Le petit charbonnier
« Le père est en forêt, à son fourneau ; la mère file assise à la maison ; ils attendent que je devienne un homme à mon tour pour avoir une fiancée selon mon cœur.
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« De bonne heure, avec le jour, je pars de chez moi. Fraîche vie tant que le soleil brille ! Il faut porter au père le boire et le manger ; puis les heures du soir viennent rapidement.
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« Je n’ai pas peur dans le sentier vert où je passe tout seul ; mais les pins sont bien noirs au-dessus de ma tête ; les ombres des montagnes bien longues !
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« Tra la la !... Le cœur est léger comme l’oiseau qui vole... Je vais sauter, chanter... hou ! comme on entend gémir au cœur de la montagne ! Les paroles pèsent sur les lèvres...
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« Ah ! que ne suis-je déjà près de mon vieux père ! J’entends l’ours gronder et crier. C’est un rude compagnon que l’ours, et qui n’épargne ni vieux ni jeune.
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« L’ombre épaisse comme une fourrure couvre la route isolée. On entend glisser, puis craquer dans les rochers et les bois : ce sont les pas du Troll sur la bruyère.
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« Mon Dieu ! En voilà un, deux ! Ils sont trois ! Ils vont me saisir dans leur filet... Voyez comme les sapins s’agitent... ils me font des signes ! Dieu, rassurez votre pauvre enfant ! Il s’agit ici de bien courir pour sauver sa vie. »
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
Et la nuit descend ; l’heure se ralentit ; la route devient plus obscure, plus incertaine, plus invisible. On entend chuchoter, frapper sur la pierre et le bois. Le petit court à travers la lande.
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
Le cœur sautant, la joue enflammée, il arrive au fourneau et tombe aux pieds de son père : « Eh bien ! Eh bien ! mon cher fils ! » – « Ah ! j’ai vu les Trolls ! j’ai vu les Trolls ! »
– Qu’il fait obscur là-bas, là-bas au fond des bois !
« Mon fils, j’ai vécu bien des années. Avec le secours de Dieu, me voilà bien portant. Celui qui sait par cœur son Notre Père ne redoute ni démon ni Troll. »
Quelque obscure que soit la route au fond des bois.
Erik Gustaf GEIJER.
Recueilli dans Le roi Fialar,
Garnier Frères, 1879.