La légende de Mimi-Nashi-Hôichi
par
Lafcadio HEARN
IL y a plus de sept siècles qu’eut lieu à Dan-no-ura, sur le détroit de Shimonoséki, la bataille qui clôtura la longue rivalité entre les Heiké, de la tribu de Taira, et les Genji, ou partisans de la tribu de Minamoto. Ces derniers avaient été vainqueurs et tous les Heiké, leur jeune empereur, leurs femmes et leurs enfants avaient péri, massacrés !
Depuis ce massacre, la mer et les côtes du détroit sont hantées... Le long des falaises, on entend et on voit souvent des choses étranges... Par les nuits sombres, des milliers de feux-fantômes brillent sur la plage ou volettent au-dessus des vagues des lumières pâles, que les pêcheurs appellent des Oniby, ou feux-démons... Et lorsque le vent mugit, il s’élève de l’océan une clameur pareille à celle d’une bataille.
Au temps passé, les âmes des Heiké se montraient beaucoup plus inquiètes qu’elles ne le sont à présent. Alors, leurs fantômes se dressaient, menaçants, autour des barques de pêche, essayant de les faire chavirer, ou bien ils guettaient les nageurs solitaires, et tâchaient de les saisir et de les entraîner vers les profondeurs insondables de la mer.
Ce fut pour calmer ces esprits méchants que l’on construisit à Shimonoséki le temple bouddhiste de Amidaji. Un cimetière fut aménagé tout près de la plage, et l’on y érigea des monuments funéraires sur lesquels on inscrivit les noms de l’empereur massacré et de ses grands vassaux. Et sans cesse on y célébrait des services pour le repos de leurs âmes !... Après la construction du temple, les Heiké revinrent moins souvent. Mais, de temps à autre, des choses étranges avaient lieu et prouvaient qu’ils n’avaient pas trouvé la paix et le repos définitifs.
Il y a quelques centaines d’années que vivait, dans la ville de Shimonoséki, un aveugle appelé Hôichi. Il était connu dans tout le pays pour son talent à jouer de la biwa. Dès sa plus tendre enfance, il avait appris l’art de la musique et de la récitation et avait vite surpassé ses maîtres. Comme « prêtre luthier », il devint bientôt célèbre par ses chants sur la légende de la haine des Heiké et des Genji, et, lorsqu’il chantait la complainte de Dan-no-ura, « les fantômes eux-mêmes ne pouvaient retenir leurs larmes ».
Au début de sa carrière, Hôichi connut la pauvreté, mais un ami vint à son secours. Il se trouva que le desservant du temple de Amidaji appréciait fort la poésie et la musique : il faisait souvent venir Hôichi dans sa demeure pour lui réciter quelques légendes et poèmes tragiques. Un jour, très ému par le talent du jeune musicien, il lui proposa d’habiter dans le temple où il serait logé et nourri. En retour, Hôichi devrait, de temps en temps, déclamer ou chanter, lorsqu’il n’aurait pas d’autres engagements. L’aveugle accepta cette offre avec gratitude et s’installa définitivement au temple.
Par une chaude soirée d’été, le bon prêtre fut mandé chez un de ses fidèles qui venait de mourir, afin d’y célébrer un service religieux. Il partit donc, suivi de son acolyte, et Hôichi fut laissé seul. Comme la chaleur était intense, il se rendit sous une véranda qui se trouvait à l’arrière du temple et donnait sur un petit jardin, afin de respirer un peu l’air frais avant de rentrer pour dormir. Il attendit patiemment le retour de son bienfaiteur et, pour se distraire, il se mit à jouer sur son luth.
Minuit sonna. Le prêtre ne revenait toujours pas. Cependant, comme la température demeurait étouffante, Hôichi résolut de rester encore quelque temps à l’air.
Soudain, il entendit des pas s’approcher de la grille qui clôturait le jardinet. Quelqu’un traversa précipitamment le petit espace libre, parvint à la véranda et s’arrêta devant l’aveugle.
Ce n’était pas le prêtre !
Une voix sonore retentit, appelant l’aveugle par son nom avec le ton impérieux qu’a un samouraï en parlant à un inférieur.
