, un chapeau de domestique qui fait des frais pour sa toilette. La reine était en gris, mantelet et chapeau noirs, le visage couvert des plis d’une voilette noire. Madame Élisabeth était en chapeau gris clair, d’où pendait un épais voile de gaze. Fersen monta sur le siège et fouette cocher ! La traversée de Paris se fit sans incident. La nuit était noire, le ciel était bas ; la route s’allongeait, morne, silencieuse ; mais à l’endroit où l’on devait trouver la berline, avec les trois anciens gardes, Valory, Maldent et Moustier, on chercha vainement. Fersen, très inquiet, allait de droite, de gauche. Enfin voilà la voiture avec Maldent et Moustier : elle était rangée entre la route et le fossé, ses lanternes éteintes. Valory était parti en courrier sur un cheval anglais pour assurer le relais de Bondy. Mais on avait perdu un quart d’heure.

De leur citadine, le roi et la reine montèrent dans la berline qui se mit à rouler sur les pavés sonores au trot de ses quatre chevaux. Il pouvait être trois heures du matin et les premières lueurs de l’aurore effleuraient les nuages à l’horizon.

À Bondy, on trouva Valory qui avait pu s’assurer le concours de huit chevaux, six forts limoniers pour la berline et le cabriolet, deux chevaux de selle pour lui-même et pour Maldent. Fersen allait devoir se séparer de la famille royale. S’approchant de la berline :

– Adieu, madame de Korff.

Le nom d’une dame russe sous lequel avait été formulé le passeport de la reine.

À ce moment, le noble et fidèle serviteur renouvela ses instances pour qu’il lui fût permis d’accompagner les souverains jusqu’au terme de leur voyage ; mais inutilement. On en est encore à se demander pour quel motif le roi se priva de ce précieux concours, concours d’un homme d’expérience, d’énergie, de décision et d’un dévouement sans pareil. Louis XVI et Marie-Antoinette ne conservaient avec eux pour les guider, pour les protéger au besoin et les défendre, que les trois jeunes gardes, Valory, Moustier et Maldent. Pensaient-ils comme le duc de Lévis : « Il était inconvenant sous plus d’un rapport que M. de Fersen occupât dans cette occasion périlleuse un poste qui devait appartenir à un grand seigneur français » ?

Fersen prit donc congé et s’éloigna à cheval dans la direction de la Belgique. On se retrouverait à Montmédy.

À Claye, le roi et la reine rejoignirent Mme de Tourzel et les enfants. Déjà les fugitifs respiraient plus à l’aise. Le succès se dessinait, pensaient-ils. La gaîté s’éveillait, une gaîté d’échappés de collège. On s’amusa à se distribuer les rôles de la comédie qu’on allait jouer : Mme de Tourzel serait la dame de la bande, la reine, au contraire, la gouvernante des deux petites filles, baptisées Amélie et Aglaé ; Madame Élisabeth entrerait dans le personnage d’une dame de compagnie, Rosalie ; enfin le gros roi figurerait un majordome, fonctions pour lesquelles le désignait l’ampleur de sa circonférence.

Après Meaux une seule ville importante à traverser, Châlons-sur-Marne, avant d’arriver à Pont-de-Somme-Vesle, où le duc de Choiseul devait attendre la famille royale à la tête de quarante hussards. Pont-de-Somme-Vesle n’était éloigné de Châlons que de quatre lieues. À Pont-de-Somme, le salut serait définitivement assuré.

Après avoir traversé Meaux on atteignit la Ferté-sous-Jouarre ; le jour brillait. La berline ne laissait pas d’éveiller la curiosité des bonnes gens, par ses dimensions exceptionnelles : la caisse en était peinte en vert sapin, les roues en jaune citron. Un beau velours d’Utrecht, de couleur blanche, en tapissait l’intérieur. Il était huit heures du matin.

Premier incident : le roi est reconnu par un postillon, un certain François Picard ; mais celui-ci, dans un sentiment de dévotion sans doute, garda le silence jusqu’à ce que la catastrophe eût éclaté.

L’allure de la voiture n’était guère rapide. Les voyageurs voyaient s’accentuer le retard sur l’horaire prévu.

Au relais de Fromentières on arriva peu avant midi. Le roi descendit de sa voiture pour s’entretenir familièrement de la moisson avec quelques cultivateurs ; puis on se remit en route. Une côte à monter, les chevaux allaient au pas. Louis XVI mit pied à terre, voulant se donner un petit temps de promenade avec les enfants.

Le relais du Petit-Chaintry fut marqué d’un second incident, plus grave. Le maître de poste, J.-B. de Lagny, y vivait, veuf, en compagnie de ses trois filles, dont la deuxième venait d’épouser le fils de l’aubergiste de la Croix d’or de Vitry-le-François, nommé Gabriel Vallet. Celui-ci, qui était venu le 14 juillet à Paris pour la fête de la Fédération, reconnut dans la berline le ménage royal. Il le déclara à ses entours. On imagine le remue-ménage. Mais Louis XVI, qui se croyait désormais à l’abri de tout danger, se mit à causer bonnement, familièrement et royalement avec ses fidèles sujets qui, de leur côté, lui rendaient loyalement hommage.

Les voitures repartirent après que Mme de Tourzel eut offert au maître de poste deux écuelles d’argent au nom du roi. Gabriel Vallet était monté sur le siège du cocher et s’était mis en devoir de mener la berline rondement, si rondement que, sur le trajet du Petit-Chaintry à Châlons-sur-Marne, les chevaux s’abattirent deux fois. Que de temps – un temps précieux – perdu pour remettre les bêtes sur pied, et l’attelage en ordre.

Voici donc la berline royale menée par un conducteur étranger à l’entreprise, étranger à la Cour et qui sait quels sont les voyageurs. À Châlons-sur-Marne, où l’on arrive passé quatre heures de l’après-midi, beaucoup de monde devant la maison de la poste, dont le patron, nommé Viet, ne doute pas un instant qu’il a affaire au roi. Des curieux en assez grand nombre. « On fut reconnu tout à fait, écrira Madame Royale ; beaucoup de monde louait Dieu de voir le roi et faisait des vœux pour sa fuite. »

À partir de Châlons les voyageurs pénétraient sur le territoire placé sous l’autorité militaire du marquis de Bouillé : grand motif de confiance, mais que ne tarda pas à traverser un éclair précurseur. La berline roulait sur la route de Metz, les voyageurs se félicitaient d’avoir heureusement franchi la passe de Châlons-sur-Marne – qu’ils considéraient comme la dernière encore dangereuse pour eux – quand un inconnu s’approcha de la voiture qui roulait d’une allure modérée, et dit sur un ton de confidence, mais assez haut pour être entendu de tous :

– Vos mesures sont mal prises, vous êtes trahis.

Effectivement, à partir de Châlons-sur-Marne, partout où le roi viendra, il trouvera les populations prévenues de son passage.

On arrive enfin, sur les six heures et demie, à Pont-de-Somme-Vesle : ici le coup de foudre. On y trouve bien Florent de Valory qui était parti en courrier, mais un Valory consterné. Pas de Choiseul, ni de hussards. Leur compagnie aurait garanti la fin du voyage contre toute résistance, leur force levé tout obstacle.

Les voyageurs atteignaient Pont-de-Somme avec trois heures de retard. Choiseul y était arrivé avec son détachement de hussards à l’heure convenue. Il avait attendu longtemps, se demandant ce qui avait bien pu se passer. Le roi avait-il été arrêté à Châlons, avait-il même pu quitter Paris ? Des paysans accouraient de divers côtés, inquiétés par le passage de ces troupes étrangères. Les hussards ne comprenaient que l’allemand. S’agirait-il de réquisitions ? Devant l’attitude des gens du pays qui s’attroupaient de plus en plus nombreux et hostiles, et ne croyant plus à l’arrivée de la famille royale, Choiseul crut devoir se retirer avec ses hommes.

« Le roi regardait machinalement par la portière avec l’impression que toute la terre lui manquait. » (Relation contemporaine citée par Lenôtre.)

On ne pouvait d’ailleurs que poursuivre son chemin. À Sainte-Menehould, entre sept heures et demie et huit heures, on trouve la population dans le plus grand émoi. Des dragons y campaient emmi les rues sous les ordres du capitaine d’Andouins ; mais ils n’étaient rien moins que sûrs. L’arrivée de la berline produisit une vive rumeur. Sur le pas de la maison de poste on entendit le capitaine d’Andouins dire à Moustier :

– Partez, pressez-vous, vous êtes perdus si vous ne vous hâtez.

Survint un jeune homme, J.-B. Drouet, le fils du maître de poste, Joachim Drouet, qui aidait son père à diriger son établissement et, en fait, le dirigeait. Ancien dragon dont voici le signalement : « Taille de cinq pieds deux pouces, cheveux et sourcils châtains, les yeux gris, visage marqué de petite vérole, le nez gros. » Le hasard, la fatalité, comme on voudra, firent qu’en ces graves circonstances, surgit ce jeune homme, d’une audace, d’une énergie, d’une intelligence aussi et d’une activité exceptionnelles. Il était partisan des idées nouvelles. Très ambitieux, Drouet verra ici l’occasion de se mettre en avant pour le jeu de l’avenir.

Sous les ordres de Condé, il lui était arrivé d’apercevoir la reine. La figure du roi aussi, qu’il entrevit dans la berline, « lui disait quelque chose ». Et le doute qu’il pouvait encore éprouver s’évanouit, quand il eut comparé les traits du voyageur à ceux du roi de France qui se trouvaient gravés sur des assignats qu’on venait de lui remettre en paiement.

Drouet va déterminer à Varennes l’arrestation de la famille royale. Napoléon lui dira un jour :

– Vous avez renversé le monde.

Toujours est-il que l’évènement fut pour le fils du maître de poste de Sainte-Menehould l’origine de la plus extraordinaire carrière, du plus invraisemblable des romans, pour reprendre l’expression de Lenôtre. Bientôt on le verra député à la Convention où il siégera sur les hauteurs de la Montagne et votera la mort du roi sans sursis. Après des aventures rocambolesques, il tombera entre les mains des Autrichiens, sera enchaîné au fond d’une geôle, s’en évadera en se cassant la jambe et finira sa vie en France, sous la Restauration, échappant aux recherches de la police, caché sous un faux nom dans une situation tranquille et modeste où la mort viendra paisiblement le trouver.

Les augustes voyageurs remontèrent en voiture et poursuivirent leur voyage tandis que Drouet, à Sainte-Menehould ; pérorait avec véhémence devant une foule ameutée :

– Le gros homme aux yeux de myope, c’était le roi !

Il saute à cheval et se lance à la poursuite de Louis XVI et des siens, accompagné d’un certain Guillaume, dit la Hure, tenancier d’une auberge qui avait pour enseigne une hure de sanglier.

À Clermont-en-Argonne, Valory, qui galopait toujours en éclaireur au devant des voitures, trouva bien le comte de Damas, commandant d’un détachement de dragons, arrivé exactement au poste qui lui avait été fixé ; mais lui aussi, dans la longueur de l’attente et devant l’hostilité des habitants, avait dû disperser ses hommes. La localité ne fut pas moins franchie sans incidents sur les neuf heures et demie-dix heures du soir. Surmontant la contrariété occasionnée par l’absence des hommes du duc de Choiseul et de ceux du comte de Damas, Marie-Antoinette avait repris espoir.

Quand on arriva à Varennes, sur les onze heures du soir, l’obscurité était complète. La berline du roi, le cabriolet et les deux cavaliers avaient encore de l’avance sur Drouet et Guillaume qui pressaient leurs chevaux, courant bride abattue par des chemins de traverse. Choiseul et ses hussards n’étaient qu’à deux lieues. Varennes n’avait pas de maison de poste. Dans la nuit, les jeunes Maldent et Moustier ne savaient où trouver le relais qu’on avait préparé. Le baron de Goguelat qui, à Pont-de-Somme, aurait dû les renseigner, en était parti lui aussi, comme Choiseul, avant l’arrivée des voyageurs. Le temps passait. Louis XVI ni les siens ne savaient la gravité pour eux de toute minute perdue. On parlementait avec les postillons qui refusaient d’aller plus loin avec les mêmes chevaux. La discussion durait encore quand arrivèrent à Varennes Drouet et son compagnon Guillaume.

Cependant, à l’auberge du Bras d’or, tenue par un « patriote », Jean Leblanc, un groupe de jeunes gens, acquis aux idées révolutionnaires, causaient des évènements en cours : Paul Leblanc, frère de l’aubergiste, puis Julien-Georges, fils du maire-député de Varennes, pour lors absent de la ville, le greffier communal d’un village voisin et un paysan des environs, – quand ils entendirent le galop de deux chevaux lancés à toute vitesse. Les chevaux s’arrêtent à l’huis de l’auberge, la porte s’ouvre comme poussée d’un coup de vent, c’est Drouet dans un état d’exaltation extrême :

– Camarade, dit-il en s’adressant à l’aubergiste, es-tu bon patriote ?

– Mais certainement.

– Le roi a quitté Paris. Il est allé chercher des troupes à l’étranger. Je l’ai reconnu à Sainte-Menehould ; je l’ai devancé, mais il n’y a pas une minute à perdre !

Leblanc courut chercher le procureur syndic.

Quand les voitures royales, dont les postillons s’étaient finalement laissé convaincre à force de promesses, arrivèrent devant le Bras d’or, elles se virent entourées :

– Les passeports ! les passeports !

Un groupe d’hommes se pressaient autour des voyageurs, les uns munis de lanternes, les autres armés de fusils.

Le procureur-syndic, J.-B. Sauce, épicier-chandelier, était bon homme, mais hésitant, timoré. Il examine les passeports qui lui paraissent en règle et semble disposé à laisser les voyageurs poursuivre leur chemin, quand Drouet intervient d’un ton d’autorité. Il est certain que la dame de la berline et du passeport n’est pas la prétendue baronne de Korff.

En l’absence du maire, Sauce n’osait prendre de décision :

– Il est bien tard, on verra demain.

Le roi, avec une résolution qui ne lui était pas coutumière :

– Allons, postillons, en route, nous sommes pressés !

Mais Drouet veille avec ses « patriotes » :

– Encore un pas et nous faisons feu !

Deux ou trois fusils sont mis en joue. Il faut descendre de voiture. L’épicier-chandelier met gracieusement sa maison à la disposition des voyageurs. Aussi bien le jour ne doit-il pas tarder. La famille royale se rend donc chez Sauce où celui-ci fait servir à ses hôtes un frugal repas.

Le tocsin sonnait aux clochers des églises ; tout Varennes était dans les rues et voici que surviennent Choiseul et ses hussards. Il les a groupés devant l’hôtel de ville où il les harangue :

– Il s’agit de sauver le roi et la reine !

Mais les hussards ne comprennent pas le français. Dans la maison du procureur-syndic la discussion se poursuivait. Drouet tempêtait :

– C’est le roi, j’en suis sûr, j’en suis sûr !

À ce moment, la reine faillit se trahir :

– Si vous le reconnaissez pour votre roi, respectez-le.

La confusion était grande, quand un des assistants rappela qu’un juge du tribunal de la ville, nommé Destez, avait eu occasion de voir à Paris le roi et la reine. Sauce court le chercher ; Destez arrive ; à peine entré :

– Sire ! s’écrie-t-il en s’inclinant.

Et Louis XVI, en l’un de ces mouvements d’émotion, de confiance et de bonté qui lui étaient familiers :

– Eh ! bien oui, je suis votre roi !

Il embrassait Sauce, tout ému de se sentir dans les bras de son prince. Marie-Antoinette s’efforçait d’attendrir Mme Sauce ; la grand’mère du procureur-syndic, une vénérable octogénaire, tombait à genoux et demandait, les larmes aux yeux, à baiser les mains des enfants royaux. Devant la maison la foule grossissait. Choiseul voulait faire charger par ses soldats ceux qui feraient mine de s’opposer au départ des voitures ; Sauce continuait de tergiverser. Louis XVI déclarait qu’il ne voulait aucune violence, et les paysans des environs, appelés par les sons du tocsin et par des émissaires partis de Varennes à cheval, accouraient de toute part.

Une brave femme, qui savait l’allemand, s’était mise à haranguer les hussards, se faisant l’interprète des habitants de la ville. Les hussards fraternisaient à présent et buvaient avec les Varennois. Les minutes s’écoulaient. À six heures du matin on ne pouvait plus circuler dans les rues du patelin en émoi. Aux fenêtres, aux lucarnes, du haut des toits, les têtes se penchaient pour voir.

Les propos s’entrecroisaient :

– À Paris ! à Paris ! attelez pour Paris ou nous les fusillons dans leurs voitures !

Les avis s’entrechoquaient ; mais les « patriotes », enflammés par Drouet, prenaient le dessus ; enfin le bruit se répandit :

– Il retourne à Paris.

Le roi avait cédé, tandis que Bouillé attendait avec un fort détachement de ses troupes à neuf lieues de Varennes. Les voitures repartirent. Il était sept heures et demie du matin.

Drouet dira plus tard que le roi aurait passé sans obstacle s’il avait voulu monter à cheval, et que d’ailleurs l’escorte était plus que suffisante pour contenir les curieux qui se pressaient autour de la berline, « mais il ne voulut pas, ou plutôt, il n’osa pas ».

Retour affreux, lent, comme une lente agonie, sous les huées de la populace, accompagnées de scènes de violence.

Lenôtre donne une bien vivante description de l’émotion produite à Paris par la nouvelle de la fuite royale. Le « peuple » avait envahi le château des Tuileries. Il s’était précipité dans la chambre à coucher de la reine, ouvrant les armoires, sondant les couchages ; on pensait que tout cela devait regorger de secrets monstrueux. Une marchande des quatre saisons s’était installée sur le lit de la reine. On était dans la saison des cerises, aussi la commère de crier à pleins poumons :

– Allons ! allons ! la cerise est mûre ! la belle cerise ! Qui veut de ma belle cerise, la livre à six sols ?

Le retour se fit rapidement dans le début, sous la crainte d’une attaque des soldats commandés par Bouillé : de loin on voyait les casques de ses dragons briller sur le haut des coteaux ; après quoi l’allure se ralentit.

La partie la plus douloureuse du voyage fut celle qui précéda l’arrivée à Épernay. Une horde mugissante encadrait la voiture royale. Cris de haine, injures ordurières, cris de mort. La chaleur était étouffante ; les voyageurs en souffraient beaucoup dans l’intérieur de leur carrosse. Au village de Chouilly d’immondes voyous allèrent jusqu’à cracher à la figure du roi.

Au hameau de La Cave, en Champagne, les trois députés de l’Assemblée nationale, Barnave, Pétion et La Tour-Maubourg, délégués pour ramener la famille royale à Paris, rencontrèrent ceux qu’ils venaient chercher. Louis XVI insista pour qu’ils prissent place dans sa voiture. La conversation ne tarda même pas à s’engager entre les constituants et leurs prisonniers. Louis XVI charma Barnave par sa bonhomie ; Marie-Antoinette l’eut bientôt conquis par sa grâce, par sa douleur profonde et digne. La nuit était claire sous les rais de la lune pure dans le grand ciel. Les voyageurs étaient tassés dans la berline, dont la banquette du fond était occupée par le roi et la reine, Barnave assis entre eux. Il avait pris la place du Dauphin que sa mère tenait sur ses genoux. Sur la banquette de devant, la duchesse de Tourzel et Madame Élisabeth, Pétion entre les deux dames à la place occupée précédemment par Madame Royale qui l’avait quittée pour se tenir debout, appuyée contre sa gouvernante.

