Joël

 

à mon neveu J. ARNAUD.

 

 

Jésus sur la montagne avait conduit la foule :

Comme un flot abondant d’une source s’écoule,

L’enseignement divin du sommet ruisselait

Sur les groupes nombreux, et chacun tressaillait ;

Et plus d’un qui s’était accroupi sur la pierre

Dans l’ombre de la mort, naissait à la lumière ;

Et le verbe volait et subjuguait les cœurs,

Disant : « En vérité, les bons sont les vainqueurs ;

» Les pacifiques sont la lumière du monde,

» La semence du ciel éternelle et féconde.

» Oh ! tressaillez de joie et réjouissez-vous ;

» Bienheureux sont les bons ! bienheureux sont les doux ! »

 

Au sein de cette foule innombrable et mêlée,

De Zahulon venue et de la Galilée,

Se dressait un enfant bien connu dans Sion,

Géant porteur de linge aux sources de Gihon :

Joël, simple d’esprit, et que chacun repousse,

Du tremblement divin éprouvait la secousse ;

Et le jour pénétrait avec la voix des cieux

Dans l’âme du colosse aux pleurs silencieux.

Or, de fils débauchés une troupe frivole,

Cœurs malheureux fermés à la sainte parole ;

Des enfants insensés, toujours nombreux partout,

Disaient, se le montrant : Voyez pleurer le fou !

Et ces derniers, cruels que le rire encourage,

Lui jetaient des débris et du sable au visage ;

Lui tracassaient les flancs, le dos, les membres nus

Des pointes du genêt ou du paliurus ;

Dans leurs féroces jeux allant jusques au crime,

Le poussaient sur le roc qui surplombait l’abîme.

Joël les écartait de la main, lentement,

Sans les voir, tout entier à son ravissement ;

Mais les enfants sur lui revenaient, troupe vaine,

Comme des passereaux dans les branches d’un chêne.

 

Riant d’un rire faux, scribes et publicains

Excitaient autour d’eux ces assauts inhumains.

Alors un bouffon vil, parasite reptile,

Vermine issue un jour des fanges de la ville,

Le cynique Phogor, l’opprobre d’Israël,

Se lève et dit : « Voici pour réveiller Joël » ;

Et rougit de son sang un lâche cimeterre.

Joël tombe du ciel, mais comme le tonnerre

Fulgurant et terrible ; incontinent dans l’air

Se tord le misérable entre ses doigts de fer ;

Et le groupe tremblant des débauchés infâmes

Cherche à fuir ses regards d’où jaillissaient des flammes.

 

Le flot céleste et pur du sommet ruisselait

Sur les groupes nombreux, et chacun tressaillait ;

Et plus d’un qui s’était accroupi sur la pierre

Dans l’ombre de la mort, naissait à la lumière ;

Et le verbe volait et subjuguait les cœurs,

Disant : « En vérité, les bons sont les vainqueurs ;

» Les pacifiques sont la lumière du monde,

» La semence du ciel éternelle et féconde ! »

 

Et le géant rêvait ; il avait oublié

Sur le gouffre Phogor à sa droite lié,

Dans la poursuite au vol des paroles sublimes ;

Et le pâle histrion pendait sur les abîmes.

 

Ah ! réjouissez-vous ; heureux les bons ! Joël,

Qui revient de l’enfer ou qui remonte au ciel,

Le front illuminé d’une pure lumière,

A déposé Phogor doucement sur la pierre.

 

 

 

P.-Jean GAIDAN,

Aubes d’avril et

soirs de novembre,

1870.

 

 

 

 

 

 

 

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