– Hôichi !...
L’aveugle effrayé ne répondit pas.
La voix prononça de nouveau, d’un ton de commandement :
– Hôichi !...
– Hai... fit alors le musicien terrifié. Je ne puis voir ! Je ne sais qui m’appelle !
– Il n’y a rien à craindre, répliqua la voix inconnue avec moins de brusquerie. On m’envoie à vous, porteur d’un message. Mon seigneur, qui est d’un rang très élevé, s’est arrêté à Shimonoséki accompagné de plusieurs de ses vassaux, car il désirait ardemment voir le lieu où fut livré le combat de Dan-no-ura. Il s’y est rendu aujourd’hui, et, ayant entendu louer le talent avec lequel vous récitez la légende de la grande bataille, il souhaite vous entendre. Prenez donc votre luth et suivez-moi jusqu’au lieu où nous attend l’auguste assemblée.
Dans ces temps-là, il ne faisait pas bon contrarier le moindre désir d’un samouraï. Hôichi mit ses sandales, prit son luth, et suivit l’étranger qui le guida adroitement, mais en l’obligeant à marcher très vite. La main qui tenait celle de Hôichi était gantée de fer, et, à chaque pas que faisait le samouraï, son épée résonnait, prouvant ainsi qu’il était complètement armé. C’était probablement quelque garde de palais.
Lorsque la première frayeur de Hôichi se fut dissipée, il se souvint de la phrase de son guide : « Mon seigneur est d’un rang très élevé », et il se félicitait de sa bonne chance. Il se dit que le noble personnage qui l’envoyait quérir ne pouvait être qu’un daimyo de première classe.
Au bout d’un certain temps, le samurai s’arrêta, et Hôichi se rendit compte qu’ils étaient arrivés devant une large porte grillée. Il en fut étonné, car, dans toute la ville, il ne se souvenait d’aucune porte de ce genre, à part celle qui clôturait l’entrée principale du temple.
– Kaimon 1 ! s’écria le samouraï.
On entendit un bruit de ferrailles, comme si on eût enlevé des crochets de fer barricadant la porte, et ils reprirent tous deux leur chemin. Après avoir traversé ce que Hôichi devina être un jardin, ils s’arrêtèrent de nouveau devant une entrée, et le samouraï s’écria :
– Ho ! Là-bas ! Je ramène Hôichi !
Aussitôt on perçut le son de pas pressés, d’écrans que l’on glissait, de portes qu’on entrouvrait, de voix de femmes parlant entre elles. D’après leur conversation, Hôichi comprit qu’elles étaient les servantes de quelque noble maison. On ne lui laissa guère le temps de réfléchir : après l’avoir aidé à gravir plusieurs marches, on le pria de retirer ses sandales. Puis une main de femme prit la sienne, et le conduisit, par des détours compliqués et interminables, à ce qui lui sembla être une salle très vaste. Hôichi devina qu’il devait y avoir beaucoup de monde réuni, car le froufrou des robes de soie était pareil au bruissement des feuilles dans une forêt. Il entendit un bourdonnement de voix confuses, et le parler était celui des cours.
On dit à Hôichi de ne rien craindre. Il s’agenouilla sur un coussin et accorda son instrument. Puis une voix féminine, qu’il devina être celle de la Rojo 2, lui dit :
– On vous commande maintenant de réciter la légende des Heiké et de vous accompagner sur la biwa.
Comme la récitation du poème entier eût nécessité plusieurs audiences, Hôichi se permit de poser une question.
– Toute la légende serait fort longue à réciter. Quelle partie l’auguste assemblée désire-t-elle entendre ?
Et la voix de la matrone lui répondit :
– Contez-nous l’histoire de la bataille de Dan-no-ura, car c’est l’épisode le plus triste et le plus attendrissant.
Hôichi éleva la voix et chanta la complainte du combat qui eut lieu sur les flots amers. De son luth, il imita le bruit des coups de rames, les brusques volte-face des pirogues, les sifflements des flèches, les cris des guerriers, le heurt des épées sur les casques, la chute lourde des corps dans l’océan...
Lorsqu’il s’interrompit, il entendit tout autour de lui des murmures élogieux :
– Quel artiste merveilleux ! disaient les uns.