La Tour-Maubourg était monté dans le cabriolet auprès des femmes de chambre.

Il arriva que, dans la somnolence nocturne, Madame Élisabeth pencha la tête sur l’épaule de Pétion, ce qui induisit le farouche jacobin à lui passer le bras autour de la taille. Il était beau garçon, en avait la conviction et qu’il n’était pas aisé de lui résister. Dans la situation où elle se trouvait, il n’était guère possible à la sœur de Louis XVI de témoigner de l’humeur au représentant de l’Assemblée nationale ; Pétion ne tarda pas à se persuader agréablement que, sur la liste des cœurs nombreux qu’il avait enflammés, il y avait lieu d’inscrire un nom de plus, et quel nom : la sœur du roi ! « Elle me fixait, écrit le bellâtre, avec des yeux attendris ! »

De temps à autre, le petit Dauphin éprouvait un besoin qui eût contraint la voiture à s’arrêter. On y pourvoyait par l’emploi d’un gobelet que tenait la reine et qu’elle vidait par la portière. Fonctions où Barnave ne dédaigna pas de la suppléer.

Claye, où l’on change de chevaux ; Villeparisis : midi sonne ; les voitures s’engagent dans la forêt de Bondy. On n’est plus éloigné de Paris que de quelques lieues, comme l’indiquait au reste la surexcitation des passants transformés en badauds. Apparaît un détachement de la garde à cheval parisienne, qui ne tarde pas à être suivi d’un flot tumultueux de femmes échevelées, dépoitraillées, délirantes, bataillantes, avinées. Quel fond d’égout a pu vomir pareille écume ? Il s’agit d’approcher de la reine : celles de derrière passent sur le dos de celles de devant qu’elles ont renversées afin de pouvoir crier de plus près à la princesse qui les regarde avec un amer sourire :

– Chienne d’Autrichienne ! bougresse ! gueuse ! p... !

– Hé ! voyez comme elle nous tend son gosse ! On sait bien qu’il n’est pas du gros cochon !

Mais à partir de Pantin, sous un soleil écrasant, va s’imposer la consigne fixée par l’Assemblée nationale : « Silence ! un silence absolu ! pas un cri, pas un mot sur le passage du roi. » Le silence : leçon des rois.

Mais quelques sans-culottes ont grimpé sur le haut de la berline où ils se démènent en saltimbanques. D’autres se sont agrippés aux flancs du véhicule au risque de tomber sous les roues qui tournent. Les gardes du corps, assis sur le siège en leurs livrées couleur chamois, ont tout aussitôt attiré l’attention. Dix fois, depuis le départ de Varennes, la foule a voulu les mettre en pièces. Deux grenadiers, accrochés de chaque côté du siège, ont la plus grande peine à défendre les deux hommes contre les assaillants.

L’entrée dans Paris aurait dû s’effectuer par la barrière de la Villette ; mais l’Assemblée avait tenu à ce que le retour du prince fugitif s’accompagnât d’une solennité impressionnante. Les voitures contournèrent l’enceinte de la ville pour faire leur entrée par la barrière de Neuilly, afin que l’espace magnifique offert par l’avenue de Neuilly, l’avenue des Champs-Élysées, la place Louis XV – demain place de la Révolution – et le jardin des Tuileries servît de cadre inoubliable à la manifestation qui se préparait.

Et les voitures allaient lentement. À perte de vue, depuis la barrière de Neuilly jusqu’aux Tuileries, par cette voie plus large qu’une voie romaine, ce ne sont que têtes serrées l’une à l’autre comme épis de blé avant la moisson. Un silence de mort. De chaque côté de l’avenue une rangée de gardes nationaux contiennent la foule pressée. Ils présentent l’arme, mais gueule en bas, crosse en l’air, en style de pompe funèbre.

Aussi bien, ne s’agissait-il pas d’un enterrement ? – Funérailles d’une monarchie, de la plus glorieuse monarchie qui ait paru dans le monde, ensevelissement d’un trône séculaire et plus de dix fois.

 

 

 

IV

 

LES LETTRES DE LA REINE

 

 

Rentrée aux Tuileries, Marie-Antoinette s’y trouva plus étroitement surveillée que jamais. Des gardes à toutes les portes, jusque sur les toits. Elle ne pouvait se lever, s’habiller, se coucher que devant ses gardiens. Pour se rendre chez son fils, il lui fallait le cortège de deux hommes.

La reine se sent très isolée. Elle a pour son mari affection et respect ; mais elle le domine de son énergie, de sa décision, de son activité, de son intelligence. Pour sa belle-sœur, Madame Élisabeth, elle éprouve une profonde tendresse, mais leurs caractères ne s’harmonisent pas, à quoi vient s’ajouter qu’elles diffèrent d’opinion sur les questions les plus importantes. Entre les deux femmes s’élèvent parfois les discussions les plus vives, et leurs natures à toutes deux étaient trop fortement trempées pour que l’une cédât facilement à l’autre. Dans la suite les malheurs, des malheurs inouïs, les souffrances communes les rapprocheront ; pour le moment se dressent entre elles des divergences incessantes. Parmi les relations que la reine a pu conserver, nul conseiller en qui elle ait confiance. L’un des dons qui manqua à Marie-Antoinette fut celui de lire dans les caractères, partant de bien placer sa confiance. Elle ne put comprendre la sincérité des sentiments que lui exprimait un Mirabeau. Durant le douloureux trajet du retour à Paris, dans l’ample berline, elle avais ému le constituant Barnave ; de ce jour la sympathie du député lui fut acquise ; mais elle continua à se défier de lui. Des hommes comme Mirabeau et Barnave lui auraient été de grand secours : elle les négligea.

Les constituants Duport et Lameth, qui lui étaient également bienveillants, avaient introduit auprès d’elle un bien curieux et intéressant personnage, l’abbé Louis-Dominique Louis. Il inclinait aux idées réformatrices. En la cérémonie commémorative de la Fédération (14 juillet 1790) l’abbé Louis assista Talleyrand officiant en qualité d’évêque d’Autun. Talleyrand avait pour lui une haute estime. Au fait, Louis était homme de grande valeur et dont la carrière se développera de la manière la plus surprenante. Napoléon Ier le nommera directeur du contentieux financier et fera de lui le fameux « baron Louis », ministre des finances sous Louis XVIII, enfin sous Louis-Philippe. Le baron Louis a laissé la réputation du meilleur ministre des finances que la France ait connu au XIXe siècle. Il est de lui le fameux adage :

– Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances.

Voici comment Marie-Antoinette le jugeait :

« C’est un homme d’esprit, grand intrigant, et de ces amis de tout le monde et de tous les partis. » (Lettre au comte de Mercy, 31 juillet 1791.)

Dans ces conditions les lettres écrites dans l’angoisse à ceux de ses conseillers auxquels elle se confiait, devenaient à la souveraine un soutien nécessaire.

Par les conditions imposées à la reine, cette correspondance ne pouvait se faire en clair. Elle est tantôt – parmi des passages en écriture courante – tracée en encre sympathique ; tantôt entièrement chiffrée.

Les correspondants disposaient de part et d’autre d’un exemplaire d’une édition déterminée de Paul et Virginie, le roman de Bernardin de Saint-Pierre. Chacun des chiffres marquait la page, puis la ligne, enfin le rang dans cette ligne de la lettre employée. Les missives étaient ensuite expédiées, tantôt par des mains dont la fidélité était assurée ; tantôt dissimulées en une boîte de biscottes ou en un panier de fruits, ou bien fixées dans la doublure d’une robe ou d’un habit.

Les deux principaux correspondants de Marie-Antoinette, du jour de son retour aux Tuileries, furent le comte de Mercy-Argenteau et le comte Axel Fersen ; Mercy, l’intelligent conseiller que Marie-Thérèse avait attaché à la personne de sa fille ; Fersen, le noble gentilhomme qui s’était pris pour la jeune reine de l’enthousiasme le plus généreux. L’un et l’autre, cœurs dévoués ; mais l’un et l’autre des étrangers : Mercy était autrichien, Fersen suédois. Ils vivaient alors hors de France ; par ce fait même les conseils qu’ils donnaient ne pouvaient toujours être des meilleurs.

Marie-Antoinette a décidément pris la direction du ménage royal et se rend à présent compte que, plus d’une fois, elle s’est trompée sur la manière dont il convenait de parler, d’agir. Elle s’en ouvre franchement au comte de Mercy :

« La situation où je me trouve me fait désirer votre présence à Paris. Je crains de m’être trompée sur la route qu’il fallait suivre ; j’ai besoin de vos conseils. » (29 juillet 1791.)

La reine a vécu séparée du peuple de France par la barrière redoutable que formait le monde même de la Cour. Elle ne sait rien de ce peuple qui vient de mettre si brusquement et si brutalement la main sur la direction des affaires publiques.

Un mot devenu fameux a été prêté à Marie-Antoinette. Le peuple se plaignait de manquer de pain :

– Hé ! que ne mangent-ils de la brioche ?

Le mot est certainement controuvé ; il n’en est pas moins caractéristique.

Aussi est-on non seulement attristé mais, par moments agacé, par la lecture de ces longues dissertations, de ces plans et projets politiques, diplomatiques, voire militaires, exposés par la reine à Mercy, à Fersen, quand ce n’est pas à son frère l’empereur Léopold qui vient de succéder (1790) à Joseph II. On en est un peu agacé, non parce que ce seraient là matières étrangères à la compétence d’une femme, – une Marie-Thérèse, une Catherine de Russie abordaient questions pareilles avec une singulière autorité, – la pauvre reine se perd en ces matières qu’elle ne connaît pas. Mais il est intéressant de suivre l’idée que la reine se faisait du gouvernement et des réformes à introduire pour remédier aux désordres et aux maux du moment.

Pour Marie-Antoinette le gouvernement est tout entier dans l’autorité royale exercée par un prince honnête et bon, dévoué à son peuple. Il gouverne pour le bien de tous et pour le sien propre, car le bien du roi se confond nécessairement avec celui de la nation. Sur ce point la reine ne laisse d’ailleurs pas d’émettre des idées justes. Elle indique très bien que le roi, se trouvant placé au-dessus des partis, peut seul parer efficacement aux dissensions intestines qui font naître les conflits entre factions rivales ; mais d’autre part elle n’imagine pas que le roi, ne pouvant tout faire par lui-même, est obligé de laisser aux nombreux auxiliaires qui lui sont nécessaires, une grande part d’action, partant d’indépendance, de responsabilité. Dans la France du XVIIIe siècle, elle condamne ce qu’elle nomme les aristocraties, aristocraties qui n’étaient pas pour elle les classes dites privilégiées, la noblesse s’emparant des charges de Cour, des hauts grades dans l’armée, des dignités ecclésiastiques ; non, pour Marie-Antoinette, les aristocraties de l’ancienne France étaient : les États dans les provinces qui, comme le Languedoc, votaient encore par eux leurs impôts ; puis les Parlements, enfin, les corporations ouvrières. Ces aristocraties, au jugement de la reine, l’Assemblée constituante a bien fait de les abolir ; quant au reste de sa « constitution », et que le roi s’est vu contraint de ratifier, c’est une « monstruosité ».

Il en va de même des idées que Marie-Antoinette se fait de la situation extérieure. En femme qu’elle est, féminine entre les plus féminines, Marie-Antoinette voit toute chose de son propre point de vue, et avec la plus grande sincérité. Non, certes, dans des sentiments égoïstes, car si jamais égoïsme fut absent d’une âme humaine, ce fut bien de celle de Marie-Antoinette. Elle ne parvient pas à comprendre que Léopold II n’intervienne pas plus énergiquement en faveur de son beau-frère le roi de France. Elle ne peut concevoir les conditions où l’empereur d’Autriche se trouve du fait même de la couronne qu’il porte.

Les premiers mois de cette correspondance nous montrent la reine cherchant le salut du roi son mari, celui des siens, le sien propre dans la patience, la résignation : les Français ne tarderont pas à reconnaître leur erreur ; mais voici qu’avec les semaines qui passent la situation de la famille royale, celle de la France elle-même aux yeux de la reine, ne vont qu’empirant : le désordre grandit, le péril devient de plus en plus menaçant.

Ainsi parmi les cris d’effroi que lui arrache le danger qui croit, la pensée de la reine, sous l’empire d’une crainte lancinante pour son mari, pour ses enfants qui font toute sa vie, en arrive-t-elle à se tourner, dans l’angoissante recherche d’un sauveur, vers l’étranger. Certes elle ne désirera jamais voir la France envahie par les armées des États voisins coalisés, le pays saccagé, répandre le sang de ses sujets, comme on le lui reproche injustement. Tout au contraire, elle demeure inébranlablement hostile – et c’est un sujet de vives querelles avec sa belle-sœur Élisabeth – aux projets et à l’activité des émigrés groupés sur la frontière autour des frères du roi. Ce que la reine désire, ce serait de voir se réunir dans une ville voisine des frontières, Cologne ou Aix-la-Chapelle, ce qu’elle nomme un « congrès armé », une réunion de représentants des principales puissances européennes, Autriche, Prusse, Russie, Suède, Espagne, avec une force armée considérable qui en imposerait au gouvernement révolutionnaire et le mettrait en demeure de rendre à la France paix et tranquillité, de replacer le roi sur le trône, de rendre à la noblesse les biens dont elle a été dépouillée, à l’Église de France sa constitution traditionnelle. La menace ainsi dressée n’entrerait d’ailleurs pas en action ; le roi apparaîtrait en médiateur, en conciliateur ; dans un mouvement de gratitude, les Français lui rendraient son autorité et tout rentrerait dans un ordre qui ferait renaître bonheur et prospérité sous la bienfaisante direction de la monarchie reconstituée.

Avec une inlassable ténacité, Marie-Antoinette ne cesse de pousser Mercy et Fersen à s’efforcer de réaliser son rêve. Projets évidemment d’une conception enfantine. Quel serait l’effet produit en France par un manifeste des États étrangers coalisés ? On ne tardera pas à en juger par la trop fameuse proclamation que lancera de Coblence le duc de Brunswick. À Valmy, l’armée allemande sera dispersée par l’artillerie française comme un vol de perdrix à l’approche du chasseur.

Et la pente où la reine se trouve ainsi fatalement poussée, combien va-t-elle devenir dangereuse !

Dans son désir de voir rétablir en France armoiries et écussons, dont l’Assemblée a décrété l’abolition, elle demandera la disparition du drapeau tricolore qui les a remplacés, ces trois couleurs depuis Valmy glorieusement chères au cœur des Français ; elle en arrivera à regretter les succès mêmes remportés par ses propres sujets sur les armées étrangères. Il est vrai que, dans les nécessités de sa pensée, ces succès formaient un regrettable obstacle au bonheur et à la prospérité de la France. Et comme on arrive par cette voie à comprendre – tout en demeurant toujours très loin d’en excuser la violence, la cruauté, la méchanceté et l’obscénité – l’antipathie, les sentiments de haine qui se formèrent contre l’Autrichienne, accrus, exaspérés par le déchaînement des passions qu’exaltaient les affres de la terreur.

Ce qui amène à se poser cette question :

L’action de la reine, dans ces circonstances, n’a-t-elle pas été néfaste à la cause qu’elle cherchait à défendre ?

Certes, Louis XVI, faible et indécis, n’était pas l’homme qu’exigeaient les évènements ; mais sa bonhomie même, et qui n’était pas dépourvue de finesse, leur eût fait suivre un cours moins violent. L’action de Marie-Antoinette, en son caractère résolu, impérieux parfois, très nerveux et, dans sa décision même, très féminin, nous paraît avoir été en sa noblesse fatale au roi et au Dauphin que la reine plaçait au-dessus de tout au monde, fatale même à cette monarchie dont elle avait une si haute conception.

 

 

 

V

 

DERNIER SÉJOUR AUX TUILERIES

(26 juin 1791 – 9 août 1792)

 

 

Aux Tuileries la populace venait jusque sous les fenêtres où s’asseyait la reine occupée à quelque broderie, vomir les pires outrages contre elle.

Et comme le petit Dauphin entendait dire devant lui :

« Elle est heureuse comme une reine. »

– Il ne faut pas parler ainsi, maman pleure toujours.

L’enfant adorait sa mère. Celle-ci lui reprochait de ne pas savoir lire à cinq ans :

– Eh bien, je saurai lire pour vos étrennes, maman.

À la fin de novembre, conte la duchesse de Tourzel, il dit à son précepteur :

– Il faut que je sache lire pour le jour de l’An, car je l’ai promis à maman.

– Mais, lui dit l’abbé d’Avaux, il n’y a plus qu’un mois pour cela.

– Donnez-moi, je vous prie, mon bon abbé, deux leçons par jour ; je m’appliquerai tout de bon.

Et, au jour fixé, le petit Dauphin de cinq ans entra chez sa mère tenant un gros livre sous le bras :

– Gentille maman, voilà vos étrennes, je sais lire !

Louis XVI a cru devoir se séparer des ministres girondins, Servan, Roland, Clavières (12-13 juin 1792) ; signal dans Paris, ou plutôt dans les clubs qui surexcitaient les faubourgs, d’une nouvelle agitation. Le brasseur Santerre, le boucher Legendre, le capucin Chabot, Fournier l’Américain se mirent à la besogne : contraindre le roi à rappeler les « bons ministres » et à sanctionner les décrets. Il s’agissait des deux décrets, l’un contre les émigrés, l’autre contre les prêtres non assermentés, c’est-à-dire contre ceux qui n’avaient pas voulu se soumettre à la constitution civile du clergé, décrets auxquels le roi Louis XVI, conformément au droit que venait de lui reconnaître l’Assemblée constituante, avait opposé son veto, qui en suspendait l’activité.

Le prétexte pour ameuter les « patriotes » et les jeter sur les Tuileries était de commémorer l’anniversaire du serment du jeu de paume en plantant sur la terrasse des Feuillants (Tuileries) un arbre de la liberté. Comme disait une adresse à l’Assemblée nationale et dont elle fit voter l’impression : « Le jour de la colère du peuple était arrivé. »

Le 20 juin, dès la pointe du jour, vit-on se former une masse hétéroclite où, comme l’a dit un historien moderne, « le burlesque dominait ». La bande, où se confondaient les éléments les plus divers, grossissait d’instant en instant. C’étaient des crocheteurs, des porte-balle, des gagne-petit, rouleurs, bricoleurs et goujats, quelques gardes nationaux, beaucoup gens sans métier ou d’un métier inavouable ; un « bataillon de femmes » avec des sabres, des épées, des pistolets, des broches ; puis – ô merveille ! – « deux cents invalides centenaires », dont les Révolutions de Paris – un périodique du temps, – parlent avec attendrissement. La « forêt ambulante des piques » où flottait une vieille culotte portée en manière d’étendard, une forêt où les clameurs dissonantes tenaient lieu du chant des oiseaux, commença par envahir au Manège la salle où siégeait l’Assemblée nationale. Celle-ci dut en contempler le défilé, agrémenté de cris et de harangues, trois heures durant. En des « mouvements divers » les députés témoignaient leur sympathie aux manifestants et d’un enthousiasme dont la sincérité n’égalait peut-être pas le bruyant éclat. François de Nantes, qui présidait, se mettait la main sur le cœur pour déclarer à ces cohortes de braves qu’ils pouvaient se fier à la vigilance et à l’autorité de l’Assemblée nationale qui saurait bien entraver et réprimer « les crimes des conspirateurs ».

