La noce d’Elvire

 

                                             ÉLÉGIE

 

 

               « JEUNE fille, où vas-tu si tard ?

              D’où vient qu’à travers la vallée

              Tu portes tes pas au hasard ?

Pourquoi les égarer dans cette sombre allée ?

Les bergers dès longtemps ont rentré les troupeaux,

L’horloge va sonner l’heure de la prière ;

Et déjà pour goûter les douceurs du repos,

              Le laboureur a rejoint sa chaumière.

              Et pourquoi fuis-tu le hameau ? »

– « Quoi ! vous n’entendez pas le son du chalumeau !

Ils sont heureux là-bas, et voici la chapelle

Où ce matin Elvire a reçu ses serments...,

J’étais là, je l’ai vue, ô douloureux moments !

Comme il la regardait ! Hélas ! elle est si belle !

Je l’étais autrefois ; du moins il le disait ;

Mon regard, mon langage, en moi tout lui plaisait.

Pour une autre aujourd’hui l’infidèle soupire,

    Ce n’est plus moi qui fait battre son cœur,

        Il ne voit, n’entend plus qu’Elvire,

Pourrai-je sans mourir contempler leur bonheur ?

Laisse une infortunée à sa douleur en proie,

Va trouver les vieillards rassemblés sous l’ormeau ;

Mais d’un jour aussi beau ne trouble pas la joie,

Ne dis pas que je pleure aux filles du hameau.

        Tu les verras courir sur la montagne,

            Et se livrant à mille jeux,

            Célébrer par des chants joyeux

            L’hymen de leur jeune compagne ;

Parmi les doux objets qui frapperont tes yeux,

Tu la reconnaîtras à sa blanche parure,

    À son bouquet, sa blonde chevelure,

    Aux ornements que ma main a tissus,

    À la croix d’or, à la riche ceinture

              Que de l’ingrat elle a reçus.

    Comme un beau lys tu la verras paraître,

Et les boutons tremblants des fleurs de l’oranger

Qui retiennent le plis de son voile léger

    Te la feront encor mieux reconnaître.

    Pour la parer en ce jour solennel,

Moi-même sur son front j’ai posé la guirlande.

Des époux j’ai suivi les pas jusqu’à l’autel ;

J’ai mêlé mon tribut à leur pieuse offrande ;

C’est alors qu’il m’a vue.... Ô trop flatteuse erreur !...

Un seul instant j’ai cru revivre dans son cœur,

    Il a pâli.... Mais un regard d’Elvire

Sur sa bouche a bientôt rappelé le sourire !

Ce moment pour jamais a fixé mon destin,

Adieu ; sur mes malheurs, bon vieillard, prends courage ;

              Dans peu les cloches du village

              De mes maux t’apprendront la fin.

              Elle dit.... et l’écho fidèle

              Répéta ses tristes accents.

              Un mois après, vers la chapelle

              Dirigeant ses pas languissants,

Le vieillard aperçut une tombe nouvelle :

« Grand Dieu, s’écria-t-il, ta bonté paternelle

    « A pris pitié d’un sort si rigoureux.... »

    Elle n’est plus.... Pourtant, à la même heure,

              L’écho de la sainte demeure

Répète encor des accents douloureux,

Mais la voix a changé.... C’est Elvire qui pleure.

 

 

 

Delphine GAY.

 

Recueilli dans Tablettes romantiques, 1823.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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