La belle histoire de Mirliton
par
Anne-Marie GACÔGNE
Mirliton, le petit chien des rues, trottine sur la chaussée glissante, sous la pluie.
Son maître, le bon clochard, est mort de froid la nuit dernière, sous le pont, là-bas, près de Notre-Dame de Paris.
Ils ont été si heureux ensemble et, maintenant, il est tout seul, le brave petit toutou, abandonné. Il se sent bien perdu : que de visages hostiles autour de lui ! Une femme hargneuse, tout à fait la Fée Carabosse, déguisée en ménagère, lui lance un seau d’eau sale. Plus loin, de méchants génies sous la forme d’enfants lui jettent des pierres ; l’une d’elles le blesse légèrement à la patte ; les écoliers s’éloignent en riant, et les grandes personnes passent indifférentes, pressées.
Le pauvre petit chien se traîne avec peine dans une cour sordide, et il se cache derrière une vieille caisse. Il a si froid, et il souffre ; une pluie fine et glacée martèle le pavé. Le jour s’étire, long, morne, interminable.
La nuit est venue, une nuit sans lune et sans étoiles.
Grelottant de froid, Mirliton se décide à quitter sa cachette, et clopin-clopant il va dans l’obscurité. Bientôt, il arrive à une église qu’il connaît bien. Autrefois, il venait souvent là, mendier avec son maître, à la sortie de la messe. Il se roule en boule dans le coin le plus sombre du portail et là il attend. Il attend quoi ? l’Homme de la Fourrière, peut-être ! Il frissonne... À quoi bon ? La vie est si triste pour lui, pauvre petit chien des rues... il peut bien mourir maintenant.
Mais cette nuit n’est pas une nuit comme les autres, c’est Noël ! Une grande animation règne. Soudain, l’air vibre d’une joyeuse musique, toutes les cloches carillonnent ; l’Église s’illumine, les fidèles accourent nombreux. Le pauvret est bousculé par des centaines de pieds boueux.
Piteux, il va un peu plus loin et il se recroqueville tout contre le mur. Sa patte lui fait bien mal, et il voudrait tant une bonne soupe, des caresses...
Voici la sortie de la Messe de Minuit. Tous se hâtent, il ne faut pas faire attendre le Réveillon. Et pourtant, Mirliton est là qui souffre.
La pluie a cessé, les nuages s’entrouvrent, et la lune apparaît, brillante et magnifique.
À ce moment, une jolie petite fille sort de l’Église avec sa maman :
– Là, regarde près du mur, un petit chien ! s’exclame-t-elle.
Doucement elle le caresse :
– Comme il a froid ! et il a mal à sa patte.
Et elle dépose un baiser sur les poils humides.
– Laisse donc cet animal ! gronde la mère.
– Oh ! maman, il est malade, et puis, tu sais, à la Messe, j’ai demandé au petit Jésus de la Crèche de m’envoyer une bonne action à faire pour Noël, la plus belle que j’aie jamais faite. Et tu vois, ce petit chien c’est sa réponse. Je t’en supplie, maman chérie, emmenons-le à la maison. Soignons-le : il sera mon gentil compagnon.
À ce moment, et comme s’il voulait supplier lui aussi, Mirliton lève les yeux, regarde la maman avec une expression si triste, si touchante (ma foi, on dirait qu’il pleure !) que la bonne dame s’attendrit et, finalement, cède. Et quel serait le cœur assez dur pour résister à cet émouvant regard de chien ?
C’est la grâce de Noël !
Rayonnante de joie, la petite fille emporte le cadeau du petit Jésus, le serre dans ses bras avec amour. Le trio s’en va vers la maison bien chaude. Mirliton, le petit chien des rues, se dit : « C’est une fée, une de ces bonnes fées dont me parlait maman autrefois, quand j’étais tout petit. » Et, confiant, il pose sa tête lasse sur l’épaule de sa jeune protectrice. Maintenant, il sera heureux toujours.
Et toutes les étoiles brillent dans le beau ciel de Noël...
Anne-Marie GACÔGNE.
Paru dans Rythmes et couleurs en 1961.