La « forêt ambulante » estima qu’il était plus sûr d’aller « entraver et réprimer » elle-même ; et voilà nos braves en route pour le château.

La famille royale y était réunie.

Quatre heures de l’après-midi. Un bruit confus, comme celui d’un océan démonté, surgit au loin et va s’accentuant. La rumeur d’un tonnerre qui gronde, où percent des cris et des clameurs. Le château est envahi d’une foule de peuple hurlant :

– À mort ! À mort !

Les grilles du palais n’étaient pas closes. En quelques instants les assaillants se sont répandus à l’intérieur, enfonçant à coups de haches les portes fermées. Parvenus en présence du monarque, les braves se mettent à l’insulter. Louis XVI reste très calme. En ces circonstances, sa nature placide, indolente un peu, lui donnait une force de résistance qui ne laissait pas de s’élever jusqu’à la dignité. On le bousculait, on l’injuriait. « On lui dit beaucoup de sottises », avoue le député jacobin Michel Azéma. Dans le tumulte dominaient les injonctions :

– Rappelez les ministres !... Sanctionnez les décrets !... Pas de veto, mon gros Veto !...

Le roi répondait avec calme et non sans autorité :

– Ce n’est pas le moment de se décider sur des mesures sérieuses ; il y faut de la réflexion, quelques conseils. Comme vous, j’ai un cœur patriote, j’aime mon pays, j’aime mon peuple.

Et, s’avançant vers l’un de ceux qui, le cou tendu, les yeux injectés, le fixaient d’un regard chargé de haine, il enleva au sans-culotte son bonnet rouge pour s’en coiffer.

La chaleur était étouffante. Parmi les gens qui remplissaient la salle, verres et bouteilles cliquetaient. Il fallut que le roi bût à la santé de la Nation :

– Le roi boit !...

La fureur du peuple tournait en bonne humeur.

Cependant que, enfermée dans la chambre du Dauphin avec la duchesse de Luynes, avec la princesse de Lamballe et le duc de Choiseul, la reine tremblait pour la vie de son mari. Elle insistait pour qu’on la laissât le rejoindre. On lui répondait que ce serait s’exposer à une mort certaine :

– Qu’ai-je à craindre ? Le pis serait d’être tuée !... Laissez-moi me rendre auprès du roi, mon devoir m’y appelle.

À ce moment, survinrent quelques grenadiers des Filles-Saint-Thomas demeurés fidèles à leur prince. Ils firent sortir Marie-Antoinette et l’entraînèrent avec Madame Royale et le Dauphin dans la salle du Conseil.

Peu après, enfonçant la porte à coups de haches, les insurgés apparaissaient.

Les grenadiers ont placé devant Marie-Antoinette et ses enfants la grande table autour de laquelle le conseil des ministres avait coutume de siéger. La reine contemple ces bouches livides, des figures rouges de sang, des poings tendus : une masse humaine frémissante, dont elle et ses enfants ne sont séparés que par la largeur de quelques planches. « La reine est debout, écrivent Edmond et Jules de Goncourt, Madame est à sa droite, se pressant contre elle. Le Dauphin, ouvrant ses grands yeux comme les enfants, est à sa gauche. Les hommes, les femmes, les piques, les couteaux, les cris, les injures, tout se rue contre la reine. De ces cannibales, l’un lui montre une poignée de verges avec l’écriteau : Pour Marie-Antoinette. L’autre balance au-dessus de sa tête une petite potence où est accrochée une poupée de femme. Un autre, sous les yeux de la reine qui ne baissent pas leur regard, avance un morceau de viande en forme de cœur qui saigne sur une planche. »

On a brutalement coiffé d’un bonnet rouge la reine et son fils. Des femmes échevelées lui crachent au visage des ordures dont Marie-Antoinette aurait eu honte de rougir. Elle dit d’une voix tranquille :

– M’avez-vous jamais vue ? Vous ai-je fait quelque mal ? On vous a trompés : je suis Française. J’étais heureuse quand vous m’aimiez !

Et voici qu’à cette voix douce et triste, à ce regard triste et beau, à ce calme qui brise la tempête, la fureur tombe étonnée. La pitié ouvre les cœurs. L’humanité reprend son empire sur ces gens du peuple, abrutis d’alcool, ivres de calomnies. Celles qui vomissaient des outrages la gorge tendue, restent silencieuses et sentent sur leurs joues rugueuses des larmes couler :

– Ces femmes sont soûles, hurle le brasseur Santerre.

Il hausse les épaules et s’approche de la table, où il s’accoude avec un ricanement. Mais voici que ses lèvres à lui aussi se ferment, car à son tour la reine l’a regardé de son regard profond. Il balbutie. Est-ce que lui aussi aurait trop bu ? Et, pour se donner contenance :

– Ôtez ce bonnet à cet enfant, dit-il en se tournant vers le petit Dauphin. Voyez comme il a chaud !

Pauvre mioche qui, le lendemain, à une prise d’armes au château, dira à sa mère :

– Maman, est-ce qu’hier recommence ?

Marie-Antoinette, prise d’angoisse, pleurait : « Ils m’assassineront. Que deviendront mes enfants ? »

Le 4 juillet, la reine écrivait au comte de Mercy-Argenteau :

« Vous connaissez déjà les évènements du 20 juin ; notre position devient tous les jours plus critique. Il n’y a que violence et rage d’un côté, faiblesse et inertie de l’autre. L’on ne peut compter sur la garde nationale, ni sur l’armée. »

À l’Assemblée nationale un Vergniaud, un Brissot s’élevaient avec violence contre ce qu’ils appelaient « les trahisons de la Cour » et dont la reine aurait été l’instigatrice. « Une reine perverse, criait Marat, fanatise un roi imbécile, et élève ses louveteaux à la tyrannie. »

Le jardin des Tuileries, qui était demeuré fermé pendant quelques jours après le 20 juin, a rouvert ses portes.

Sous les fenêtres mêmes des Tuileries, sur cette terrasse des Feuillants où, durant tout le XVIIIe siècle, s’étaient réunis les plus fameux nouvellistes façonnant l’opinion du jour, des groupes hostiles pérorent, interrompent les discussions pour crier des menaces qui viennent blesser les oreilles de la reine. Là se plaisent à s’arrêter les camelots qui vendent des estampes immondes où Marie-Antoinette est figurée en des scènes dégoûtantes. Ils crient jusqu’à elle les titres des pamphlets écrits contre elle avec la boue des ruisseaux. Souvent la reine, malgré sa fermeté et sa résignation, est obligée de se retirer dans l’intérieur de ses appartements. Puis, par moments, elle reprend courage. Elle veut aller dans le jardin même, parmi ce peuple égaré :

– Je leur dirai que je les aime, murmure-t-elle, je leur dirai que je suis Française... je ne serais pas Française, moi, la mère d’un Dauphin !

Puis elle s’arrête dans la pièce où elle marchait d’un pas fiévreux. Elle voudrait retrouver les illusions perdues. Elle se sent impuissante. Que pourrait la voix d’une femme jetée dans la tempête ? La calomnie a cent et mille et cent mille voix pour étouffer la sienne : elle a les organes de la presse, les criailleries des clubs, les commérages des nouvellistes ; elle a la tribune de l’Assemblée.

Les pamphlets immondes composés contre la reine de France s’étalent aux devantures des libraires. En vain la police, sur ordre du ministre, veut-elle les saisir. Quelques exemplaires en sont-ils supprimés, un plus grand nombre reparaissent. L’un des plus connus porte pour titre : La Messaline française ou les nuits de la duchesse de Polignac ; celle-ci, comme on sait, l’une des meilleures amies de la reine. Le 22 juillet 1790, en une descente de police, passage de Valois, chez un marchand de vin, on en trouve quarante-cinq exemplaires, mêlés à quatre-vingt-sept exemplaires de la Vie privée, libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette. La liste de ces affreux écrits, qui soulèvent le cœur par leur pornographie vulgaire et irritent la pensée par leur basse méchanceté, serait longue à établir. Voici les Fureurs utérines de Marie-Antoinette, femme de Louis XVI ; – les Derniers soupirs de la garce en pleurs ; – le B... national sous les auspices de la reine ; – les Étrennes de la déesse Hébé à la Messaline royale..., cent autres. Quelques-uns de ces pamphlets sont illustrés d’images répugnantes que les camelots font admirer en manière de réclame à la foule qui se promène dans le jardin, sous les yeux mêmes de la famille royale ; et les badauds de rire de la drôlerie.

Les chansons montent jusqu’à elle :

 

            Madame Veto (la reine) avait promis

            De faire égorger tout Paris.

 

Les gardiens du jardin veulent faire taire les chanteurs qui leur répondent par des grossièretés ; une rixe s’engage et les camelots vont se plaindre à l’Assemblée nationale qui les admet aux honneurs de la séance.

La reine s’imposait la promenade du jardin pour la santé de ses enfants ; elle y était accueillie par des injures ; parfois la pauvre mère en était contrainte de rentrer avec ses enfants au palais.

À dater des derniers jours de juillet il fallut entièrement renoncer à la promenade.

Le séjour de la famille royale aux Tuileries fut marquée d’une tentative d’assassinat. Certaine nuit, vers une heure du matin, Marie-Antoinette, qui ne dormait pas, s’entretenait avec Mme Campan. Un bruit de pas étouffés vint jusqu’à elle. Dans le couloir un homme marchait avec précaution, s’arrêtant par moments pour prêter l’oreille. Allure d’un individu qui craint d’être découvert. Un valet de chambre, que Mme Campan s’empressa d’aller prévenir, se jeta sur l’inconnu, le maîtrisa :

– Oh ! Madame, s’écria le fidèle serviteur, je le connais, c’est un scélérat !

La reine intervint :

– Lâchez-le ; il venait pour m’assassiner : demain les Jacobins le porteraient en triomphe.

Puis se tournant vers sa femme de chambre :

– Quelle position ! Des outrages le jour, des assassins la nuit !

Après l’incident les administrateurs du château firent changer les serrures et, sur la volonté de Louis XVI, Marie-Antoinette quitta son appartement du rez-de-chaussée pour aller occuper au premier étage une chambre que lui céda Mme de Tourzel. Pour combler les précautions on installa dans la chambre de la reine un petit roquet dont les aboiements l’avertiraient la nuit, en la tirant de son sommeil.

Marie-Antoinette avait hésité de se prêter au changement de logis, dans la crainte de contrarier la gouvernante de ses enfants. « Cette princesse, écrit cette dernière, était si bonne et si occupée de tous ceux qui lui étaient attachés, qu’elle comptait pour beaucoup de leur causer la moindre petite gêne. Jamais la princesse ne fut plus attachante, ne marqua plus de sensibilité pour le dévouement qu’on lui témoignait et ne fut plus occupée de ce qui pouvait être agréable aux personnes qui l’approchaient. Croirait-on qu’une reine de France en était réduite à avoir un petit chien dans sa chambre pour l’avertir du moindre bruit qu’on ferait entendre dans son appartement ? »

Parmi ces épreuves, contrairement à ce qu’on aurait imaginé, la santé de la reine, loin de s’altérer, s’était au contraire affermie. Au temps des jours brillants de Versailles, elle souffrait de crises nerveuses. Celles-ci avaient disparu. Ce qui amena sur ses lèvres ce mot à retenir :

– Les maux de nerfs, c’est pour les femmes heureuses.

La journée du 20 juin fit éclore en des cœurs généreux de nouveaux plans d’évasion.

Le prince Georges de Hesse lui fit exposer le projet qu’il avait conçu, mais où il ne pouvait être question que d’elle-même. Marie-Antoinette l’écarta d’un mot :

– Il ne peut être question que je me sauve en abandonnant les miens.

Elle disait à la duchesse de Tourzel :

– Mon parti est pris ; je regarderais comme la plus insigne lâcheté d’abandonner dans le danger le roi et mes enfants. Que serait d’ailleurs la vie pour moi sans des objets aussi chers et qui peuvent seuls m’attacher à la vie ?

Documents publiés par Maxime de la Rocheterie en sa belle Histoire de Marie-Antoinette.

Dans la nuit du 24 au 25 juillet, Mme Campan reçut avis que la populace des faubourgs s’apprêtait à donner l’assaut aux Tuileries. Il s’agissait d’enlever le roi. Le tocsin sonnait. La femme de chambre de la reine voulait la réveiller. Louis XVI s’y opposa :

– La reine est bien fatiguée.

À son réveil, Marie-Antoinette reprocha vivement à sa fidèle servante de ne pas l’avoir tirée de son sommeil :

– Mes forces n’étaient pas abattues comme on le disait ; le malheur en donne de grandes. Madame Élisabeth était auprès de son frère, prête à lui donner courage et moi je dormais, moi qui voudrais mourir à ses côtés. Je suis sa femme et je ne veux pas qu’il coure le moindre danger sans moi.

Mais la reine était trop clairvoyante pour ne pas se désoler de la faiblesse de son mari :

– Le roi, disait-elle, a peur de commander et craint, plus que toute autre chose, de parler aux hommes réunis. Quelques paroles bien accentuées, adressées aux Parisiens, centupleraient les forces de notre parti ; mais le roi ne les dira pas... Pour moi, je pourrais bien agir et monter à cheval, s’il le fallait ; mais si j’agissais, ce serait donner des armes aux ennemis du roi. Le cri contre l’Autrichienne, contre la domination d’une femme serait général en France. Une reine, dans les circonstances où nous sommes, ne peut que se préparer à mourir.

Les Marseillais avaient fait leur entrée dans la capitale en bandes braillardes, mais qui, pour avoir fait retentir aux échos l’hymne sublime de Rouget de l’Isle – composé à Strasbourg – eurent la gloire de donner leur nom au chant national des Français. Récemment, M. Marcel Marion a écrit en détail les faits et gestes de ces bravaches qui regagnèrent leur côte d’azur, après avoir beaucoup chanté, clabaudé, braillé, hâblé, fanfaronné et massacré les défenseurs des Tuileries dans la journée du 10 août 1792 – affaire où ils perdirent cependant une centaine d’hommes. Quant aux féroces soldats, dont le sang impur devait abreuver nos sillons, oncques n’en virent-ils la silhouette.

Le manifeste du duc de Brunswick, lancé de Coblence, le 25 juillet 1792, devait surexciter à l’extrême les passions déchaînées. Louis XVI s’empressa d’en démentir la forme et l’esprit en un message à l’Assemblée nationale. Il est bien certain qu’à la rédaction du document il n’avait eu aucune part ; il est non moins certain que le manifeste était contraire à sa pensée en ses points essentiels ; – la fâcheuse manifestation n’en contribua pas moins à précipiter les évènements.

Le 3 août, Pétion, successeur de Bailly à la mairie parisienne, au nom de quarante-six sections de la capitale, demandait à l’Assemblée de voter la déchéance du roi ; cependant qu’on éloignait les derniers défenseurs capables de former un rempart à la monarchie attaquée, un régiment de ligne et les deux tiers de ce qui restait du corps des gardes suisses.

La terreur régnait à Paris. Les rares députés qui n’avaient pas ostensiblement fait trophée de leur hostilité contre la famille royale, étaient journellement injuriés, malmenés. Des hommes armés de piques, coiffés de bonnets rouges, se faisaient introduire dans l’Assemblée nationale pour y proposer les motions les plus incendiaires.

Ainsi nous arrivons aux journées des 9 et 10 août 1792, dont Louis Madelin, en son histoire de la Révolution, a tracé un tableau saisissant.

Les bandes armées commençaient à cerner les Tuileries, dont le château était menacé par des canons établis sur le Pont-Neuf et sur les terrasses. La garde nationale massée dans le jardin, témoignait de dispositions hostiles. Louis XVI descendit pour la passer en revue. Hélas ! en ces circonstances il était tout le contraire de l’homme qu’il fallait, de l’homme qui sait d’instinct trouver le mot qui électrise, fait tomber la malveillance et la transforme en sentiments dévoués. Il allait lentement, pesamment, les yeux rougis, bouffis, répétant lourdement : « J’aime la garde nationale. »

« Je le vois encore, passant devant notre front, écrit Frénilly, soucieux, se dandinant et semblant dire :

« – Tout est perdu. »

« Tandis que des canonniers débandés le suivaient en criant : « À bas le roi ! le gros cochon ! »

Une partie importante de l’Assemblée nationale, comprenant en majorité des membres de la gauche, était rassemblée dans la salle du Manège.

Au château, Roederer, procureur syndic du département de la Seine, disait devant le roi et à ses entours :

– Pourquoi Sa Majesté n’irait-elle pas se réfugier parmi les députés ?

– Au sein de l’Assemblée ?...

– Oui, Sire, Votre Majesté n’a pas d’autre parti à prendre.

La reine seule protestait.

– Mais nous avons des forces ! Sommes-nous abandonnés ? Personne donc ne peut agir ?

Roederer insistait :

– Le temps presse.

Et Louis XVI, se tournant vers sa femme :

– Marchons.

« Ils marchaient à l’échafaud », souligne Madelin.

« Un petit officier Corse, ajoute l’éminent historien, de la terrasse des Tuileries regardait Louis XVI s’en aller sans résistance ; il disait simplement : Che coglione !

« Pensivement, le capitaine Napoleone de Buonaparte regardait sombrer le trône et la populace envahir les Tuileries. »

Arrivé avec sa famille au milieu de l’Assemblée nationale :

– Je suis venu ici, dit le roi d’une voix émue, pour épargner un grand crime.

L’Allemand Bohlmann, qui assistait à la séance, dit que le roi paraissait abasourdi, sans force ; tandis qu’un autre des assistants écrit qu’il fallut constamment admirer l’air digne de la reine.

Louis XVI se tenait à la gauche du président (l’avocat Marguerite-Élie Guadet). Plus loin était Marie-Antoinette qui avait fait placer le Dauphin auprès d’elle. Il faisait une chaleur suffocante. La figure de l’enfant ruisselait. Sa mère voulut lui essuyer le front ; mais son mouchoir était tout mouillé de sa propre sueur. Elle demanda au duc de La Rochefoucauld ; qui était près d’elle, de lui prêter le sien. Le duc le lui tendit. Il était rouge de sang, du sang versé aux Tuileries.

À ce moment une voix s’éleva :

– Qu’on porte le Dauphin à côté du président, l’Autrichienne est indigne de sa confiance !

Un huissier vint saisir l’enfant qui s’accrochait aux jupes de sa mère et se débattait en pleurant.

 

 

 

VI

 

AUX FEUILLANTS

(10-13 août 1792)

 

 

Sur les deux heures du matin la famille royale fut transférée au couvent des Feuillants, voisin de la salle où siégeait l’Assemblée. On se mit en route à la lueur de chandelles fumeuses et l’on passa entre des rangs de piques rouges du sang des gardes suisses massacrés. On avançait lentement à cause de la populace qui se pressait à l’encontre des souverains, tout en vociférant ou en chantant de grossiers refrains.