– Hôichi est incomparable ! Jamais, non jamais, dans notre province nous n’avons entendu jouer ainsi ! s’écriaient à mi-voix les autres.
Alors il se sentit pénétré d’une ardeur nouvelle : il chanta encore mieux qu’auparavant, et un silence admirateur se fit autour de lui. Mais lorsqu’il décrivit le sort des femmes et des enfants, pourchassés par les Genji, lorsqu’il narra le saut dans la mer que fit la nourrice impériale Nii-no-ama, tenant dans ses bras le jeune empereur, tous ses auditeurs poussèrent un long cri d’angoisse et se mirent à sangloter si éperdument que Hôichi fut effrayé de ce désespoir. Pendant quelques instants, les pleurs et les lamentations continuèrent, puis, petit à petit, ils se dissipèrent et seule la voix de celle qu’il présumait être la Rojo se fit entendre.
Elle dit :
– Bien que l’on nous eût assuré que vous jouiez sur votre biwa avec une habileté extrême, nous ne nous attendions pas au talent merveilleux que vous venez de nous révéler. Notre seigneur a bien voulu déclarer qu’il serait heureux de vous récompenser. Il désire toutefois que vous veniez réciter devant lui chaque soir, pendant les six nuits suivantes. Il est probable qu’après ce laps de temps il entreprendra son « très auguste voyage de retour ». Soyez donc ici demain à la même heure. Le guerrier qui vous a amené aujourd’hui sera de nouveau votre guide. On vous ordonne, en plus, de ne parler à qui que ce soit de vos visites ici, durant le séjour que notre auguste seigneur fait à Shimonoséki. Comme il voyage incognito, il vous commande de n’en parler à personne. Vous êtes maintenant libre de retourner au temple !
Après avoir exprimé ses remerciements, Hôichi se laissa reconduire à l’entrée du palais, où l’attendait le samouraï, qui le ramena au temple. Là, il le quitta en lui disant au revoir.
Le jour commençait à poindre lorsque Hôichi rentra chez lui. Son absence n’avait pas été remarquée ; le prêtre n’était revenu qu’à une heure avancée de la nuit, et supposait, sans doute, que son ami dormait.
Pendant la journée suivante, Hôichi put prendre un peu de repos... Il ne souffla mot de son aventure.
Au milieu de la nuit, le guerrier vint le chercher comme le soir précédent et le conduisit à l’endroit où l’attendait l’auguste assemblée. Il eut le même succès, mais, cette fois, son absence fut remarquée, et, lorsqu’il revint, à l’aube naissante, le prêtre le manda en sa présence et lui dit d’un ton de reproche affectueux :
– Nous avons été fort inquiets à votre sujet, ami Hôichi, car, pour vous qui êtes aveugle, il est bien dangereux de sortir ainsi seul à une heure aussi avancée. Pourquoi ne pas m’en avoir prévenu ? Je vous aurais fait accompagner par un serviteur... Où êtes-vous allé ?
Hôichi répondit évasivement :
– Pardonnez-moi, mon bon ami ! J’ai dû vaquer à une affaire très importante et tout à fait personnelle... Et c’était hier le seul moment où je pouvais la conclure.
Le prêtre fut plutôt surpris que peiné par la réticence de Hôichi. Il vit qu’elle n’était pas naturelle, et il se dit que quelque chose d’étrange avait dû survenir. Il ne posa aucune autre question, mais il ordonna à deux de ses serviteurs de surveiller les allées et venues de l’aveugle, et de le suivre s’il s’avisait de sortir, une fois le crépuscule tombé.
La nuit suivante, on vit Hôichi quitter le temple. Les serviteurs allumèrent en toute hâte leurs lanternes, et se mirent à le suivre. Il pleuvait et il faisait si sombre que, bien avant qu’ils eussent pu gagner la grande route, Hôichi avait disparu. Il avait dû marcher extrêmement vite, ce qui était bizarre pour un aveugle. Les serviteurs allèrent à travers toutes les rues, demandant de porte en porte si l’on n’avait pas aperçu le musicien. Personne ne l’avait vu !
