Le chevalier au pommier
par
Hermann HESSE
Un chevalier – ainsi l’ai-je appris de la bouche d’un saint homme – avait commis bien des méfaits. Un beau jour, poussé par le remords, il vint trouver un prêtre, lui fit sa confession et se vit infliger une pénitence qu’il ne put accomplir. Après que semblable fait se fut reproduit à maintes reprises, le prêtre lui dit un jour : « De cette façon, nous n’arrivons à rien. Dis-moi plutôt : y a-t-il quelque pénitence que tu puisses observer ? » Le chevalier répondit : « Sur mes terres, il y a un pommier qui porte des fruits si acides et si chétifs que je n’ai jamais pu en manger. Si vous en êtes d’accord, que ma pénitence soit de ne plus manger désormais de ces pommes de toute ma vie. » Le prêtre savait bien qu’il suffit souvent que quelque chose soit défendu pour induire en tentation, avec l’aide de la chair et du diable, et il répondit : « Pour tous tes péchés, je t’impose de ne jamais manger sciemment du fruit de cet arbre. » Le chevalier alla son chemin et ne prit pas plus garde à la pénitence infligée que si elle n’en avait pas été une. Mais l’arbre se dressait à un endroit tel que le chevalier pouvait le voir chaque fois qu’il rentrait dans sa demeure ou qu’il en sortait. Et chaque fois la défense lui revenait en mémoire, et bientôt le souvenir s’accompagnait de la tentation la plus forte. Un jour qu’il passait devant l’arbre, il se mit à contempler les pommes. C’est alors que Celui qui, par cet arbre interdit, tenta et mis sous le joug notre premier parent, le jeta dans une tentation si forte qu’il s’approcha de l’arbre et, tantôt tendant la main vers une pomme et tantôt la retirant, il passa presque tout le jour entre l’envie et la répulsion. La grâce lui vint en aide, si bien qu’il en sortit vainqueur. Cependant le combat contre la concupiscence fut si dur que, le cœur palpitant, il s’effondra sous le pommier et rendit l’âme.
Hermann HESSE, Histoires médiévales, 1911.
Récit tiré du Dialogus miraculorum
de César de Heisterbach.