Aux Feuillants, Louis XVI et les siens trouvèrent un logement de fortune : quatre cellules depuis longtemps inhabitées, carrelées en briques disjointes, brisées ou disparues. Les murs étaient blanchis à la chaux. Les pièces furent meublées en hâte.

– Maman m’a promis, disait le Dauphin, de me coucher dans sa chambre parce que j’ai été bien sage avec ces vilains hommes.

Il fallut le placer dans la cellule attribuée à Mme de Tourzel.

Au dehors les sentinelles contenaient avec peine la foule débraillée qui parlait de déchirer la reine, cherchant à arracher les barreaux qui l’en séparaient. « Chaque fois que je portais les yeux sur cette grille, écrit un nommé Dufour, qui a laissé une pittoresque relation de ces évènements, je croyais être dans une ménagerie et voir la fureur des bêtes féroces lorsqu’on se présente devant leurs barreaux. » La famille royale fut obligée de passer le long de la grille quatre fois par jour tant que dura son séjour aux Feuillants, par quoi l’on peut juger de tout ce qu’elle entendit et souffrit.

– Mort à la reine ! mort à la reine ! criaient des voix éraillées.

– Que leur a-t-elle donc fait ? murmurait le roi.

Des énergumènes étaient parvenus jusque dans le corridor sur lequel donnaient les cellules. Quand il arrivait que l’une des femmes de la reine mettait la tête à la porte de la pièce où elle se trouvait, elle était accueillie par des hurlements. Nombre de sans-culottes montaient sur les épaules les uns des autres pour essayer d’escalader les fenêtres. Il s’agissait de raccourcir le gros Veto (nom injurieusement donné au roi).

La famille royale avait été accompagnée aux Feuillants par la princesse de Lamballe, la duchesse de Tourzel, Mme Aughié, femme de l’administrateur général des postes et sœur de Mme Campan, enfin Mme Daigremont dont le mari était tapissier de l’Assemblée nationale.

En se déshabillant pour se coucher sur un dur grabat, Marie-Antoinette s’aperçut que, dans le trajet de l’Assemblée aux Feuillants, les « patriotes » lui avaient volé sa bourse et sa montre. Trait final qui couronne la fête.

La reine se coucha. Elle ferma les yeux puis, après avoir ramené sur elle sa couverture, se boucha les oreilles ; les cris « Jetez-nous sa tête ! » lui parvenaient encore.

Le lendemain matin, quelques dames vinrent pour lui dire leur respect et leur dévouement. Marie-Antoinette les reçut les yeux pleins de larmes. « Venez, venez, malheureuses femmes ! voir une femme plus malheureuse que vous, puisque c’est elle qui fait votre malheur ! » Elle ajouta : « Nous sommes perdus ; nous voilà arrivés où l’on nous a menés depuis trois ans par tous les outrages possibles ; nous succomberons sous cette terrible révolution. Tout le monde a contribué à notre perte. »

Sur les dix heures du matin le roi et la reine durent retourner à l’Assemblée législative où ils furent placés dans la loge du logographe – nous disons aujourd’hui « sténographe ». Elle était déjà pleine de monde. On y étouffait. De l’Assemblée ils revenaient aux Feuillants, pour retourner à l’Assemblée. Durant les trois jours qu’ils restèrent aux Feuillants, le roi et la reine durent faire le trajet, matin et soir, accompagnés d’une escorte qui avait la plus grande peine à les garantir contre les furieux.

Dans le jardin même du couvent, un particulier qui, par ses vêtements tout au moins, paraissait de bonne compagnie, s’approchant de la reine lui vint brutalement mettre le poing sur le visage :

– Infâme Antoinette ! tu voulais faire baigner les Autrichiens dans notre sang, tu le paieras de ta tête

Dans la matinée du mardi 13 août 1792, Marie-Antoinette prit congé de ses compagnes, la princesse de Lamballe, la duchesse de Tourzel, Mme Aughié et Daigremont. Au moment de la séparation, Mme Aughié put glisser à la reine 1 200 livres en or qu’elle avait coutume de porter sur elle pour parer à des circonstances imprévues. Cet acte de bonté parviendra à la connaissance des autorités et déterminera l’arrestation du mari de cette brave femme.

 

 

 

VII

 

LE TEMPLE

(13 août 1792 – 1er août 1793)

 

 

L’Assemblée nationale avait commencé par décider que la famille royale serait définitivement installée au ministère de la Justice, place Vendôme, mais les délégués de l’une des sections parisiennes vinrent démontrer que les détenus y auraient la facilité de s’en évader « par les catacombes » !

Le 13 août 1792, Louis XVI, sa femme, sa sœur Madame Élisabeth, sa fille Madame Royale, et son fils le Dauphin furent transférés en la tour du Temple, rude et sombre forteresse, aux murs de deux mètres d’épaisseur. Les Templiers l’avaient fait construire au XIIIe siècle pour la défense de leur « ville-neuve » parisienne.

Manuel, commissaire de la municipalité, procéda à l’installation. Dans la suite Manuel sera touché des vertus de la pauvre souveraine ; mais, pour le moment, il croyait devoir faire des « mots ».

Il expose à la reine que toutes les dames, encore auprès d’elle pour la servir, Mme de Lamballe, Mme de Tourzel, Mme Campan, seront éloignées :

– Mais je vous donnerai, pour votre service, Madame, des femmes de ma connaissance.

– Je n’en ai pas besoin, répond Marie-Antoinette, ma sœur (Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI) et moi nous nous servirons réciproquement.

– Fort bien, Madame, à votre gré. Vous n’avez qu’à vous servir vous-même, comme cela vous ne serez pas embarrassée sur le choix.

Pour la toilette, ce service était devenu de la plus grande simplicité. Le costume de Marie-Antoinette, comme celui de sa belle-sœur, consistait en une robe de basin blanc. Un simple bonnet de linon était leur coiffure habituelle. Tel était leur vêtement jusqu’à midi. Pour l’après-dîner Marie-Antoinette mettait une robe de toile fond brun à petites fleurs. Ce fut son unique parure jusqu’à la mort du roi.

Elle employait son temps à faire de la tapisserie, et bientôt à ravauder les bas du roi et ceux de son fils. Elle raccommode les habits du roi pendant qu’il est couché, et fait des reprises à ses chemises. Et elle a grand soin, comme le roi lui-même, de l’unique redingote qu’il possède, une redingote qui lui est chère, qu’il a fait faire à la couleur des cheveux de sa femme, couleur « cheveux de la reine ».

Louis XVI lisait beaucoup. La principale occupation de Marie-Antoinette était la broderie ; celle de Madame Élisabeth la prière.

Dans les premiers temps de son séjour au Temple, la table de la famille royale fut abondamment, voire richement servie. Nous avons sur ce point des renseignements précis grâce au Témoignage sur la détention de Louis XVI et de sa famille, rédigé par l’officier municipal Charles Goret.

Une pièce de la petite tour du Temple servait particulièrement de salle à manger aux prisonniers. À table, le roi présidait entouré de sa famille : la reine, Madame Élisabeth, Madame Royale, le Dauphin. Deux municipaux, la tête couverte, conformément à la consigne, et ceints de leur écharpe, assis dans un coin de la salle, ne cessaient de les surveiller.

La famille royale était autorisée à demeurer ainsi réunie jusqu’à trois heures de l’après-midi, où la reine, Madame Élisabeth et Madame Royale devaient se retirer.

Par un document qui se place au début de septembre 1792, nous voyons qu’à cette date Louis XVI et les siens avaient au Temple pour les servir, douze officiers de bouche : chef de cuisine, rôtisseur, garçon de cuisine, plongeur, tournebroche, chef d’office avec son aide, saute-ruisseau, garde d’argenterie et trois servants.

Nos jacobins entendaient encore les échos de la majesté souveraine. En septembre 1792, le service de table de la famille royale au Temple comptait en argenterie : une soupière, dix-huit couverts, une cuiller à ragoût, une cuiller à potage, huit cuillers à café, deux cafetières et huit couteaux. Pour le petit déjeuner du matin, Marie-Antoinette voyait servir, par les soins de l’office : sept tasses de café, six de chocolat, un pot de crème douce, une carafe de sirop, une autre de tisane d’orge, trois pains de beurre, une assiette de fruits, six petits pains, trois pains de table, du sucre en poudre et du sucre en morceaux.

Au dîner les prisonniers se voyaient présenter, les jours gras, trois potages différents, quatre entrées, deux services de rôts, chacun de trois pièces, quatre entremets ; les jours maigres, trois potages, quatre entrées, trois ou quatre plats de poissons ou tenant lieu, deux rôts et quatre à cinq entremets. Pour le dessert, le chef d’office faisait apporter quatre assiettes de fruits variés, trois sortes de compotes, trois pains de beurre, sucre en poudre et sucre en morceaux. En fait de boisson : bordeaux, champagne, un flacon de malvoisie, un autre de madère.

Le souper comprenait trois potages divers ; les jours gras : deux entrées, deux rôts, quatre ou cinq entremets ; en outre les desserts comme à midi, café en plus ; les jours maigres : quatre entrées partie en maigre partie en gras, deux rôts, quatre entremets ; desserts comme à midi et café.

L’abondance du service les jours maigres venait de ce que le roi observait rigoureusement, en fait d’abstinence et de jeûne, les prescriptions de l’Église : tandis que les membres de sa famille, pour raison de santé sans doute, ne croyaient pas devoir s’y astreindre.

Au jeune Dauphin était servi un petit souper à part.

La desserte était réservée aux trois servants de la Tour, qui en faisaient ensuite passer le restant, augmenté de quelques plats ainsi que de pain et de vin, à la cuisine et à l’office.

Nous possédons ces indications par les documents que G. Lenôtre a publiés en son précieux recueil, Marie-Antoinette, la captivité et la mort.

Madame Royale, la fille de Louis XVI, a donné, de la vie que ses parents menèrent en leur prison les premiers temps de leur séjour, la description que voici :

« Le roi se levait à sept heures et priait jusqu’à huit ; ensuite il s’habillait, ainsi que son fils, jusqu’à neuf qu’il venait déjeuner avec la reine. Après le déjeuner le roi donnait au Dauphin quelques leçons jusqu’à onze heures ; ensuite l’enfant priait jusqu’à midi, heure à laquelle toute la famille allait promener, quelque temps qu’il fît, parce que la garde, qui relevait à cette heure-là, voulait voir et s’assurer de la présence de tous les prisonniers. La promenade durait jusqu’à deux heures que l’on dînait. Après dîner, Leurs Majestés jouaient au tric-trac ou au piquet, afin de pouvoir se dire quelques mots. À quatre heures, la reine remontait avec sa sœur (Madame Élisabeth) et ses enfants, parce qu’alors le roi dormait ordinairement. À six heures, le Dauphin descendait pour recevoir ses leçons de son père et jouer jusqu’à l’heure du souper. À neuf heures, après le souper, la reine le déshabillait promptement et le mettait au lit. Les princesses remontaient ensuite. Le roi ne se couchait qu’à onze heures. » La reine avait un clavecin dans sa chambre et y donnait des leçons à sa fille.

Telle fut donc la vie de la famille royale au Temple dans les premiers mois ; mais les rigueurs, les restrictions, une surveillance de plus en plus minutieuse, de plus en plus hostile ne tarderont pas à faire leur apparition pour aller en s’accentuant de jour en jour.

Des gardiens furent placés auprès de Marie-Antoinette pour l’observer étroitement du matin au soir et du soir au matin. Pas un geste, pas une parole, pas un coup d’œil, rien qui n’ait ses témoins et ses délateurs. Pas une seconde où elle se possède, où elle possède sa famille. Toujours des hommes autour d’elle qui l’épient dans les yeux, qui suivent le mouvement de ses lèvres, qui suspectent jusqu’à son silence. Espions qui la suivent jusque dans la chambre où elle se sauve pour changer de robe. La nuit même, dans l’antichambre où couchait précédemment la princesse de Lamballe, des gardes municipaux sont installés et veillent. La reine est espionnée jusque dans son sommeil.

On avait placé des soldats de la légion marseillaise à tous les étages de la tour où se trouvait la reine. Quand Marie-Antoinette remontait de la promenade qu’elle était allée faire avec son fils au jardin, les soldats gaîment lui chantaient le couplet de la chanson de Malborough :

 

            Madame à sa tour monte,

            Ne sais quand descendra.

 

Cette promenade au jardin, que Marie-Antoinette s’imposait pour la santé de ses enfants, était pour elle un supplice. Au moment où elle sortait ou rentrait, au bas de la tour, des geôliers, en faction – ces individus se nommaient Risbey et Rocher – lui soufflaient dans la figure la fumée de leurs pipes. À cheval sur des chaises, posées en cercle, les gardes municipaux riaient des grimaces que l’odeur du tabac lui faisait faire. Ils suivaient des yeux la fumée bleuâtre qui pénétrait son abondante chevelure, puis s’en dégageait, buée légère, comme de la ouate très fine. Dans le jardin, les soldats avaient ordre de se couvrir devant elle. Les canonniers se mettaient à danser en ronde et chantaient le « Ça ira » ; les ouvriers qui travaillaient aux murs de clôture, disaient tout haut qu’ils préféreraient encore se servir de leurs outils pour casser la tête à l’Autrichienne que de les employer à lui renforcer sa prison.

Les délégués de la Commune (municipalité) parisienne – qui était chargée de régir la détention de la famille royale, – avaient précisément formulé la consigne :

« En entrant chez la reine on gardera le chapeau sur la tête. »

Principe d’égalité. L’un de ces délégués, Jean-François Lepitre, en écrit :

« Je vis chez la reine le nommé Marcereau, tailleur de pierre, dans l’accoutrement le plus sale, s’étendre sur un canapé de lampas et justifier la chose au nom du principe de l’égalité. » Les gardes municipaux venaient systématiquement se placer, assis dans des fauteuils, devant la cheminée, les pieds sur les chenets, « de manière, écrit Lepitre, à ne pas laisser aux princesses la possibilité de se chauffer ».

Comme aux Tuileries, les libelles les plus sales publiés contre l’auguste prisonnière, des ignominies dont la lecture aujourd’hui n’est plus guère possible, car elle donne des hoquets de dégoût, les pamphlets de Boussenard, le Ménage royal en déroute, la Tentation d’Antoinette et son cochon, Antoinette dans la souricière, la Garce en pleurs, étaient criés au pied des murs. Et, comme l’écrivent les admirables frères Goncourt, « il est, au-dessous de tous ces outrages à la reine, un outrage honteux, que nul peuple, nul temps, n’avait encore osé contre la pudeur d’une femme : il n’y a de garde-robe pour les princesses que la garde-robe des gardes municipaux et des soldats ».

Et cependant, tant que Marie-Antoinette fut avec ses enfants, auprès d’eux du moins, dans la captivité la plus dure, la vie lui parut supportable. Elle venait assister au souper de son fils. Quand, par hasard, les municipaux étaient un peu éloignés, à la hâte, tout bas, elle lui faisait dire une prière. Puis elle le couchait et le veillait jusqu’à neuf heures. À ce moment le souper était servi chez le roi. Puis on revenait s’asseoir près du lit de l’enfant, où l’on causait très bas jusqu’à l’heure tardive du sommeil.

En aucun temps, Marie-Antoinette n’eut grande satisfaction à la lecture. Elle n’avait d’ailleurs à sa disposition qu’un seul ouvrage, les œuvres de l’académicien Thomas, compostes principalement d’éloges, dont les plus estimés étaient ceux de Marc-Aurèle, de Sully et de Descartes. Elle y marquait les passages où s’arrêtait son attention et qu’elle s’appliquait. Mais sa principale occupation était la broderie. Ses geôliers remarquèrent sans doute que la reine y trouvait trop d’agrément. Un ordre de la municipalité la priva de cette occupation. Les fortes têtes de la Commune s’étaient avisées que ces broderies devaient cacher « une correspondance hiéroglyphique ». Ce serait à rire de pitié, si ce n’était à pleurer.

Privée de ses broderies, Marie-Antoinette se mit à ravauder. Aussi bien le besoin s’en faisait-il sentir. Le Dauphin couchait dans des draps troués et le linge du roi était dans un état lamentable.

L’invasion du territoire français par les armées coalisées devait naturellement rendre plus rigoureuse encore la détention en leur prison du roi et de la reine. Sur la fin d’août 1792, Marie-Antoinette disait à François Hue, spécialement attaché à la personne de Louis XVI :

– Tout m’annonce que je vais être séparée du roi. J’espère que vous resterez avec lui. Comme Français, comme l’un de ses plus fidèles serviteurs, pénétrez-vous bien des sentiments que vous devez toujours lui exprimer et que je lui ai toujours manifestés. Rappelez au roi, quand vous pourrez lui parler seul, que jamais l’impatience de briser nos fers ne doit arracher de lui aucun sacrifice indigne de sa gloire. Surtout point de démembrement de la France. Que, sur ce point, aucune considération ne l’égare, qu’il ne s’effraie ni pour sa sœur (Madame Élisabeth) ni pour moi. Représentez-lui que toutes deux nous préférerions plutôt voir notre captivité indéfiniment prolongée que d’en devoir la fin à l’abandon de la moindre place forte... L’intérêt français avant tout. »

La République fut proclamée par l’Assemblée nationale le 22 septembre 1792. Peu de jours après, la prisonnière reçut du linge qui avait été précédemment commandé pour elle. Les couturières y avaient naturellement brodé son chiffre, surmonté de la couronne royale. Si bien que le nouveau gouvernement put se donner la satisfaction d’obliger la souveraine à défaire de ses propres mains les couronnes mises sur le linge qui lui avait été apporté.

« La reine ayant été malade, écrit un témoin de la scène, nommé Turgy, et n’ayant ce jour pris aucun aliment, me fit dire de lui apporter un bouillon pour souper. Au moment où je le lui présentai, cette princesse apprit que la femme Tison, attachée à son service, se trouvait indisposée. Aussitôt elle ordonna qu’on lui apportât ce bouillon préparé pour elle ; ce qui fut exécuté. Je priai alors, ajoute Turgy, l’un des gardes municipaux de me conduire jusqu’à la cuisine pour y prendre un autre bouillon ; mais aucun de ceux qui étaient présents ne voulut m’y accompagner, en sorte que, ce jour, la reine, malade, se coucha sans souper. »

Cette femme Tison, pour laquelle Marie-Antoinette se privait, comme on vient de le dire, était auprès d’elle ce que la police appelait un « mouton ». Son rôle consistait à se glisser dans la confiance de la reine pour obtenir d’elle des confidences et les révéler ensuite aux agents du gouvernement. Les délations de la femme Tison, abusant de ce que pouvait lui dire Marie-Antoinette, firent périr ceux que le sort malheureux de la prisonnière avait émus. Mais la nature prit sa revanche. Elle troubla les nuits de la misérable par l’épouvante de la besogne qu’elle accomplissait. Le remords l’affola. Un jour elle vint se précipiter dans la chambre de la reine, les cheveux défaits, se roulant à ses pieds. Elle implorait sa grâce, suppliait la prisonnière de lui marcher sur la tête. On dut la transporter, hurlante, dans une maison de santé. Sa raison s’était noyée dans son crime. Et Marie-Antoinette, qui avait appris ses délations et les horribles conséquences qu’elle avait entraînées, s’informait encore de son état avec compassion, avec tristesse, avec bonté.

