Le testament
Jésus les conduisit alors vers Béthanie.
Ils suivaient, contemplant sur la terre bénie
La trace que ses pieds avaient faite en passant,
Et, comme chaque pas se fleurissait de sang,
Ils virent que le sol était rouge de roses.
Et Jean lui dit : « Seigneur, à la place où tu poses
Tes pauvres pieds ouverts qu’ont traversés les clous,
Voici que l’herbe jaune et que le sable roux
Sont fleuris comme les jardins au bord du fleuve.
– En vérité, je vous le dis, la terre est neuve,
Ce qui ne germait plus vient d’éclore et vivra. »
Il les bénit, levant sa droite, et proféra :
« La terre où j’ai semé mon sang, je vous la fie ;
Soyez riches d’amour et répandez la vie
Par la vertu du sang versé sur vos douleurs ! »
Puis, tourné vers Simon, il dit : « Sèche tes pleurs. »
Pierre, en se souvenant du coq, pleurait de honte.
Mais Jésus : « Calme-toi, Simon, la chair est prompte.
Puisque tu sais que nul n’est infaillible ici
Et qu’on doit l’indulgence à tous, je t’ai choisi
Pour être le pasteur des faiblesses humaines.
Ô Simon, prends bien soin des brebis que tu mènes !
Guéris-les ! Les élus sont frères des souffrants.
Les temps seront plus doux si les cœurs sont plus grands.
Et puisque vous errez sur les mêmes abîmes,
Éternels exilés du bonheur, ô victimes,
Ayez cette patrie éternelle, l’amour !
Consolez-vous ! Aimez ! Aidez ! Que tour à tour,
Riche ou pauvre, puissant ou faible, et suivant l’heure,
Celui qui peut sourire aide celui qui pleure,
Et celui qui pleurait voudra sourire aussi.
Aimez-vous, et donnez ! Et l’on dira merci,
Non pour le pain, mais pour la pitié qui le donne !
Aimez, et la bonté vous sera deux fois bonne,
Car donner du plaisir c’est prendre du bonheur.
Aimez-vous, aidez-vous, et que le moissonneur
Laisse parfois tomber un épi de sa gerbe,
Pour qu’un enfant trop pâle, en se penchant sur l’herbe,
Trouve le grain de blé qui guérit d’avoir faim !
Partagez au passant la farine et le vin,
Et sa force d’un jour multipliera la vôtre !
Vous deviendrez plus riche et meilleur l’un par l’autre
Si vous mêlez votre âme au pain que vous offrez ! »
Il leva vers le ciel ses deux bras déchirés.
« Pitié, sainte douceur d’aimer celui qui souffre,
Divine fleur de l’âme éclose au bord du gouffre
Où râlent les vaincus de la vie, ô pitié,
Communion de l’être avec l’être, amitié
Qui vous fait ressembler à Dieu tant elle est vaste,
Calme fraternité qui, dans l’heure néfaste,
Rapproches des souffrants les heureux d’alentour,
Profusion du cœur élargi par l’amour,
Auguste volonté de comprendre sans blâme,
Ô pitié, quand tu prends la moitié de notre âme,
La moitié qui nous reste est plus grande que nous ! »
Les apôtres étaient tombés sur les genoux,
Et les pieds du Sauveur saignaient toujours des roses
Il dit : « Allez au monde et répétez ces choses.
Que la terre s’embaume aux fleurs du Golgotha ! »
Ensuite, auréolé de lumière, il monte.
Et, comme il s’enlevait en leur montrant les routes,
Ses paumes qui saignaient firent, de quatre gouttes
Le signe de la croix sur les quatre chemins.
Et l’on voyait le ciel par les trous de ses mains.
Edmond HARAUCOURT, L’Espoir du monde.