Enfin, tandis qu’ils s’en retournaient chez eux par la plage, ils perçurent le son d’un luth qui venait du cimetière. L’instrument était touché avec une fougue ardente et ils en furent effrayés !... À l’exception de quelques feux-fantômes comme il y en avait toujours par les nuits obscures, tout était noir. Néanmoins, les domestiques pressèrent le pas et se hâtèrent vers le champ des morts... Là, à l’aide de leurs lanternes, ils aperçurent Hôichi assis tout seul devant le monument funéraire du jeune empereur Anteko-Tennu ! Il jouait éperdument sur sa biwa en déclamant le récit de la bataille de Dan-no-ura ! Et, autour de lui, au-dessus des tombes, voletaient en scintillant les lumières des morts... Jamais œil humain n’avait vu une multitude aussi prodigieuse de feux-démons.
– Hôichi-San ! Hôichi-San ! s’écrièrent les hommes épouvantés. Vous êtes ensorcelé, Hôichi-San !
Mais l’aveugle ne les entendit pas. Il faisait résonner furieusement sa biwa, et chantait, avec une exaltation toujours croissante, la complainte du grand combat.
Les domestiques, terrifiés, le saisirent par ses habits et lui crièrent de nouveau :
– Hôichi-San ! Hôichi-San ! Revenez tout de suite avec nous.
Alors, il leur répondit d’un ton de reproche :
– On ne tolérera pas que vous m’interrompiez de pareille façon devant une aussi auguste assemblée !
À ces paroles, les serviteurs ne purent s’empêcher de rire, malgré leur épouvante. Convaincus que Hôichi était victime d’un charme, ils le contraignirent à se lever et le ramenèrent de force jusqu’au temple. Là, le prêtre ordonna qu’on lui enlevât immédiatement ses habits mouillés et qu’on lui donnât à boire et à manger. Puis, il le fit venir près de lui, et exigea une explication de sa conduite mystérieuse.
Hôichi hésita longtemps avant de parler, mais enfin, comprenant que sa fugue avait réellement alarmé le bon prêtre, il lui raconta tout ce qui s’était passé.
Lorsqu’il eut achevé, le prêtre lui dit :
– Hôichi, mon pauvre ami, vous courez à présent un très grand danger ! Votre merveilleux talent va vous causer d’inconcevables ennuis. Vous devez être convaincu, maintenant, que vous avez bien passé les trois dernières nuits au cimetière, parmi les tombes des Heiké ! Ce soir même, mes gens vous ont trouvé, assis dans la pluie, devant le monument de Anteko-Tennu ! Tout ce que vous avez cru être vrai n’était que des illusions... tout, excepté l’appel des morts... En leur obéissant une fois, vous vous êtes mis en leur pouvoir. Si, après ce qui est arrivé, vous vous rendez de nouveau à leurs sommations, ils vous déchireront en morceaux. Du reste, tôt ou tard, ils vous auraient sûrement tué... Ce soir, je ne puis malheureusement pas rester avec vous, car je suis mandé auprès d’un mourant... Mais avant de partir, je protégerai votre corps en y inscrivant des versets sacrés.
Quelque temps avant le coucher du soleil, le prêtre, aidé de son acolyte, dévêtit Hôichi. Puis, avec des pinceaux, ils tracèrent sur son dos et sur sa poitrine, sur sa tête, son cou et son visage, sur ses bras et sur ses jambes, sur son corps entier, le texte du divin sûtra appelé le Han-nya-Shin-Kyo.
Lorsqu’ils eurent achevé leur tâche, le prêtre dit à Hôichi :
– Ce soir, dès que je serai parti, asseyez-vous sous la véranda et attendez ! On vous appellera, mais, quoi qu’il arrive, ne répondez rien. Ne bougez pas ! Demeurez immobile comme si vous méditiez. Ne remuez pas et ne faites aucun bruit, sinon, vous serez déchiré en morceaux ! N’ayez nulle crainte et ne songez même pas à appeler au secours, car personne ne peut vous aider. Si vous vous conformez minutieusement à mes instructions, le danger passera et vous n’aurez plus rien à redouter !