Le 3 septembre 1792, la famille royale dînait au Temple, dans sa prison. Un bruit se rapproche, grossissant : c’est le bruit trop connu des vociférations populaires. Du pied de la tour les cris réclament que la reine paraisse à la fenêtre. La reine se lève et se dirige vers la fenêtre, tristement. Quand le garde municipal Menessier, qui y était allé avant elle, lui barre brusquement le chemin, et, la repoussant d’une main, de l’autre tire les rideaux. Mais à son tour Louis XVI s’est levé : puisque son peuple réclame sa femme, il veut qu’elle paraisse. Les rideaux sont écartés. Marie-Antoinette regarde. Oh !... elle n’a pas un cri. Elle ne s’est pas évanouie ; mais son regard a pris une expression atrocement fixe, le regard d’une folle. À la hauteur de la fenêtre, une pique levée à bras tendus, lui présente la tête exsangue de son amie, la princesse de Lamballe. Dans la tête livide, les yeux sont encore ouverts, opaques et verts. D’un regard fou la reine fixe ces yeux morts. Cependant le peuple hurle. Il veut qu’une dernière fois la reine embrasse son amie. « Deux individus, écrit le peintre Daujon, spectateur de la scène, traînaient par les jambes un corps nu, sans tête, le dos contre terre et le ventre ouvert jusqu’à la poitrine. Au pied de la tour le cadavre est étalé avec une espèce d’art et un sang-froid qui confond l’imagination. Un individu tenait la tête au bout d’une pique et gesticulait, un autre tenait d’une main les entrailles de la victime et de l’autre un grand couteau. »

Louis XVI ne tarda pas à être mis en accusation par la Convention nationale, et fut tout aussitôt séparé de sa femme et de ses enfants.

On imagine de ce moment les angoisses, les tortures morales de la reine. La séparation d’avec son mari était complète. Nulle communication n’était plus possible entre eux. Des concours dévoués apportèrent de légers adoucissements à la séparation cruelle, au manque de nouvelles – nouvelles si âprement désirées. Parfois, emmi la nuit, par le moyen d’une ficelle, des billets descendaient des fenêtres d’un étage supérieur de la tour. On avait acquis, deniers comptants, le bon vouloir d’un crieur à voix de stentor, qui, au pied de la tour, hurlait les titres et manchettes des journaux du jour, ce qui ne donnait, il est vrai, que des renseignements bien vagues. Les amis de la famille royale s’étaient également assuré le concours d’une dame Launoy qui occupait un petit appartement au troisième étage d’une maison, rue de la Corderie, qu’il était aisé d’apercevoir des fenêtres de la tour du Temple. Une lanterne magique projetait de grandes lettres sur une toile tendue dans le fond de la pièce dont la fenêtre restait ouverte ; lettres par lesquelles se formaient des mots, des phrases. Enfin le délégué Lepitre, favorable aux prisonnières, leur apportait de temps à autre des journaux qu’il cachait sous une pelisse dont il recouvrait ses habits. La reine, Madame Élisabeth se retiraient, pour les lire, en l’une des petites tourelles dont la grande tour était flanquée. En s’en allant, Lepitre remportait ses imprimés.

Le délégué communal Lepitre et son collègue, François- Adrien Toulan, également bien disposé en faveur des prisonnières, ne croyaient pas devoir leur laisser ignorer les dangers que courait la vie du roi, dans les mains où il était tombé. Mais la pauvre reine s’accrochait désespérément à l’espérance :

– Non, ni les Français, ni les rois étrangers ne pourraient laisser s’accomplir un attentat aussi atroce, sans chercher à s’y opposer.

Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1793, Marie-Antoinette ne se déshabilla pas. Sa fille, Madame Royale, qui couchait clans la chambre de sa mère, l’entendit trembler sur son lit, toute la nuit, de douleur et de froid. Louis XVI venait d’être condamné à mort. Durant tout le procès, la Convention avait refusé au roi la consolation et le soutien de voir sa femme et ses enfants. Elle recula devant l’interdiction d’un dernier embrassement avant le supplice.

L’entrevue suprême aurait lieu dans la salle à manger. La reine entre, tenant son fils par la main ; elle est suivie de sa fille et de sa belle-sœur, Madame Élisabeth. Elle veut entraîner le roi vers la chambre à côté :

– Non, dit le roi, je ne peux vous voir qu’ici.

Quatre gardes municipaux, le chapeau sur la tête, collent leur figure à la porte vitrée. Ils emplissent leurs yeux de cette douleur, « la plus grande peut-être, écrivent Edmond et Jules de Goncourt, dont Dieu ait infligé le spectacle à des hommes ». – « Tous se penchent, poursuivent les deux grands écrivains, c’est le roi qui bénit sa femme, sa sœur, ses enfants. La petite main du Dauphin se lève. C’est le roi qui fait jurer à son fils de pardonner à ceux qui font mourir son père. » Il n’y a plus de place que pour des sanglots.

Le grand peintre que fut Mme Vigée-Lebrun, songea à reproduire cette scène dans un tableau. Elle demanda des détails descriptifs à un des serviteurs du Temple qui lui envoya les renseignements suivants : « Le roi était vêtu d’un habit brun mélangé, avec un collet de même, une veste blanche de piqué de Marseille, une culotte de casimir gris et des bas de soie gris, des boucles d’or, mais très simples, à ses souliers, un col de mousseline, les cheveux un peu poudrés, une boucle séparée en deux ou trois, les cheveux de derrière noués en catogan. La reine, Madame Royale et Madame Élisabeth étaient vêtues d’une robe blanche de mousseline, de fichus très simples en linon, de bonnets absolument pareils, faits en forme de baigneuses, garnis d’une petite dentelle, un mouchoir garni aussi de dentelle, noué dessus le bonnet en forme de marmotte. Le jeune prince avait un habit de casimir d’un gris verdâtre, une culotte ou pantalon pareil, un petit gilet de basin bleu rayé, l’habit décolleté et à revers, le col de sa chemise uni et retombant dessus le collet de l’habit, le jabot de batiste plissé, des souliers noirs noués avec un ruban, les cheveux blonds sans poudre, tombant négligemment et bouclés sur le front et sur les épaules, relevés en nattes derrière, et ceux de devant tombant naturellement sans poudre. Les cheveux de la reine étaient presque tous blancs, ceux de Madame d’un beau blond clair et ceux de Madame Élisabeth aussi blonds, mais d’une nuance plus foncée. »

Au moment de monter à l’échafaud, le roi avait confié à l’une des personnes qui se trouvaient près de lui, pour être remis à sa femme, son anneau nuptial, un cachet et un paquet de cheveux. La Convention nationale craignit que des objets de cette nature, entre les mains d’une femme, ne compromissent le sort de la Révolution. Les souvenirs du mari mort ne furent pas remis à la veuve. Mais un des membres de la municipalité, un nommé Toulan, vaincu par une si grande douleur, les fit passer à la dérobée. Marie-Antoinette put baiser les reliques de son mari, l’anneau, le cachet et les cheveux. Toulan fut guillotiné.

Le jour même du supplice du roi, le 21 janvier 1793, la reine demanda des vêtements de deuil, les vêtements les plus simples, marquait-elle : un manteau de taffetas noir, un fichu et un jupon noirs, une paire de gants noirs, deux serre-tête de taffetas noir. Elle demandait en même temps une paire de draps et une couverture piquée. Mais la Convention estima qu’une prisonnière n’avait pas besoin de couverture au mois de janvier. Elle accorda le deuil et refusa la couverture.

« La veuve est dans les habits de deuil dus à la générosité de la République, écrivent les Goncourt. Elle a sur la tête un bonnet de femme du peuple, dont les tuyaux pleurent et tombent sur les épaules. Entre les tuyaux et la coiffe, court un voile noir. Un grand fichu noir est croisé sur son cou avec une méchante épingle. Un petit châle noir, liséré de blanc, se noue à la naissance de sa robe noire. Sur son front, le long de ses tempes, courent, échappés du bonnet, des mèches de cheveux d’un blanc qui grisonne et s’en va blanchissant. Son front est fier encore et ses sourcils n’ont pas baissé leur arc impérial. Les larmes ont rougi ses paupières, les larmes ont gonflé ses yeux. Son regard a perdu son rayon : il est fixe. Le bleu de ses yeux n’a plus d’éclairs, plus de caresses ; il est vitrifié, presque aigu. La belle ligne aquiline du nez est devenue une arête décharnée, sèche et dure, et l’on croirait que l’agonie a pincé ces narines qui frémissaient de jeunesse. »

À cette femme qui, jadis, voyait le monde à ses pieds dans une émulation de flatterie et de déférence, qui avait connu toutes les splendeurs, il ne restait plus, dans la prison étroite, humide et froide, qu’un bien, un soutien, on ne peut plus dire une joie : ses enfants. Le gouvernement révolutionnaire estima que c’était trop.

La reine, Madame Élisabeth, Madame Royale se sont éveillées au bruit des guichets. Ce sont des gardes municipaux qui viennent signifier à Marie-Antoinette le nouveau décret du Comité de Salut public, sanctionné par la Convention nationale :

« Le Comité arrête que le fils Capet (on affectait de donner ce nom à la famille de Louis XVI, du nom de l’ancêtre Hugues Capet) sera séparé de sa mère. »

Tout d’abord Marie-Antoinette n’a pas compris. Puis, tout à coup, elle s’est précipitée sur son fils avec un cri de bête fauve :

– Tuez-moi d’abord !

Les hommes lui répondent que si elle ne lâche pas le petit, ce n’est pas elle qu’on tuera, mais le gamin ; et l’enfant est entre leurs mains.

« La mère, écrit la duchesse d’Angoulême (Madame Royale) se croyait au comble du malheur par la séparation de son fils ; elle le voyait cependant entre les mains d’un homme instruit et honnête ; sa désolation augmenta quand elle sut que c’était Simon, cordonnier, qu’elle avait connu municipal, qui était chargé de la personne de son malheureux enfant. Ma mère réclama plusieurs fois de le voir, sans pouvoir l’obtenir... »

Parfois il était donné à la reine d’entrevoir son fils de loin. « Nous montions souvent sur la tour, écrit Madame Royale, mon frère y montait de son côté tous les jours et le seul plaisir de ma mère était de le voir passer, par une petite fenêtre ; elle y restait des heures entières pour guetter l’instant de voir cet enfant si chéri. »

Certain jour il fut donné à la mère d’apercevoir son fils de plus près par la fente d’une cloison ; l’enfant était pâle, très amaigri, vêtu de la carmagnole, coiffé du bonnet rouge ; il se trouvait en compagnie de son geôlier Simon qui le rudoyait. En mars 1795 le comte de Frotté manifestera l’intention d’être enfermé avec Louis XVII au Temple, sauf à n’en sortir jamais. Un conventionnel lui fit répondre : « Votre sacrifice serait inutile. On a tellement dénaturé le physique et le moral de ce malheureux enfant que l’un est entièrement abruti et que l’autre ne peut lui permettre de vivre. Vous n’avez pas d’idée de l’appauvrissement et de l’abrutissement de cette petite créature. Vous n’auriez que du chagrin et du dégoût, et vous le verriez infailliblement périr bientôt. »

Marie-Antoinette est définitivement brisée. À peine peut-on dire qu’elle est encore de ce monde. Mais le grand homme de la Révolution, Maximilien de Robespierre, estimait qu’elle vivait encore beaucoup trop. « La punition d’un tyran (il s’agit de ce pauvre Louis XVI), s’écrie-t-il le 10 avril 1793 au sein de la Convention, punition obtenue après tant de débats odieux, – Robespierre estimait qu’on y avait encore mis trop de formes de procès – sera-t-elle donc le seul hommage que nous ayons rendu à la liberté et à l’égalité ! » La mort de Marie-Antoinette lui serait un hommage non moins sensible. « Cette mort, dit Robespierre en terminant, doit ranimer une sainte antipathie pour la royauté et donner une nouvelle force à l’esprit public. »

En suite de ces hautes considérations, le Comité de Salut public proposa à la Convention le décret suivant (1er août 1793) :

« Marie-Antoinette est renvoyée au tribunal extraordinaire ; elle sera transférée sur-le-champ à la Conciergerie. »

Il s’agit du local du Palais de justice, dépendant du concierge qui avait la garde du Palais et où l’on mettait les prisonniers impliqués dans les affaires importantes, durant que leur procès était jugé.

 

 

 

VIII

 

LA CONCIERGERIE

(2 août – 16 octobre 1793)

 

 

La nuit même du 1er août 1793, à une heure du matin, la reine était réveillée. On avait ordre de la transférer sur-le-champ dans sa nouvelle prison. Et comme, en sortant de la tour sans se baisser, elle se frappa la tête au linteau de la porte :

– Vous êtes-vous fait mal ? lui demande l’un de ceux qui l’accompagnaient.

– Oh ! non, répond-elle avec un sourire indéfinissable, rien à présent ne peut plus faire mal.

Le ci-devant pâtissier Louis Larivière remplissait au seuil de la Conciergerie les fonctions de guichetier. Il dormait en un grand fauteuil de cuir, quand, sur les deux heures du matin, il entendit frapper à la porte, non avec le heurtoir, mais à grands coups de crosse. Il se leva, ouvrit la grille de fer qui barrait le passage et vit entrer « une grande et belle femme, dit-il, dans un long vêtement noir qui donnait plus d’éclat encore à son teint d’une blancheur extraordinaire ». La reine était accompagnée de quatre administrateurs de la police et d’un groupe de soldats.

Il faisait très chaud en cette nuit d’août ; de son mouchoir la prisonnière essuyait la sueur qui lui glissait du front.

On descendit plusieurs marches, passa par des couloirs qui tournaient, précédé d’une torche fumeuse, s’arrêta devant une porte massive en bois de chêne au naturel noircie par le temps ; une grosse clé tourna bruyamment dans une antique serrure et l’on entra dans un cachot bas et voûté, dont la fenêtre, qui donnait au rez-de-chaussée sur la cour des femmes, était armée de lourds barreaux : dernière demeure de la reine.

Dès le lendemain de son arrivée, il fallut acheter deux aunes d’étamine noire pour rapiécer la robe de deuil de la princesse, robe usée sous les deux bras et dans la partie inférieure.

Le Père Duchesne ne se tient plus de joie : « J’ai prêté l’oreille au guichet, écrit-il, pour entendre ses hurlements. Je ne verrai donc pas, disait-elle, la ruine de Paris que j’avais préparée depuis si longtemps, je ne nagerai pas dans votre sang ! » Tandis que de Londres, l’illustre Mme de Staël adressait au peuple français une supplique éloquente :

« Pour exciter cette multitude, écrit-elle, on n’a cessé de répéter que la reine était l’ennemie des Français et l’on a donné à cette inculpation les formes les plus féroces. Dites, vous qui l’accusez, dites quel est le sang, quels sont les pleurs qu’elle a jamais fait couler. Dans ces anciennes prisons que vous avez ouvertes, avez-vous trouvé une seule victime qui accusât Marie-Antoinette de son sort ? Aucune reine, pendant le temps de sa toute-puissance, ne s’est vu calomnier aussi publiquement, et plus on était certain qu’elle ne voulait pas punir, plus on multipliait les offenses. On sait qu’elle fut l’objet de traits sans nombre d’ingratitude, de milliers de libelles, de procès révoltants, et l’on cherche en vain la trace d’une action vengeresse. Il est donc vrai qu’elle n’a causé de malheur à personne, elle qui a souffert des tourments inouïs. »

Mais que pouvaient ces paroles dans une pensée populaire déformée par la calomnie. Hébert et son Père Duchesne ont plus d’autorité que Mme de Staël. Ils tirent à 600 000 exemplaires et parlent le langage de la crapule.

G. Lenôtre en sa perspicacité et l’abondante documentation qu’il a toujours su constituer autour des questions historiques qui l’intéressent, a jeté un jour nouveau sur les motifs qui déterminèrent le Comité de Salut public – car la masse de la Convention était à cette époque dominée par lui – à transférer Marie-Antoinette de la prison du Temple en celle de la Conciergerie. La Conciergerie était, aux yeux de tous, l’antichambre du tribunal révolutionnaire et celui-ci le fatal couloir qui donnait sur l’échafaud. Ce transfert, estime Lenôtre, était une menace dans la pensée du Comité, exécutée dans la vue de faire croire à une prochaine mise en accusation de l’auguste prisonnière. Effectivement le Comité avait entamé avec la Cour de Vienne des négociations où la tête de la reine pouvait lui être un utile atout. La manœuvre ne réussit pas, les Viennois affectant de n’attacher à l’incident que peu d’importance ; mais à présent que l’auguste prisonnière était à la Conciergerie, que pouvait-on bien faire d’elle ? Lui faire gravir les marches de l’escalier qui conduisait au tribunal révolutionnaire.

À la Conciergerie la reine eut, par bonheur, pour gardiennes et servantes deux femmes de cœur : en premier lieu la concierge elle-même, Mme Richard, assistée de sa femme de chambre, Rosalie Lamorlière. Le nom de cette dernière est parvenu à la célébrité par la précieuse « déclaration » qu’elle fit à Lafont d’Aussonne concernant le séjour de la reine en l’austère prison.

« Le 1er août 1793, écrit Mme Lamorlière, l’après-dînée, Mme Richard me dit à voix basse :

« – Rosalie, cette nuit nous ne nous coucherons pas : vous dormirez sur une chaise ; la reine va être transférée du Temple en cette prison-ci.

« Et aussitôt je vis qu’elle donnait des ordres pour qu’on ôtât le général de Custine de la chambre du Conseil, afin d’y placer la princesse. Un porte-clés fut dépêché vers le tapissier de la prison. Il lui demanda un lit de sangle, deux matelas, un traversin, une couverture légère, une cuvette de propreté. On apporta ce petit mobilier dans la chambre humide que délaissait M. de Custine ; on y ajouta une table commune et deux chaises de prison. Tel fut l’ameublement destiné à recevoir la reine de France. »

En entrant dans la chambre qu’on venait de lui réserver, Marie-Antoinette parut surprise de la vulgarité de l’ameublement : une mauvaise couchette très basse, un vieux fauteuil de paille, deux chaises et une petite table. Rosalie alla chercher dans sa propre chambre un tabouret d’étoffe sur lequel la reine monta pour accrocher sa montre à un clou qu’elle avait remarqué, planté dans le mur. Le jour commençait à poindre quand la prisonnière fit mine de vouloir se coucher. Rosalie lui offrit ses services pour la déshabiller :

– Je vous remercie, ma fille, répondit-elle avec douceur ; depuis que je n’ai plus personne, je me sers moi-même.

On ne tarda pas à séparer en deux l’obscur réduit par une manière de rideau qui y fut tendu ; dans l’un des compartiments ainsi pratiqués furent installés deux gendarmes pour la surveillance de la prisonnière.

Au service particulier de la reine fut attachée dans les premiers jours une vieille bonne femme de quatre-vingts ans ; bientôt remplacée par une jeune femme nommée Harel dont le mari était de la police secrète. Auprès de la reine, Mme Harel allait elle-même servir à la police d’espionne et de délatrice.

