La croix qui s’incline
par
Hermann HESSE
On m’a rapporté que naguère, dans notre province, un chevalier avait assassiné le père d’un autre chevalier. Il advint fortuitement que le meurtrier tomba au pouvoir du fils de la victime. Comme il brandissait son épée pour le tuer afin de venger son père, le meurtrier se jeta à ses pieds en disant : « Seigneur, je vous en supplie pour l’amour de la sainte croix sur laquelle Dieu a pris le monde en pitié, prenez aussi pitié de moi ! » Frappé par ces paroles, le fils resta interdit, se demandant ce qu’il devait faire, et la pitié se fit si forte en lui qu’il releva l’homme et dit : « Vois, pour l’amour de la sainte croix, afin que Celui qui a souffert sur elle me pardonne mes péchés, non seulement je te tiens quitte de ta faute, mais je serai désormais ton ami. » Et il lui donna le baiser de paix.
Peu de temps après, portant le signe de la croix, le chevalier traversa la mer, et lorsque avec d’autres croisés, des hommes considérés de sa province, il se rendit à l’église du Saint-Sépulcre et passa devant le premier autel, du haut de la croix l’image du Seigneur s’inclina profondément devant lui. Certains d’entre eux, voyant cela mais sans savoir à qui s’adressait cet honneur extrême, délibérèrent et retournèrent ensuite un par un à cette même place, mais devant aucun l’image ne s’inclina, sinon devant lui. Ils lui en demandèrent alors la cause, et tandis qu’il s’avouait indigne d’un tel hommage, l’histoire que nous avons racontée plus haut lui revint en mémoire. Les frères auxquels il la raconta s’émerveillèrent d’une telle humilité de Dieu et surent que l’image s’inclinait en signe de remerciement.
Hermann HESSE, Histoires médiévales, 1911.
Récit tiré du Dialogus miraculorum
de César de Heisterbach.