Le collier
Je frappai sur la table, et dis : « Assez !
Je veux ma liberté !
Eh quoi ! toujours soupirer et languir ?
Libres sont ma vie et mes actes ; tels la route,
Le vent, libres, sans rien qui les limite.
Serai-je toujours quémandeur ?
N’ai-je donc récolté rien qu’une épine
Pour me saigner, et non pas pour refaire,
De fruits généreux, ce que j’ai perdu ?
Certes, il était du vin
Avant que mes soupirs le dessèchent ; du blé,
Avant que mes larmes le noient ;
L’an n’a-t-il été que pour moi stérile ?
Ne puis-je l’orner de laurier,
De guirlandes, de fleurs ? Tout est-il mort,
Tout gaspillé ?
Non pas, mon cœur ; il existe des fruits,
Tu possèdes des mains.
Refais ta force, infestée de soupirs,
En doublant tes plaisirs ; cesse tes arguties
Froides sur le bien et le mal ; quitte ta cage,
La chaîne inconsistante
Que des pensers mesquins ont faite, devenue
Un câble fort, afin de te traîner,
Afin d'être ta loi,
Quand, fermant les yeux, tu ne voulais voir.
C'est assez ! Écoutez :
Je veux ma liberté !
Cachons cette tête de mort, lions nos craintes ;
Celui qui se refuse
À servir ses nécessités
Mérite son fardeau. »
Mais, comme je tonnais, plus farouche et colère
À chacun de mes mots,
Je crus ouïr une voix dire : « Enfant » ;
Et je répondis : « Mon Seigneur. »
George HERBERT, Le Temple, 1634.
Traduit par Louis Cazamian.