À la Conciergerie, Marie-Antoinette manque des objets les plus nécessaires. Le quatrième jour après son arrivée les administrateurs délégués par la Commune lui ont enlevé la montre qu’elle avait accrochée à un clou : une petite montre apportée d’Autriche à l’époque lointaine – oh ! si lointaine ! – où la fille de Marie-Thérèse, petite fiancée de seize ans, était venue en France. La concierge, Mme Richard, malgré la pitié dont la reine l’a pénétrée, n’ose lui fournir les objets qui lui font défaut, de crainte de se compromettre. Les gendarmes sont donc installés dans la chambre même de la prisonnière. Ils y tiennent librement leurs propos de soldats. Ils y fument du matin au soir leurs grosses pipes. De cette fumée la reine a les yeux rouges et gonflés, la tête engourdie de douleur. Parfois l’un des gendarmes s’en aperçoit et cesse de fumer.

En la prison du Temple on avait enlevé à la reine ses travaux de broderie, ici, à la Conciergerie, on lui enlève jusqu’à son fil et à ses aiguilles. La reine est condamnée à une inaction où ses affreux tourments fermentent et la font encore plus souffrir. Comment faire passer les lourdes heures, lentes à s’écouler ? La compassion du concierge Richard mit à sa disposition quelques livres, les Voyages du capitaine Cook notamment, qui devinrent sa lecture préférée.

La concierge, Mme Richard, avait pour fils un charmant petit bonhomme de sept à huit ans, au teint frais, aux yeux bleus, de jolies boucles blondes encadraient son visage enfantin. On le nommait Fanfan. Dans la pensée de distraire un peu la prisonnière, Mme Richard lui amena son gamin. La reine le prit entre ses bras, le couvrit de baisers, le serra à elle... Un instant l’expression de sa figure s’était éclaircie, puis, tout à coup, la malheureuse éclata en sanglots. Elle pensait à son propre petit garçon qui lui avait été arraché.

– Je lui ai déchiré le cœur, dit Mme Richard, une fois rentrée dans son appartement avec sa servante.

Elle ajouta :

– Je me garderai de lui amener mon fils dans son cachot une seconde fois.

Pressentant sa fin prochaine, la reine pensa laisser de ses doigts un souvenir à ses enfants. Et elle se mit à tirer les gros fils d’une toile à tenture où du papier, que l’humidité décollait, avait été fixé. Elle plissait ces fils d’une main patiente et quelques épingles étant piquées sur ses genoux en guise de coussin, elle en faisait du lacet très uni. Elle n’avait aucune lumière. La nuit la jetait dans l’obscurité. « Je prolongeais autant que je pouvais, dit Rosalie Lamorlière qui la servait, le petit ménage du soir, afin que ma maîtresse fût un peu plus tard dans la solitude et dans l’obscurité. »

L’humidité de la pièce, où l’on avait enfermé la prisonnière, était affreuse. L’eau de la Seine, par infiltration, montait dans les murs.

« L’insalubrité de la chambre était telle, dira Mme Bault qui succédera à Mme Richard dans ses fonctions de concierge, que la robe noire de Sa Majesté, la seule qu’elle pût mettre alternativement avec sa robe blanche, tombait en lambeaux. Ma fille aînée y mit une bordure neuve. J’en recueillis les vieux morceaux et les distribuai à plusieurs personnes qui me les demandèrent avec instance. »

Le concierge Bault fit clouer contre la paroi du cachot une vieille tapisserie qu’il avait été chercher dans les greniers de la prison de la Force ; mais quand les membres du Comité de Salut public, en tournée d’inspection, remarquèrent ce témoignage de sympathie donné à la pauvre détenue, ils en exprimèrent leur indignation et le concierge dut recourir à un mensonge – empêcher que des bribes de conversation ne fussent entendues de la chambre voisine – pour que le lit de la reine, appuyé au mur, fût un peu garanti contre l’eau qui en suintait.

Le 19 août 1793, Michonis, administrateur de la police, demanda aux officiers municipaux qui composaient le service du Temple, de faire passer à la Conciergerie, pour la reine, quatre chemises et une paire de souliers dont elle avait un urgent besoin.

« Ces quatre malheureuses chemises, écrivent les Goncourt, bientôt réduites à trois, ne seront délivrées à la reine que de dix jours en dix jours. La reine n’a plus que deux robes qu’elle met de deux jours l’un. Sa pauvre robe noire, sa pauvre robe blanche, pourries toutes deux par l’humidité de la chambre... Il faut s’arrêter ici : les mots manquent. »

Il y eut des tentatives pour faire évader la reine. La première, au Temple, dirigée par Jarjaye, faillit aboutir ; mais au dernier moment on s’aperçut que les enfants ne pourraient suivre leur mère :

« Nous avons fait un beau rêve, écrit la reine à Jarjaye, voilà tout. L’intérêt de mon fils est le seul qui me guide et quelque bonheur que j’eusse éprouvé à être hors d’ici je ne peux consentir à être séparée de lui. Comptez que je sens la bonté de vos raisons pour mon propre intérêt et que cette occasion peut ne plus se rencontrer, mais je ne pourrais jouir de rien en laissant mes enfants et cette idée ne me laisse pas même un regret. »

À la Conciergerie le plan paraissait d’une exécution aisée, mais les deux gendarmes, qui étaient de garde, devaient être tués. La reine estima que, par la mort de deux hommes, sa liberté eût été payée trop cher.

La conspiration dite de l’œillet – mi-septembre 1793 – est demeurée célèbre. Le chevalier Gonzze de Rougeville était parvenu à se faire introduire dans la chambre de la prisonnière par l’administrateur de police Michonis que la pitié avait fini par rendre favorable à la reine martyre. Rougeville était connu de Marie-Antoinette ; au cours d’une conversation volontairement banale il lui présenta un petit bouquet d’œillets. La reine n’osa le prendre, il tomba à terre. Parmi les fleurs se dissimulait un billet qui donnait des instructions à la prisonnière ; mais la femme Harel n’avait pas quitté les interlocuteurs des yeux. L’accusateur public, Fouquier-Tinville, venait tous les soirs dans la prison. Il fut aussitôt mis au courant de l’incident. De ce moment la surveillance à la Conciergerie devint plus rigoureuse encore. Les époux Richard furent arrêtés et jetés en prison. Rougeville parvint à échapper aux recherches les plus actives. Il ne périra, fusillé, que bien des années plus tard – mars 1814 –, ayant été traduit devant un conseil de guerre en suite d’une autre conspiration, celle-ci contre l’Empereur. Et l’on vit paraître, dans la prison de la reine, en qualité de concierge, un autre personnage, un nommé Bault, transféré de la prison de la Force où il remplissait les mêmes fonctions. Il avait un air rude, sévère, costumé en pur jacobin : un large col de chemise ouvert et rabattu, le gilet-pantalon glorieusement dénommé carmagnole. Ce Bault, en son aspect rébarbatif à l’accueil réfrigérant, n’était pas un méchant homme. Le soir de son arrivée, la reine dit devant lui à celle qui la servait :

– Rosalie, vous allez faire aujourd’hui mon chignon.

Mais Bault, se saisissant du démêloir :

– Laissez, laissez, c’est à moi à faire.

Sur quoi la reine froidement :

– Je vous remercie.

Et, se levant, elle ploya ses cheveux elle-même.

Quand Rosalie et Bault furent sortis, celui-ci dit à celle qui l’accompagnait :

– Je suis bien fâché d’avoir contrarié cette pauvre femme, mais ma position est si difficile qu’un rien doit me faire trembler. Je ne saurais oublier que Richard, mon camarade, est, ainsi que sa femme, dans un cachot. Au nom de Dieu, Rosalie, ne commettez aucune imprudence, je serais perdu.

Marie-Antoinette était devenue d’une maigreur extrême. Le mauvais air, l’humidité de la prison, les chagrins l’épuisaient. Elle souffrait d’hémorragies. Où se procurer du linge ? La pauvre Rosalie dut sacrifier ses propres chemises, les découper, pour les placer sous le traversin.

La reine n’était plus reconnaissable. Les gens du peuple, qui pouvaient encore approcher de la prisonnière, étaient frappés de respect et de pitié. Concierges du palais, servantes appelées à lui donner leurs soins, gendarmes mêmes qui la gardaient, étaient jusqu’au fond de leur âme émus par ces douleurs surhumaines si grandement supportées. Les gendarmes offrirent des fleurs à celle qu’ils avaient mission de surveiller. Des femmes de la Halle apportaient, l’une un melon « pour sa bonne reine », une autre des pêches dans un panier : humbles héroïnes qui savaient que, pour un melon, pour quelques pêches, elles s’exposaient à la mort.

Pour combler les précautions autour de la prisonnière, des sentinelles avaient été postées dans la cour, au pied de la fenêtre dont s’éclairait son cachot. Les détenus qui, à la Conciergerie, jouissaient de ce qu’on y nommait comme à la Bastille « la liberté de la cour », avaient licence de s’y promener en devisant entre eux. Ce fut par leurs propos que, nonobstant la présence de ses gardiens en armes, la reine fut instruite à l’avance du jour où elle monterait au tribunal.

 

 

 

IX

 

LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE

 

 

C’était Danton, secondé par Carrier, l’homme des noyades de Nantes, qui, au début des luttes de la Montagne contre la Gironde, avait fait créer le tribunal révolutionnaire où Marie-Antoinette allait être renvoyée. Les jurés en étaient nommés par la Convention : fonctionnaires rétribués à raison de dix-huit livres par jour et qui devaient opiner à haute voix. Ils savaient que si le malheur voulait un jour qu’ils n’émissent pas une opinion orthodoxe, ils seraient eux-mêmes guillotinés. « Ce n’est, déclare le conventionnel Lamarque, qu’en adoptant que les jurés opineraient à haute voix, que les amis de la liberté ont consenti qu’il y eût des jurés dans ce tribunal. » Danton marqua le but de l’institution :

– Ce tribunal doit suppléer au tribunal suprême de la vengeance du peuple.

Durant de longs mois les têtes tombèrent par centaines et Danton ne trouva pas la moindre objection à élever contre la manière dont le tribunal « suppléait » à la vengeance du peuple ; mais voici qu’un jour ledit tribunal décida qu’on guillotinerait Danton lui-même, et le grand orateur de déclarer :

– C’est moi qui ai fait établir ce tribunal, ce n’était pas pour qu’il fût le fléau de l’humanité.

La loi des suspects fut votée le 17 septembre 1793. Le nombre des juges au tribunal révolutionnaire fut par elle porté à seize, celui des jurés à soixante. La liste des candidats présentée par Voulland, fut adoptée par la Convention sans discussion. « Presque tous, disait Gautier aux Jacobins, ont été choisis parmi les Jacobins et de ceux-ci nous sommes sûrs. » Excellent tribunal pour juger la reine. L’ancien président, Montané, avait été jeté en prison. Le motif en était, disait-on, qu’il avait essayé de faire passer Charlotte Corday pour folle. Hermann, son successeur, venait d’être mandé à la barre de la Convention pour apprendre à mener plus rondement l’affaire Custine. Cet Hermann avait un air doux et patelin. Il avait l’air d’un vieux corbeau. Il faisait guillotiner son monde sans se départir de son attitude grave, tranquille, onctueuse et distinguée, dont on eût été mal venu à se plaindre. « Le calme d’Hermann, écrit G. Lenôtre, confine à l’impersonnalité ; il semble la statue du châtiment, tant on le sent insensible et inexorable. »

La reine comparut devant le tribunal révolutionnaire le 15 octobre 1793.

L’accusateur public était un ancien procureur au Châtelet, Antoine-Quentin Fouquier-Tinville. Au temps de la puissance monarchique, il s’était distingué par un beau zèle pour la gloire du roi, et qu’il traduisait poétiquement en ballades et en petits vers.

Le gaillard ne manquait pas d’esprit. Dans la fournée du Luxembourg, la vieille maréchale de Noailles, cassée par l’âge, est complètement sourde. « Mettez, dit Fouquier, qu’elle a conspiré sourdement. » Mme de Saint-Servan tombe des gradins. Elle ne peut répondre. « Ce n’est pas sa langue, s’écrie l’accusateur public en une heureuse inspiration, c’est sa tête qu’il nous faut ! »

Qui résisterait à des mots pareils ? – Les deux dames furent guillotinées.

« Il fallait, dit Mercier, que Robespierre rencontrât une âme atroce et docile, un de ces hommes qui se font avec orgueil valets de tyrannie et à qui les crimes ne coûtent rien : il rencontra Fouquier-Tinville. »

La veuve Capet, comme on appelait Marie-Antoinette, était accusée d’avoir :

1° De concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme ex-ministre Calonne, dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France – fruit des sueurs du peuple – et avoir fait passer des sommes incalculables à l’Empereur et avoir ainsi épuisé le trésor national ;

2° D’avoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la République ; d’avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans de campagne et d’attaques convenus et arrêtés dans le conseil ;

3° D’avoir, par ses intrigues, manœuvres et celles de ses agents, tramé des conspirations et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France et d’avoir, à cet effet, allumé la guerre civile sur divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres ;

4° D’avoir, pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, organisé, grâce à ses agents, dans Paris et aux environs, les premiers jours d’octobre 1789, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et citoyennes se sont portés à Versailles.

Mais il faut lire le texte des débats pour se rendre compte du caractère, peut-être plus grotesque encore qu’odieux, des témoignages mis en action contre l’infortunée souveraine.

Une cuisinière, la fille Reine Millot, déposa qu’en 1788, un jour qu’elle se trouvait de service à Versailles, elle entendit le comte de Coigny « qui, dans ce moment, était de bonne humeur », dire que la reine avait fait passer deux cents millions à son frère l’empereur d’Autriche pour faire la guerre aux Turcs.

Cette même Reine Millot fit une seconde déposition non moins grave que la première :

– J’ai su, déclara-t-elle, par différents personnages que l’accusée (Marie-Antoinette) avait conçu le dessein d’assassiner le duc d’Orléans. Le roi, qui en fut instruit, ordonna qu’elle fût incontinent fouillée. À la suite de cette opération, on trouva sur elle deux pistolets. Alors il la fit consigner dans son appartement pendant quinze jours.

Imagine-t-on Marie-Antoinette assassinant à coups de pistolets le duc d’Orléans dans le palais de Versailles et le roi, trouvant les pistolets sur elle, la consignant dans ses appartements pour quinze jours ?

Un certain Labénette, totalement inconnu, déposa que trois particuliers étaient venus pour l’assassiner au nom de la reine. Fouquier-Tinville estima que ce témoignage était très important.

Il est vraiment surprenant qu’un paysan ne soit pas venu déclarer que la reine avait formé le projet de faire disparaître le soleil pour empêcher en France les blés de mûrir.

Fouquier-Tinville fut dignement secondé par les délégués de la Commune ; Pache, maire de Paris ; Chaumette, procureur syndic ; Hébert, substitut du procureur : noms auxquels on a la tristesse de devoir joindre celui de l’illustre Louis David. Le crime que ces hommes et leurs mandataires ont commis est si grand qu’il est impossible de l’exprimer. Corrompre un enfant pour détruire sa santé, puis, de la corruption dont on l’a gangrené, faire le plus épouvantable des outrages à sa mère ; non content de la faire insulter par son fils, enfant de huit ans, qu’on a abruti de coups et d’eau-de-vie, répéter la calomnie atroce dans le plein jour du tribunal et s’en servir pour essayer, après avoir fait tomber sa tête, de salir la mémoire de la victime : il ne semblait pas que pareilles infamies fussent humainement possibles : elles ont été commises.

Les procès-verbaux des horribles confrontations du Temple sont conservés aux Archives nationales. « Le jeune prince, écrit Daujon qui servait de greffier, était assis sur un fauteuil ; il balançait ses petites jambes dont les pieds ne posaient pas à terre. »

Comprenait-il ce qu’on lui faisait dire ?

– Chaumette (dit la sœur du Dauphin âgée de quinze ans) m’interrogea sur mille vilaines choses dont on accusait ma mère et ma tante. Je fus atterrée par une telle horreur et si indignée que, malgré toute la peur que j’éprouvais, je ne pus m’empêcher de dire que c’était une infamie. Malgré mes larmes, ils insistèrent beaucoup. Il y a des choses que je n’ai pas comprises ; mais ce que je comprenais était si horrible que je pleurais d’indignation.

Hermann désigna à la reine deux défenseurs d’office, Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray. Ils furent prévenus le 14 octobre 1793, c’est-à-dire la veille du jour où ils étaient appelés à parler. Chauveau-Lagarde était à la campagne. Sur les conseils de ses défenseurs, la reine demanda pour eux trois jours, afin qu’ils eussent le temps d’étudier un peu l’affaire. Était-ce trop pour une semblable cause ? Sa lettre fut mise au panier et les débats commencèrent immédiatement. Ils commencèrent le 15 octobre à huit heures du matin et durèrent, sans interruption, jusqu’au lendemain quatre heures du matin. Sauf une pause d’un instant, ils se poursuivirent ainsi pendant près de vingt heures. Et la reine était arrivée épuisée, épuisée physiquement par des mois de privations et une santé compromise par des pertes de sang, et brisée moralement. Qui n’eût été anéanti par ces tortures ?

« Quelle passion surhumaine ! écrivent les Goncourt. Malade, affaiblie par une perte continuelle, sans repos, sans nourriture, la reine doit se vaincre, se dominer, ne pas s’abandonner un instant, raidir ses forces défaillantes, contraindre jusqu’à son visage et surmonter la nature. » La foule des spectateurs – quel peuple et quelles gens ! – réclamait à chaque instant qu’elle se levât de son tabouret afin qu’on pût mieux la voir :

– Le peuple sera-t-il bientôt las de mes fatigues ? murmurait-elle épuisée.

« Il faut avoir été présent, dit Chauveau-Lagarde, à tous les détails de ce procès trop fameux pour avoir une juste idée du beau caractère qu’y développa la reine. »

Une relation du procès, publiée à l’époque même où il se déroula, montre Marie-Antoinette dans ce moment telle qu’elle pouvait être : pauvre femme épuisée et qui se sent prise par l’affre de la mort, laquelle se dresse – effrayante – devant elle ; « une pauvre femme à peu près abandonnée, qui défend sa vie avec une énergie instinctive, qui ne songe pas à décliner la compétence de ses juges, mais plutôt à les fléchir, à les désarmer, à les convaincre ».

Et telle elle nous paraît plus belle encore car, telle, elle est plus humaine.

Pour comparaître devant le tribunal, elle s’était habillée de sa robe de deuil. Elle s’était ajustée de son mieux avec les pauvres vêtements qu’on lui avait laissés : son petit bonnet de linon bordé d’une garniture plissée, bonnet de femme du peuple ; auquel elle avait attaché deux barbes de toile volantes, sous lesquelles elle ajusta un crêpe noir, « ce qui lui faisait, dit Rosalie La Morlière, une coiffure de veuve ». Elle avait donné à ses cheveux, à ses cheveux blanchis par la douleur, une coiffure un peu haute. Ce n’était pas fierté, mais émouvant dédain d’attendrir le peuple par le spectacle de sa misère.

Le président l’accusait d’avoir voulu remonter au trône sur les cadavres des patriotes :

– Je n’ai jamais désiré que le bonheur de la France, répondit-elle ; qu’elle soit heureuse, mais qu’elle le soit, je serai contente.

Le substitut de la commune de Paris, Hébert, un jeune gandin élégant et parfumé, apporta les immondices qu’il avait triturées en collaboration avec Chaumette et David. Hébert délayait l’ignominie d’un ton artiste, en expressions choisies. La reine était debout, les yeux fixes, la tête droite, pas un muscle de son visage ne se contractait.

