Le voile blanc
par
Maurice HARTMANN
DANS la prison, chargé de chaînes, gît le comte hongrois, attendant le bourreau. Il a voulu venir en aide à son pays, il s’est senti Slave parmi les Slaves et c’est pour cela que le sort l’a atteint si prématurément.
Le comte hongrois n’a pas plus de vingt ans, et il est près – non du catafalque – ce serait pour lui une consolation – mais du gibet où les corbeaux se repaîtront de son cerveau. Et il dort sur sa couche de paille, sans soucis, aussi calme qu’un enfant.
Il a pleuré en embrassant sa mère : « Ô mère, vois ton unique enfant. Bientôt sa vie sera écoulée ; bientôt son nom, d’une si glorieuse renommée, retentira dans la nuit ignominieuse. J’ai assisté à maints combats, j’ai triomphé dans bien des mêlées, et demain, ô mère, je tremblerai. »
Sa mère lui dit : « Ne tremble pas, ô mon fils, je m’agenouillerai devant le trône impérial ; un despote froid y siège, mais la prière d’une mère saura l’émouvoir. Et s’ils veulent te mener sur le chemin de douleur, je regarderai du haut de mon balcon et j’agiterai ce voile blanc. À ce signe, tu sauras, mon fils, que tu dois marcher à la mort. Affronte-la, mon fils, avec courage. N’as-tu pas, mon enfant, le sang des Hongrois ?
« Mais si tu vois mon visage enveloppé du voile blanc, ce sera un signe que l’empereur t’a fait grâce. »
Et c’est pour cela que le comte rebelle dort, le dernier jour, d’un sommeil paisible. Il voit en rêve l’image de sa mère au balcon, enveloppée du voile blanc.
La cloche sonne. Dans les rues s’avance le cortège du bourreau à pas lents. Au milieu est le jeune homme. La foule est groupée aux fenêtres, et sur tout le passage, des larmes et des pleurs tombent pour lui comme des saluts de jeune fille. Il ne voit rien ; d’un regard fixe il cherche le balcon où sa mère est debout, le visage enveloppé d’un voile blanc.
Et, plein de courage, il suit le cortège d’un pas ferme et ne tremblant point, et quand le bourreau le saisit sur la dernière marche, il sourit encore.
En le voile blanc ? Ô stratagème de la douleur, comme en peut imaginer une mère pour ne pas voir, à l’heure de la mort, trembler son enfant.
Maurice HARTMANN.
Recueilli dans Les Grands Auteurs
de toutes les littératures,
Nouvelle Bibliothèque populaire,
dirigée par Henri Gautier.