La nuit vint, et le prêtre s’en alla. Hôichi s’assit sous la véranda, comme le lui avait recommandé son ami. Il posa son luth à côté de lui, et, prenant l’attitude de la méditation, il demeura immobile, en ayant soin de ne pas tousser et de ne pas respirer trop fort.
Il demeura ainsi plusieurs heures.
Enfin, il entendit des pas qui s’approchaient... Ils traversèrent le jardin et s’arrêtèrent devant la terrasse, tout près de lui !
– Hôichi ! appela la voix sonore du samouraï.
L’aveugle retint son souffle et ne bougea pas.
– Hôichi ! fit la voix de nouveau, d’un ton plus menaçant.
Puis, une troisième fois, d’un accent furieux :
– Hôichi !...
Ce dernier resta figé sur place.
La voix murmura alors :
– Cela ne se passera pas ainsi ! Il faut que je voie où il est !
Les lourds pieds chaussés de fer gravirent les marches de la véranda, s’approchèrent et s’arrêtèrent à côté de l’aveugle. Puis, pendant de longues minutes durant lesquelles Hôichi crut entendre les battements précipités de son cœur, il y eut un profond silence.
Enfin, la voix rauque prononça tout près de lui :
– Voici la biwa, mais du musicien, je ne vois rien... que ses deux oreilles !... Cela m’explique pourquoi il ne m’a pas répondu : n’ayant pas de bouche, il ne pouvait parler. Il ne reste de lui que ses deux oreilles !... Je vais les rapporter à mon seigneur, afin de lui prouver que j’ai obéi autant que possible à ses ordres !
Et au même instant, Hôichi sentit ses oreilles saisies brutalement par des doigts de fer et arrachées de sa tête ! Il ne cria pas malgré la douleur qui le tortura ! Les pas se retirèrent, traversèrent le jardin, s’engagèrent sur la route et s’éloignèrent dans la nuit.
Des deux côtés de son visage, l’aveugle sentit couler des gouttes épaisses et chaudes, mais il n’osa pas lever les mains.
Un peu avant l’aurore, le prêtre revint. Il se dirigea vivement vers la véranda et glissa sur une substance gluante !... Il se recula en poussant un cri d’horreur... Car il vit, à la lumière de sa lanterne, Hôichi, qui était encore assis dans l’attitude de la méditation, tandis que le sang s’épanchait de ses blessures.
– Mon pauvre Hôichi ! s’écria-t-il effrayé. Que vous est-il arrivé ?
En entendant la voix de son ami, l’aveugle comprit qu’il était sauvé. Il éclata en larmes et raconta tout ce qui s’était passé.
– Pauvre, pauvre Hôichi ! fit le prêtre avec compassion. Et dire que vous avez souffert uniquement par ma faute ! J’avais inscrit les textes sacrés sur tout votre corps, excepté sur vos oreilles ! Je croyais que mon acolyte s’était occupé de cela ! J’aurais dû m’en assurer moi-même ! Nous ne pouvons, à présent qu’essayer de vous guérir... Consolez-vous, mon ami, le danger est passé, et vous ne serez plus jamais troublé par des visiteurs nocturnes !
Grâce aux bons soins d’un excellent médecin, les blessures de Hôichi se cicatrisèrent. Le bruit de sa singulière aventure se répandit au loin, et il devint bientôt célèbre. Beaucoup de nobles seigneurs se rendirent à Shimonoséki afin de l’entendre déclamer, et quelques-uns lui donnèrent de grosses sommes d’argent... Il devint en peu de temps un homme riche !...
Mais, dorénavant, il ne fut plus connu que sous le nom de Mimi-Nashi-Hôichi, ce qui veut dire : « Hôichi le Sans-Oreilles ».
Lafcadio HEARN, Kwaidan, Mercure de France.
Traduit de l’anglais par Marc Logé.
Recueilli dans Anthologie du fantastique,
par Roger Caillois, Gallimard, 1966.
NOTES
1. Terme respectueux signifiant le « fait d’ouvrir une grille », employé par les samouraïs, en s’adressant aux gens de service à la porte d’un grand seigneur afin de se faire ouvrir.
2. Matrone qui surveille tout le personnel féminin d’une maison noble.