Le moine aux larmes

 

 

 

 

par

 

 

 

 

Hermann HESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un certain moine me raconta, lorsque j’étais novice, l’histoire d’un frère. Il était un jour étendu en prière devant un autel, et le Seigneur le gratifia si largement du don des larmes qu’il en mouilla tout le sol. Il naquit alors en son cœur (c’était, comme il s’avéra par la suite, sous l’influence du diable) un vain sentiment de gloriole, au point qu’il se disait à lui-même intérieurement : « Ah, si seulement quelqu’un pouvait voir quelle grâce m’est échue ! » Aussitôt celui qui lui avait inspiré cela se montra, se tint de côté près de lui, et contempla ses larmes avec la plus grande sympathie. Or il apparut sous la figure d’un moine noir. Levant les yeux, à cause de son effroi intérieur, tout autant qu’en raison de la noirceur de l’habit, le moine en prière reconnut que c’était un diable, l’instigateur de son mouvement d’orgueil ; et alors, celui qu’il avait appelé par sa vanité pécheresse, il le chassa par la vertu et à l’aide du signe de la croix. En raison de dangers de cet ordre, il est enjoint par Dieu à ceux qui prient d’aller dans leur cellule et de refermer la porte derrière eux, en d’autres termes, de se tenir à l’écart de la louange humaine.

 

 

Hermann HESSE, Histoires médiévales, 1911.

 

Récit tiré du Dialogus miraculorum

de César de Heisterbach.

 

 

 

 

 

 

 

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