Exaspéré par tant de dignité, l’un des jurés interpella l’accusée :

– Si je ne réponds pas, dit la reine, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère ; j’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici.

La voix, quoique faible et épuisée, vibra et, pour la première fois dans l’agonie de l’audience, des larmes mouillèrent ses joues : « Devant ce cri sublime, disent les frères Humbert qui étaient présents, un courant magnétique passa dans l’assistance. » Les mégères mêmes qui écoutaient, les coudes sur les genoux, se sentirent remuées malgré elles. Peu s’en fallut qu’elles n’applaudissent. On entendit des cris perçants, plusieurs femmes s’évanouirent ; dans un grand tumulte il fallut les emporter. La voix nasillarde du président Hermann menaça de faire évacuer la salle.

Moëlle, membre de la Commune, cité comme témoin, déclarera dans la suite :

– J’allais, par un détail du régime introduit au Temple et les moyens de surveillance qui y étaient employés, tâcher de prouver la fausseté de l’accusation infâme portée par Hébert à propos de la reine et du Dauphin, lorsque Fouquier-Tinville prévit mon intention et m’interrompit brusquement en me demandant de répondre par « oui » ou par « non ».

Fouquier prononce son réquisitoire :

« – Non contente, de concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme et exécrable Calonne, alors ministre des finances, d’avoir dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, fruit des sueurs du peuple, pour satisfaire à des plaisirs désordonnés et payer les agents de ses criminelles intrigues... » – « Les Suisses, en même temps qu’elle les encourageait à confectionner des cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et mordu des balles, – les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce... » – « ... Enfin, immorale sous tous les rapports et, nouvelle Agrippine, elle est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu’oubliant sa qualité de mère et les démarcations prescrites par les lois de la nature, la veuve Capet n’a pas craint de se livrer, avec Louis Capet, son fils, et de l’aveu de ce dernier, à des indécences dont l’idée et le nom seul font frémir d’horreur. »

À minuit, le président dit aux avocats :

– Sous un quart d’heure les débats finiront, préparez votre défense.

Que pouvait être la défense dans de pareilles conditions ?

Les deux avocats se surpassèrent. Ils parlèrent avec émotion et avec courage. Aussi à peine eurent-ils terminé que, par ordre des membres du Comité de Salut public, qui assistaient à l’audience, ils furent l’un et l’autre arrêtés. Il fut interdit de publier leurs plaidoiries.

Durant la suspension d’audience, le 15 à quatre heures de l’après-midi, la foule des spectateurs, répandue dans les couloirs ou les abords du Palais, s’entretenait avec animation des débats auxquels elle venait d’assister. L’opinion dominante était que la reine serait déportée. Les « purs » en témoignaient leur indignation ; mais, ajoutaient-ils, on saurait corriger l’erreur des jurés. Régnait une brume d’automne, froide, humide, sous un ciel bas. Des émissaires du club des Jacobins et de la Commune parisienne se glissaient entre les groupes qui devisaient, prêtant l’oreille aux propos échangés, avides de découvrir, de dénoncer les traîtres qui se montreraient favorable à l’Autrichienne. Parmi eux la face hideuse de l’horrible Ducatel, alors inspecteur des prisons. Elle mettait mal à l’aise ceux mêmes qui ne savaient pas qu’ils se trouvaient en présence du répugnant assassin qui, le 3 septembre, sur le seuil de la prison de la Force, avait assommé à coups de marteau la douce petite princesse de Lamballe.

Marie-Antoinette fut condamnée à mort à l’unanimité. Les jurés exprimaient leur opinion, l’un après l’autre, à haute voix. Chacun d’eux savait que s’il se fût prononcé pour l’acquittement, il se fût exposé à être guillotiné lui-même. Du moins dira-t-on qu’en de telles conditions la sentence fut prononcée en connaissance de cause.

La lecture de l’arrêt de mort trouva la reine calme, immobile. Elle descendit de son banc le front haut, ouvrit elle-même la balustrade et traversa la salle comme si elle ne voyait ni n’entendait rien, note Chauveau-Lagarde.

La séance fut levée à quatre heures du matin.

Sortant de l’audience, la reine remit à l’un de ses défenseurs, à Tronçon-Ducoudray, une mèche de ses cheveux et des pendants d’oreille en le priant de les donner en souvenir d’elle à M. de Jarjaye. Aussitôt le Comité s’empara de ces objets et mit Jarjaye en état d’arrestation.

La foule des spectateurs s’égailla, morne, silencieuse, comme hébétée. Les plus décidés, les plus fanatiques eux-mêmes se sentaient le cœur embarbouillé. En venant à l’audience, d’une âme républicaine ils souhaitaient à l’accusée la condamnation la plus sévère ; à présent « ils ne savaient plus ». À mesure que s’étaient succédé les réponses de la reine, que les plaidoiries des avocats s’étaient déroulées, ils avaient senti comme un poids qui s’appesantissait lourdement en eux, aplatissant leur rage jacobine. Aussi nombre d’entre eux retournèrent-ils directement en leur logis où, avant de se coucher, ils fermèrent les volets de leurs fenêtres pour s’abriter des rumeurs de la ville qui renaîtraient avec le jour : ils éprouvaient un besoin de calme, d’engourdissement, d’oubli ; – mais, comme la nouvelle s’était répandue que la condamnée serait exécutée dans la journée même, les plus curieux, les purs, les vrais, les cœurs éprouvés, allèrent place de la Révolution (Concorde) s’installer au pied de la guillotine, que des charpentiers s’occupaient déjà à dresser. Ils s’assuraient une place au premier rang pour suivre, en ses détails, les suprêmes péripéties du drame public le plus émouvant et le plus affreux que le monde ait connu.

Dès après le prononcé du jugement, Fouquier-Tinville se jetait tout habillé sur son lit dans la chambre qui lui avait été aménagée jouxte son cabinet d’accusateur public.

Quant aux jurés, ils allèrent s’installer à la buvette du tribunal, autour de la table où un repas leur avait été préparé.

L’un de ces jurés qui envoyèrent Marie-Antoinette à la mort, le dragon Trinchart, écrivait à son frère après que sa victime fut montée à l’échafaud :

« Je taprans, mon frerre, que jé été un des jurés qui ont jugé la bête féroche qui a dévoré une grande partie de la République, celle que lon califioit cideven de Raine... »

 

*

*    *

 

Rentrée, en son humide cachot de la Conciergerie, Marie-Antoinette, pour la première fois depuis soixante-seize jours, obtint de la lumière, de l’encre, du papier. En quel état devait être son âme. Elle écrivit alors à sa belle-sœur, Madame Élisabeth, la lettre si calme, si élevée de pensée, si tranquille de cœur qui, après plus d’un siècle, émeut encore d’admiration et de respect. Nous tenons à la reproduire ici en entier : mieux que toute analyse elle éclaire d’une lumière tout à la fois vive et paisible l’âme et la pensée de la reine martyre au seuil de la mort :

 

Ce 16 octobre, à quatre heures et demie du matin.

« C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse – elle ne l’est que pour les criminels – mais à aller rejoindre votre frère ; comme lui innocente j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien. J’ai un profond regret d’abandonner les pauvres enfants. Vous savez que je n’existais que pour eux et pour vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous. Dans quel état je vous laisse ! J’ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre, je ne sais pas même si celle-ci vous parviendra. Recevez pour eux deux ici ma bénédiction ; j’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer : que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie, que leur amitié et leur confiance mutuelle en fera le bonheur.

« Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a (Madame Royale était dans sa quinzième année) elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que dans quelque position où ils pourront se trouver ils ne seront vraiment heureux que par leur union ; qu’ils prennent exemple sur nous. Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolation ! et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami, et où en trouver de plus tendre, de plus uni que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père que je lui répète expressément :

« Qu’il ne cherche jamais à venger notre mort.

« J’ai à vous parler d’une chose bien pénible : je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine (allusion aux propos que les commissaires de la Convention arrachèrent au Dauphin, un enfant de huit ans, qu’on avait abruti physiquement et moralement et qui n’avait plus sa pensée à lui). Pardonnez-lui, ma chère sœur, pensez à l’âge qu’il a et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu’on veut et même ce qu’il ne comprend pas. Un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux (le fils et la fille de la reine).

« Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès, mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche a été si rapide que je n’en aurais réellement pas eu le temps.

« Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s’ils y entraient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe ; j’espère en sa bonté. Il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’ai pu leur causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis : l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant ; qu’ils sachent au moins que, jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux.

« Adieu, ma bonne et tendre sœur ; puisse cette lettre vous arriver. Pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu, qu’il est déchirant de les quitter pour toujours ! Adieu, adieu ! je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être un prêtre ; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot et que le traiterai comme un être absolument étranger. » (La reine n’admettait pas le caractère ecclésiastique des prêtres assermentés.)

 

Madame Élisabeth, bien loin d’entrer en possession de ces pages qu’on a nommées le Testament de Marie-Antoinette, n’apprit même pas la mort de sa belle-sœur. Quand elle fut à son tour transférée de la tour du Temple à la prison de la Conciergerie, elle demanda au concierge Richard des nouvelles de la reine :

– Oh ! elle est très bien, il ne lui manque rien.

Madame Élisabeth n’apprendra la mort de sa belle-sœur qu’au moment de gravir à son tour les marches de l’échafaud. Franchissant le seuil de la Conciergerie pour aller à la mort, elle pria le concierge Richard de dire son fidèle souvenir à la sœur qu’elle ne reverrait plus. Alors l’une des dames qui allaient être conduites au supplice avec elle, – parmi lesquelles Mme de Sénozan, sœur du ministre Malesherbes qui, devant la Convention, avait été l’un des défenseurs du roi, et Mme veuve de Montmorin, – lui dit tout uniment :

– Madame, votre sœur a subi le sort que nous allons subir nous-mêmes dans un instant.

 

 

 

X

 

L’ÉCHAFAUD

(26 octobre 1793)

 

 

Lorsque le jour brilla, à huit heures, Marie-Antoinette s’apprêta à s’habiller pour aller à l’échafaud. Elle passa dans la petite ruelle qui se trouvait entre son lit de sangle et la muraille, déploya elle-même sa chemise, se baissa, abattit sa robe pour changer de linge une dernière fois – brusquement elle s’arrêta. Le gendarme de service s’était approché et, les coudes sur l’oreiller, la tête entre les mains, la regardait et semblait y prendre un vif intérêt.

« Sa Majesté, dit Rosalie Lamorlière qui la servait, remit son fichu sur ses épaules et, avec une grande douceur, elle dit à ce jeune homme :

« – Au nom de l’honnêteté, monsieur, permettez que je change de linge sans témoin.

« – Je ne saurais y consentir, répondit le gendarme, mes ordres portent que je dois avoir l’œil sur tous vos mouvements. »

Quel tableau ! ce gendarme à plat ventre sur le lit, suivant d’un regard malpropre la reine qui change de linge pour aller à la mort !

« Le trouble que me causait la brutalité du gendarme, dit Rosalie Lamorlière, ne me permit pas de remarquer si la princesse avait encore le médaillon de M. le Dauphin ; mais il me fut facile de voir qu’elle roulait soigneusement sa pauvre chemise ensanglantée. Elle la renferma dans une des manches comme dans un fourreau, puis serra ce linge dans un espace entre l’ancienne toile à papier et la muraille. »

Vainement la reine demanda-t-elle qu’on ne lui liât pas les mains sur la charrette, le bourreau Charles-Henri Samson les lui noua dès la Conciergerie, si étroitement que le curé Girard, durant le trajet, pour soulager un peu la pauvre femme, dut tenir constamment sa main appuyée sur son bras gauche. L’extrémité de la corde était tenue par le bourreau. En vain la reine avait-elle demandé, au moment du départ, qu’on lui permît de se retirer un instant pour un pressant besoin : on l’obligea à s’arrêter, dans un coin de la chambre, sous les yeux de tout le monde.

Le lieutenant de gendarmerie Debusne était spécialement attaché aux tribunaux. En cette qualité il accompagnait la reine à l’audience du tribunal révolutionnaire et la ramenait en prison. Ce fut lui qui eut la charge également de l’escorter au supplice. En cette dernière circonstance, sous l’émotion dont il était sans doute pénétré, le malheureux commit un triple crime :

1° Il escorta la condamnée en tenant son chapeau à la main ;

2° Il lui alla chercher un verre d’eau qu’elle demandait ;

3° Pour l’aider à descendre l’escalier de la Conciergerie, il lui offrit le bras.

« Le soir même, écrit Lenôtre, il était dénoncé. » Le dénonciateur était un de ses subordonnés, le gendarme Jourdeuil. Le malheureux, qui avait osé se conduire en ces circonstances si douloureusement graves, nous n’irons pas jusqu’à dire en homme de cœur, mais avec la plus élémentaire décence, pour échapper à un sort fatal dut s’abaisser à s’excuser :

– Si j’ai été quérir un verre d’eau pour la condamnée, ce fut parce que les huissiers, dont c’était l’office, étaient absents pour le service du tribunal ;

si j’ai tenu mon chapeau à la main, ce ne fut pas dans un sentiment de respect pour cette femme, mais pour ma commodité personnelle, il faisait très chaud ;

si j’ai offert à la condamnée le bras pour l’aider à descendre l’escalier de la Conciergerie, ce fut pour lui éviter une chute, car les marches en sont glissantes ; cette femme me disait : « Je vois à peine à me conduire. » Aussi bien une chute dans l’escalier, si elle s’était produite, aurait donné lieu aux plus fâcheux commentaires.

La charrette avançait lentement sous une pluie d’injures grossières. Marie-Antoinette y était assise sur une planche. Elle portait une jupe blanche tombant sur son jupon noir, une camisole de nuit en piqué blanc, un ruban de faveur noir noué autour du poignet ; la tête était coiffée d’une bonnette de linon blanc comme celles que portaient les femmes du peuple, ornée d’un petit ruban noir. Elle avait inutilement prié qu’on la laissât aller au supplice tête nue. Ses cheveux blancs étaient coupés ras autour du bonnet. Elle était pâle, mais les pommettes étaient très rouges, les yeux injectés, les cils immobiles ; le regard semblait celui d’une aveugle. Derrière elle, sur la charrette, se tenaient l’exécuteur des hautes œuvres, Samson, une manière de colosse, et son aide auprès de lui.

Rue Saint-Honoré, la charrette s’étant arrêtée un instant, un enfant, que sa mère élevait dans ses bras, lui envoya un baiser de ses petites mains qui battirent l’air ensuite d’un petit geste joyeux. La reine lui répondit d’un sourire et pleura. Ce furent les seules larmes qu’elle versa durant le trajet – qui se poursuivit parmi les huées d’une populace excitée.

La reine parla peu avec le prêtre constitutionnel qui l’assistait. À un moment donné celui-ci éleva un petit crucifix d’ivoire. On vit alors le comédien Grammont, – qui en qualité d’adjudant de la garde nationale commandait l’escorte et chevauchait noblement jouxte la charrette monté sur un beau cheval brun, – brandir l’épée qu’il tenait en main et s’écrier après un vigoureux juron :

– La voilà, l’infâme Antoinette !... Elle est f... mes amis !

L’écho répondit en clameurs harmonieuses.

On s’était arrêté un instant devant le portail de l’église Saint-Roch.

Le citoyen Grammont s’était distingué à Versailles lors du massacre des prisonniers d’Orléans ; exploits qu’il avait couronnés en buvant dans le crâne d’une de ses victimes – du moins il s’en est vanté.

On possède un terrifiant dessin du grand peintre Louis David qui assista au passage de la reine d’une fenêtre de la rue Saint-Honoré. Le croquis, d’une maîtrise et d’un réalisme presque effrayants, donne l’impression d’un instantané. Il faut comparer cette image aux portraits peints de la reine quelques années auparavant, pour mesurer tout à la fois l’immensité et l’atrocité des souffrances, des tortures morales et physiques que lui infligèrent ses bourreaux.

Il est midi. Les terrasses des Tuileries sont chargées de curieux. La place de la Révolution grouille d’une foule haletante d’où surgissent des centaines de baïonnettes. Arrivée sur la place, la reine qui, jusque-là, durant tout le trajet avait paru indifférente à tout ce qu’elle avait pu avoir devant les yeux, tourna la tête du côté du jardin des Tuileries. À ce moment son visage devint entièrement blanc, y compris les pommettes d’où s’effaça la teinte rouge qui les colorait. À la vue des lieux qui lui rappelaient de si poignants souvenirs, le sang lui affluait au cœur. Puis, se ressaisissant, Marie-Antoinette descendit de la charrette « avec légèreté et promptitude, sans avoir besoin d’être soutenue, bien que ses mains fussent toujours liées », écrit l’auteur du Magicien républicain. S’approchant de l’échafaud, elle en monta l’escalier de bois « à la bravade », diront les journaux, « avec calme et une tranquillité insolente ». Elle s’arrangea elle-même pour le supplice.

Le couperet tombe ; un aide du bourreau tend à la foule une tête blême où battent encore les paupières. Quelques cris : « Vive la République ! », cris mal assurés, car, tout de même, on a le cœur barbouillé. La plus grande partie de la foule est demeurée bouche bée ; silencieuse, on peut dire de respect et d’émotion.

Le citoyen Lapierre, bon patriote, décrit l’exécution en termes pittoresques (nous n’enlevons que les fautes d’orthographe, si nombreuses, qu’à première lecture, ces lignes sont presque inintelligibles)

« Marie-Antoinette, la garce, a fait une aussi belle fin que le cochon à Godille, le charcutier de chez nous. Elle a été à l’échafaud avec une fermeté incroyable tout le long de la rue Saint-Honoré ; enfin elle a traversé Paris en regardant tout le monde avec mépris et dédain ; mais partout où elle a passé les vrais sans-culottes ne décessaient de crier : Vive la République et À bas la tyrannique ! La coquine a eu la fermeté d’aller à l’échafaud sans broncher ; mais quand elle a vu la médecine à l’épreuve devant ses yeux, elle a tombé sans forces. Mais, c’est égal, on lui a donné des valets pour lui faire sa toilette, et quoiqu’elle n’ait pas de barbe, on ne la lui a pas moins faite, et quoique les femmes n’en aient pas, cela n’empêche qu’on les rase toujours. » Allusion au nom dont la Révolution décora la guillotine : « le rasoir national ».

