La Communion

 

 

« C’est à douze ans, c’est au printemps de l’année que l’adolescent s’unit à son créateur.

De jeunes filles vêtues de lin marchent sur une route semée des premières fleurs du printemps

et s’avancent vers le temple en chantant de nouveaux cantiques. »

 

CHATEAUBRIAND. (Génie du Christianisme.)

 

 

 

        À genoux, enfants, à genoux,

        L’autel est prêt et Dieu lui-même

        S’approche pour s’unir à vous !

    Priez, aimez, Dieu vous voit et vous aime !

 

        Il vous aime, il vous a bénis ;

        Car pour porter votre prière

        Jusqu’à ses célestes parvis,

        Au Ciel vous avez une mère.

 

    Avez-vous vu dans les champs d’alentour

        Les buissons chargés d’églantines,

    La fraîche iris, les blanches aubépines

        S’ouvrant aux premiers feux du jour ?

 

        Avez-vous vu les tilleuls dont s’ombrage

            L’humble chapelle du village,

            Balancer leurs jeunes rameaux

        Et dans leurs nids s’agiter les oiseaux ?

    

            Oh ! tout fête dans la nature

            L’heure où la jeune créature

            Instruite aux secrets du saint lieu,

            Avec une âme fraîche et pure

            Demande à connaître son Dieu.

    

        Qu’attendez-vous ? que ma main vous bénisse !

        Je le veux : mais si près du moment solennel

            Je tremble qu’aux regards du Ciel

            Votre front pur ne se ternisse,

    Et même en recevant le baiser paternel !

 

Vous le voulez encore ! allez filles bien chères,

Je vous bénis trois fois, et proclame aujourd’hui

Devant le Dieu clément qui vous appelle à lui,

Que vous m’avez rendu le plus heureux des pères !

Que du bien dans vos cœurs la semence a germé ;

Que du Seigneur vos voix connaissent les louanges,

Et que dans le malheur vous m’avez tant aimé,

Que j’ai cru qu’il m’avait entouré de ses anges !

Allez, je vous suivrai. Du Dieu qui vous attend

    J’aborderai la demeure paisible,

J’oserai soutenir son regard mécontent,

Je dirai que mon cœur est mondain, mais sensible,

    Qu’une âme tendre est toujours près de Dieu,

Et même en s’oubliant dans des joies insensées

        N’a jamais, aux saintes pensées,

        Cru dire un éternel adieu.

 

 

                                        *  *  *

 

Elles sont à genoux ! J’ai vu tomber les voiles

        Qui couvraient ces fronts innocents,

        Sur eux descendaient des étoiles

        Parmi des nuages d’encens.

 

        « Seigneur de l’innocent qui prie

        « Détournez vos terribles coups :

        « Sommes-nous indignes de vous ?

« Dites une parole et notre âme est guérie ;

« Si je vous outrageai, recevez mes regrets,

    « Le repentir du péché me dévore :

    « Plutôt mourir, ô Sauveur que j’implore

         « Que de vous offenser jamais 1 ! »

 

Un silence a suivi cette ardente prière,

    Le rayon pur d’une vive lumière

        Sur le calice est descendu,

        Et tremblant, courbé sur la pierre

En des torrents de pleurs mon cœur s’est répandu.

 

« Ô mon Dieu, je vous crains, je vous sers, je vous aime !

« Je vous offre l’amour qu’ont pour vous les élus.

« Vous avez pris pitié de ma faiblesse extrême,

« Votre grâce est en moi, ne la retirez plus 2. »

 

Ainsi disaient vos voix innocentes et chères

Le voile de mon cœur alors s’est éclairci,

J’ai relevé mon front, répété vos prières,

En regardant le ciel, j’ai dit : je crois aussi !

 

 

                                        *  *  *

 

Quelle nuit m’entourait ! Douter est si facile !

À méconnaître Dieu, notre esprit indocile,

Dans ses subtilités trouve un si noble espoir !

Puis le ciel est muet devant notre savoir !

Quand donc résoudra-t-il un seul des grands problèmes

Que nous lui proposons ? Misérables blasphèmes,

De vous mon fol orgueil ne sera plus tenté !

Et pourtant, qu’a-t-il fait ce Dieu pour me répondre ?

Par des raisonnements m’est-il venu confondre,

Ou sur moi sa vengeance aurait-elle éclaté ?

Ai-je vu ses éclairs, entendu son tonnerre ?

Lui-même a-t-il courbé mon front audacieux,

    Ou m’enlevant un instant à la terre,

        M’a-t-il fait traverser les cieux ?

Non ! dans une humble église en sa seule présence

Sans pompeux ornements illumine l’autel,

        À la voix d’un simple mortel

    Il est venu s’unir à l’innocence ;

Mon cœur se flétrissait dans l’incrédulité ;

Devant le pain céleste où tout chrétien aspire

Un faible enfant parut avec son doux sourire,

    Dieu n’a rien dit, et je n’ai plus douté.

 

 

 

Ulric GUTTINGUER.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.