Quelques heures après l’exécution, le Journal des hommes libres publiait les lignes que voici :

« Le crime a reçu sa juste récompense. Cette femme, dont Marie-Thérèse, sa mère, regardait l’enfance comme un fléau pour sa famille ; cette femme dont les goûts libertins se décelèrent dans Vienne avant l’âge où les passions ont le pouvoir de corrompre le cœur ; cette femme qui acheta la couche de Capet par ses lascives complaisances pour les agents de la Cour de Versailles auprès de celle de Vienne ; cette femme dont l’arrivée à Paris fut marquée par des fêtes dont le tragique dénouement couvrit la France de deuil (il s’agit de la terrible catastrophe produite, le 30 mai 1771, par le feu d’artifice tiré place de la Concorde en l’honneur de la petite Dauphine arrivée en France) ; cette femme, que l’impudicité promena dans tous les bras que l’indignation ne lui ferma pas et dont l’adultère meubla Versailles d’enfants qui n’étaient étrangers qu’à son époux ; cette femme qui jura de se baigner dans le sang des Français, parce que le parterre de l’Opéra oublia de l’applaudir ; cette femme qui dévora à l’État plus de millions qu’elle n’a vécu de quarts d’heure ; cette femme qui, depuis quatre ans de révolution, n’a pas vu naître un jour sans commettre un crime, ne s’est pas endormie un soir sans rêver un forfait ; cette femme plus sanguinaire que Jézabel, plus politique qu’Agrippine, plus scélérate que Brunehaut, plus dissimulée que Médicis ; dont la vie fut une calamité pour la France, l’élévation un opprobre pour l’humanité, la chute un triomphe pour la liberté ; cette femme, Marie-Antoinette d’Autriche, veuve Capet, à midi dix minutes, est tombée sous la guillotine. Le globe est purifié. Vive la République ! »

Et, le même jour, en exécution du décret rendu par la Convention, sur la proposition de Barrère, la dépouille mortelle du fils aîné de Marie-Antoinette, du premier Dauphin, fut sortie de sa tombe à Saint-Denis et profanée.

Robespierre avait proclamé que la mort de Marie-Antoinette serait un hommage à la liberté et à l’égalité ; ces deux grands principes, chers au cœur des hommes libres, avaient ainsi reçu, dans la journée du 26 octobre 1793, un hommage éclatant.

 

 

 

XI

 

ORAISON FUNÈBRE

 

 

Jacques-René Hébert, substitut du procureur syndic de la Commune parisienne et l’un des délégués aux interrogatoires de Marie-Antoinette, tint à consacrer son talent à célébrer la mort de la souveraine. À cette date, Hébert était encore l’un des fidèles séides de Robespierre. Les exemplaires de son Père Duchesne, dont il avait emprunté le titre à une feuille royaliste, par leur allure populacière et le tirage formidable où la feuille était parvenue, exercèrent dès leur apparition la plus grande influence.

Voici donc l’oraison funèbre consacrée (le Père Duchesne, n° 299) par le pamphlétaire jacobin à la reine sacrifiée. Assurément ce n’est pas du Bossuet, mais les lignes suivantes n’en ont pas moins une saveur qu’il serait regrettable de ne pouvoir goûter.

Peut-être le titre en est-il un peu long :

La plus grande joie du Père Duchesne après avoir vu de ses propres yeux la tête du Veto femelle (Marie-Antoinette) séparée de son col de grue et sa grande colère contre les deux avocats du diable qui ont osé plaider la cause de cette guenon.

« J’aurais désiré, f... ! que tous les brigands couronnés eussent vu à travers la chattière l’interrogatoire et le jugement de la tigresse d’Autriche. Quelle leçon pour eux, f... ! Comme ils auraient frémi en contemplant deux ou trois cent mille sans-culottes environnant le Palais et attendant en silence le moment où l’arrêt fatal allait être prononcé ! Comme ils auraient été petits ces prétendus souverains devant la majesté du peuple ! Non, f... ! jamais on ne vit un spectacle pareil. Tendres mères, dont les enfants sont morts pour la République ; vous, épouses chéries des braves bougres qui combattent en ce moment sur les frontières, vous avez un moment étouffé vos soupirs et suspendu vos larmes, quand vous avez vu paraître devant ses juges la garce infâme qui a causé tous vos chagrins ; et vous, vieillards, qui avez langui sous le despotisme, vous avez rajeuni de vingt ans, en assistant à cette terrible scène :

« – Nous avons assez vécu, vous disiez-vous, puisque nous avons vu le dernier jour de nos tyrans.

« Quelle différence de ces moments de vengeance à ces temps de badauderie où tous les Français n’avaient pas assez d’yeux pour admirer leur Dauphine, assez de voix pour chanter ses louanges ! Elle ne pouvait faire un pas sans être suivie d’une foule immense qui faisait retentir l’air de cris de joie. Paraissait-elle au spectacle, on oubliait musique, danse, tout enfin, pour l’applaudir et ne s’occuper que d’elle. Le pauvre sans-culotte, qui suait sang et eau d’un soleil à l’autre pour payer toutes ces mangeries, ne songeait plus à la taille, à la corvée, à la gabelle, à la chasse (réservée à la noblesse), aux procureurs, aux avocats et toutes les vermines qui le rongeaient tout vivant, quand il voyait ce monstre qu’il regardait comme une divinité, traverser le champ arrosé de ses larmes.

« Qui l’aurait jamais dit, f... !, que l’objet de tant d’amour ferait une si mauvaise fin !

« Pour prix de tous les bienfaits qu’ils ont prodigués à cette furie, les Français ont été réduits par elle à deux doigts de leur perte. Depuis qu’elle a régné, elle n’a rêvé que meurtre et carnage. Plus d’un million d’hommes ont été ses victimes et les crimes qu’elle a commis ne sont encore que de l’eau de rose en comparaison de ceux qu’elle méditait. Il n’y a pas d’assez grand supplice pour les expier et c’est avec raison que ses juges, en prononçant son arrêt de mort, lui ont rappelé les bienfaits de la loi, puisqu’on n’avait pas imaginé un supplice nouveau pour venger la France et l’humanité. Malgré toi, coquine, tu as dû sentir le prix de l’égalité, puisque ton châtiment a été aussi doux que celui des autres coupables !

« Se peut-il qu’il se soit trouvé un bougre assez hardi pour la défendre ! Cependant deux braillards de palais (les avocats défenseurs d’office, Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray) ont eu cette audace ; l’un d’eux a poussé l’effronterie jusqu’à dire que la nation lui avait trop d’obligations pour la punir et de soutenir que, sans elle, sans les crimes qu’on lui reproche, nous ne serions pas libres ! Je ne conçois pas, f... ! comment l’on peut souffrir que des cuistres de basoche, par l’appât des dépouilles des scélérats, pour une boîte d’or, une montre, des diamants, trahissent leur conscience et cherchent à jeter de la poudre aux yeux des jurés. N’ai-je pas vu ces deux avocats du diable, non seulement se démener comme des diables dans un bénitier, pour prouver l’innocence de la guenon, mais oser pleurer la mort du traître Capet (Louis XVI) et dire aux juges que c’était assez d’avoir puni le gros cochon, qu’il fallait au moins faire grâce à sa saloperie de femme !

« Faire grâce à une scélérate couverte du sang des Français ! laisser vivre un monstre pareil !

« Mais j’ai eu une grande joie que je ne saurais rendre, quand j’ai appris que ces deux jean-f... (les deux avocats défenseurs de la reine) avaient été arrêtés par ordre du comité de Sûreté générale à la Convention. J’espère qu’au moins jusqu’à la paix on les laissera siffler la linotte.

« J’ai vu tomber dans le sac la tête du Veto femelle ! Je voudrais, f... ! pouvoir vous exprimer la satisfaction des sans-culottes quand l’archi-tigresse a traversé Paris dans la voiture à trente-six portières. Ses beaux chevaux blancs, si bien panachés, si bien enharnachés, ne la conduisaient pas, mais deux rossinantes étaient attelées vis-à-vis de maître Samson, et elles paraissaient si satisfaites de contribuer à la délivrance de la République, qu’elles semblaient avoir envie de galoper pour arriver plus tôt au lieu fatal. La garce au surplus a été audacieuse et insolente jusqu’au bout. Cependant les jambes lui ont manqué au moment de faire la bascule pour jouer à la main chaude, dans la crainte sans doute de trouver après sa mort un supplice plus terrible que celui qu’elle allait subir. Sa tête maudite fut enfin séparée de son col de grue, et l’air retentissait des cris de Vive la République ! F... ! »

Hébert offrait d’ailleurs, en sa personnalité, un étrange contraste avec le ton démagogique de la feuille qu’il rédigeait. On vantait généralement dans Paris la fine distinction de sa physionomie, ses belles mains aux lignes aristocratiques, ses façons ancien-régime, le raffinement de sa toilette. En société il se montrait sociable, aimable, l’air doux, patelin, quelque peu clérical ; aussi bien resta-t-il toute sa vie imbibé d’idées religieuses.

Comme nombre de démagogues, tout en excitant le peuple contre les accapareurs, contre les financiers, contre les grands scélérats « qui se nourrissent de la sueur du peuple », lui-même garnissait sa table d’une alimentation plus substantielle que la sueur en question. On y voyait briller une riche vaisselle d’argent toute sa demeure était ornée avec goût et magnificence.

Dans les réunions de la Commune, il tonnait contre les spéculateurs, les alimentaires et les fournisseurs des armées qui prélevaient sur l’existence du peuple et la défense de la patrie des bénéfices criminels ; mais le soir, comme lesdits spéculateurs étaient hommes de bonne compagnie, il ne craignait pas d’aller s’asseoir à leur table ou de les inviter à venir prendre place à la sienne. Au club des Cordeliers, hurlant contre les ci-devant et leurs caudataires, on eût dit d’une bête féroce ; chez lui on le voyait débonnaire, l’homme du monde le plus charmant à vivre, accueillant, séduisant, et sachant – en compagnie de sa femme, sa Jacqueline, une petite religieuse défroquée, – s’accorder les charmes les plus variés et somptueusement délicats de l’existence.

Hébert devait d’ailleurs à son tour – ainsi que sa Jacqueline – périr sur cet échafaud dont il avait été le plus exalté pourvoyeur (guillotiné le 4 germinal an II, 24 mars 1794, et sa femme vingt jours après lui).

 

 

 

XII

 

CALOMNIE ET TERREUR

 

 

En conclusion aux pages qui précèdent, le lecteur est peut-être amené à se demander comment il a pu se faire que les Français, les Parisiens, en immense majorité hommes de cœur, de probité et de mesure – la mesure n’est-elle pas comme la qualité essentielle du Français ? – ont pu être amenés, un moment donné de leur histoire, à ces excès d’horreurs, de cruautés, de méchanceté perverse et calculée, dont on ne trouve peut-être intensité pareille chez aucun autre peuple, en une époque quelconque de son histoire. Les deux mots qui font le titre de ce chapitre, en donneraient, semble-t-il, l’explication.

La calomnie !... Peu avant la Révolution, Beaumarchais en faisait une peinture inoubliable en l’immortel couplet placé par lui sur les lèvres de don Basile en son Mariage de Figaro :

« La calomnie, il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde qu’on ne fasse adopter en s’y prenant bien... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme une hirondelle avant l’orage, pianissimo, murmure et vole et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille et piano, piano, vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et, rinforzando, de bouche en bouche, il va le diable ; puis, tout à coup, ne sais comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler, grandir à vue d’œil. Elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ? »

Et voici que la calomnie a mille voix, elle gueule en des échos qui en multiplient la puissance : depuis les discours du haut de la tribune retentissante de la Convention jusqu’aux clabauderies des clubs, dans les nuits fumeuses, parmi les vociférations de sans-culottes avinés ; depuis les mille et une feuilles imprimées, répandues par les pamphlétaires, jusqu’aux commérages et bobards des nouvellistes au Palais-Royal, sous les ombrages du Luxembourg, en la promenade des Célestins, sur la terrasse des Tuileries.

La calomnie naît, grandit, monte, s’élève. Ceux qui en pourraient arrêter le vol sont chassés ou bien emprisonnés, condamnés ; à ceux qui demeurent, la bouche est close par la terreur.

La Terreur !... Voilà la seconde et plus grande cause de ce débordement d’horreurs à faire l’homme rougir d’être un homme, – la Terreur, dont le nom a si justement été donné à l’époque entière.

La terreur rend lâche et la lâcheté rend cruel.

L’accusation de modérantisme, aux grands jours de 1792-1793, était un arrêt de mort. Combien des plus nobles ou des plus ardentes figures, les Girondins, Vergniaud, Bailly, Camille Desmoulins, Danton, les fondateurs de la République, finirent sur cette voie par être jetés au bourreau. Aussi chacun met-il son attention, son zèle à dépasser son voisin, en jacobinisme, en sans-culottisme, en terrorisme, en « pureté » révolutionnaire.

 

            Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure,

 

dit un vers devenu classique. Et les plus purs souffraient nuit et jour dans la peur angoissante de se heurter à de plus purs qui, en manière d’épuration, les feraient guillotiner.

Au début de la Révolution, l’étonnant écrivain que fut Retif de la Bretonne se montra monarchiste convaincu et zélé. On le vit monter la garde aux Tuileries, pique en main, pour la défense de son roi. Il avait un ami membre de la Convention nationale. Le 16 janvier 1793, il le guetta, un pistolet chargé dans sa poche, à l’issue de la séance où fut votée la mort du roi :

– Avez-vous voté la mort ?

– Non.

– Je vous aurais brûlé la cervelle.

Et nous retrouvons peu après ce même Retif de la Bretonne sectateur déclaré, sectateur délirant de Robespierre et de Marat. De cette chute en un jacobinisme sanguinaire le passage suivant de ses Nuits révolutionnaires donnera l’explication :

« Toutes les nuits mon imagination me peignait l’audience révolutionnaire : Dumas et Coffinhal (président et vice-président du tribunal), leurs sitisangues jurés, les banquettes, les gendarmes à la baïonnette tirée, le foudroyant : Tu n’as pas la parole ! la tonte frissonnante des cheveux, les mains hideusement ligaturées derrière le dos, la charrette, les huées d’une populace effrénée, la descente serrant le cœur, le fatal escalier, le renversé sur la planchette, la chute bruyante du couperet... les flots de sang... »

La France entière, Paris surtout se trouvaient ainsi plongés dans les rouges brumes de la Terreur : terreur de la tonte frissonnante des cheveux, des mains hideusement liées derrière le dos, terreur de la charrette, du renversé sur la planchette, du couperet, des flots de sang... tant et tant que, tout au moins ceux qui se trouvaient à un titre quelconque mêlés aux affaires publiques, entraînés sur une pente fatale, croyaient devoir accuser, accentuer de plus en plus leur dévouement à la révolution jacobine, faire montre d’une ardeur sitisangue, comme dit Retif, poussés qu’ils étaient par la peur. Ce qui se fait sous l’empire de la peur est toujours bas, lâche, méchant et honteux ; et l’on vit en ces jours glorieux s’épanouir la floraison criminelle la plus horrible peut-être que le monde ait connue, jusqu’à ce que le soleil de thermidor vînt en dessécher la sève dévorante.

 

 

 

ÉPILOGUE

 

 

Le temps est le grand maître qui répare – souvent, hélas, trop tard ! – bien des iniquités. De son jugement clair et sain, l’admirable historien et poète Pierre de Nolhac – et qui a consacré à Marie-Antoinette des livres d’une vérité exquise, – a parlé de l’infortunée souveraine en ce beau sonnet dont nous lui demandons affectueusement la permission de faire notre conclusion :

 

            L’ÉCHAFAUD DE LA REINE

 

            Tu suivais un chemin, ô reine, où le pied glisse,

            Nulle fange à présent ne peut plus t’effleurer ;

            Pourtant bien que tes yeux soient lassés de pleurer,

            Il faut encor qu’une œuvre horrible s’accomplisse ;

 

            Il faut que ta souffrance épuise le calice

            Que des règnes impurs ont laissé préparer ;

            Victime que l’obscur bourreau va déchirer,

            Que de mains ont dressé les bois de ton supplice !

 

            Mais ton âme héroïque et royale a grandi

            Sous l’insulte jetée et le glaive brandi,

            L’échafaud d’un prestige immortel t’a parée,

 

            Et tu nous fais par lui reconnaître tes droits,

            Et nous te saluons, tête pâle et sacrée,

            Ô fleur sanglante éclose aux vieux jardins des rois.

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

(Il va de soi qu’on n’a pas songé à donner ici une bibliographie de toutes les publications relatives à la reine Marie-Antoinette, mais uniquement la liste des textes et, plus particulièrement, des livres imprimés dont l’auteur s’est servi pour écrire les pages ci-dessus.)

« Procès-verbal du 6 octobre 1793 de l’enquête faite au Temple contre Marie-Antoinette. Archives nationales, AE II, 1381.

Les journaux contemporains.

Relation de l’exécution de Marie-Antoinette par le citoyen Lapierre, publiée dans la Nouvelle revue rétrospective, XVIII, 72.

 

*

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AIMOND (Chanoine Ch.). – Histoire de la Ville de Varennes-en-Argonne. 1928.

BAUMANN (Émile). – Marie-Antoinette et Axel Fersen. 1931.

CAMPAN (J.-L.-H. GENEST, dame). – Mémoires. Éd. diverses.

CAMPARDON (Émile). – Marie-Antoinette à la Conciergerie, du 1er août au 16 octobre 1796. Pièces originales. Paris, 1867, in-16.

CHAIX D’EST-ANGE (G.). – Marie-Antoinette et le procès du collier, suivi du procès de la reine Marie-Antoinette. 1889.

CLÉRAY (Edmond). – L’Affaire Favras. 1932.

GAULOT (Paul). – Un complot sous la Terreur : Marie-Antoinette, Tourlan, Jarjaye. 1889.

CONCOURT (Edmond et Jules de). – Histoire de Marie-Antoinette. 1859. Œuvre remarquable à laquelle l’auteur de ce livre doit beaucoup.

LAFONT D’AUSSONNE. – Mémoires sur les malheurs de la reine de France. Paris, 1824, in-8o. Ouvrage précieux à consulter car on y trouve des documents que l’on chercherait vainement ailleurs, mais dont il ne faut se servir qu’avec prudence, étant donné le manque d’objectivité, parfois le manque de sens critique de l’auteur.

LA ROCHETERIE (Maxime de). – Histoire de Marie-Antoinette. 2e éd. Paris, 1892, 2 vol. in-16. Nous nous sommes particulièrement servi de ce livre documenté et éloquent pour notre chapitre II, Aux Tuileries.

LA ROCHETERIE et marquis de BEAUCOURT. – Lettres de Marie-Antoinette. Paris, 1896, in-8o.

LENÔTRE (Georges). – Marie-Antoinette, la Captivité, la Mort. Paris, 1906, in-8o. Recueil de textes publiés avec notices du plus vif intérêt.

LENÔTRE (G.). – Le Drame de Varennes, juin 1791. 1905. Œuvre de tout premier ordre et d’une lecture attachante. Notre chapitre III, Varennes, lui doit ce qu’il contient de meilleur.

MARION (Marcel). – Le bataillon marseillais du 26 janvier, op. Revue des Questions historiques, 1er oct. 1930.

NOLHAC (Pierre de). – La reine Marie-Antoinette. 1899. Livre déjà classique par la sûreté de l’érudition, le charme du style, la délicatesse du sentiment.

STAEL (Baronne de). – Réflexions sur le procès de la reine. 1793.

TOURNEUX (Maurice). – Marie-Antoinette devant l’Histoire. Essai bibliographique. Paris, 1895, in-8o.

TOURZEL (Duchesse de). – Souvenirs. 1861.

VIEL-CASTEL (Horace de). – La reine Marie-Antoinette et la Révolution française. Paris, 1859, in-12.

WEBER, frère de lait de la reine. – Mémoires concernant Marie-Antoinette. Coll. Berville et Barrière, 1822.

 

 

 

Frantz FUNCK-BRENTANO, Les derniers jours de Marie-Antoinette,

1933, collection « Hier et aujourd’hui ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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