Le vieux Briéron

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Camille HUMEAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lentement, posément le vieil homme bourra sa pipe et sortit sur le seuil de sa chaumière qui se trouvait quelque peu isolée au bout de l’île de Fédrun, dans ce pays du silence et des eaux.

Il l’alluma, en tira une bonne bouffée, huma l’air, jeta un regard sur le ciel moutonneux, puis, satisfait, s’assit sur un banc rustique qu’il avait confectionné lui-même.

Il se plaisait dans cette île de Brière qui avait entassé ses maisonnettes aux bruns toits de chaume, comme un autre monde, hors du temps.

Sa chaumière à lui s’évasait toute en toit, hirsute comme un dos de sanglier, touchant presque au sol et ne laissant apparaître qu’une légère ligne de mur blanc.

La cheminée solidement dégagée, et l’échancrure conduisant à la porte d’entrée donnaient, seules, du relief à cette masse.

L’homme vivait là un peu en solitaire, ce qui l’avait fait surnommer : l’Ermite.

Il portait l’été un pantalon gris et une veste de toile noire au col agrafé, et était fréquemment coiffé d’un chapeau de paille aux bords relevés à l’arrière et rabattus à l’avant.

Il avait un visage large quelque peu buriné, d’épais sourcils et une moustache blanche taillée en brosse. Ses yeux étaient petits mais vifs et rayonnaient d’intelligence.

Ses mains gardaient une certaine finesse et sa démarche n’était pas sans une relative élégance pour son âge. Très secret, il intriguait beaucoup, quoique sans malveillance de leur part, les gens du pays.

Sur le chemin poudreux, un enfant d’une dizaine d’années, coiffé d’un béret noir, une mèche de cheveux rebelle sur le visage, accourait.

– Bonjour Monsieur Jacques.

– Bonjour Michou. Où cours-tu ainsi ?

– Je venais voir si vous alliez donner à manger aux canards.

– As-tu fait les devoirs que je t’avais donnés ?

– Oui, les voici.

– Ah bon ! je verrai cela en détail. Puisque tu as bien travaillé, allons-y, je t’emmène.

L’Ermite prit l’enfant par la main et se dirigea vers le canal.

Il s’était attaché à ce jeune garçon en souvenir de celui qu’il avait perdu jadis, et dont la photo, ainsi que celle de sa femme décédée elle aussi, s’étalait sur un des meubles de la chaumière.

– Dis-moi, reprit-il, ta grand-mère sait que tu es ici ?

– Mais oui, je lui dis toujours.

Ils approchèrent de la rive où de grands arbres légers et frémissants encadraient le canal.

Poussée à la perche, la barque plate et pointue glissa sur le canal tourbeux.

Gravement de fières oies déambulaient sur les prés voisins où quelques moutons, à la laine épaisse et grisâtre, se perdaient dans leur rêve.

Ils avancèrent sans bruit virant sur leur gauche. Les joncs et les saules les saluaient au passage. Plus loin, sur cette plaine immense, de grands carrefours d’eau se perdaient à l’horizon entre des nappes de roseaux. Un calme merveilleux, traversé seulement par le sifflement du vent en tête des peupliers, détendait tout leur être. L’enfant se pencha, traîna sa main dans l’eau fraîche, happa au passage une fleur de nénuphar. De hardis canards qui cancanaient à leur approche, coupèrent effrontément la barque qui osait s’aventurer en leur paradis.

Dans une petite clairière, des ombres de briérons s’agitaient extrayant et chargeant à la brouette des mottes de tourbe qu’ils rassemblaient en tas de petits bonshommes noirs.

Le bateau s’enfonça encore un peu dans cette mystérieuse uniformité qui était sorte d’infini sauvage, plutôt nostalgique, mais combien prenant. Puis, il aborda dans une petite crique, faisant fuir un peloton de canards à l’ancre qui ballottait paisiblement.

L’enfant sauta le premier à terre, saisit la chaîne et amarra le bateau au piquet.

L’Ermite le suivit et avança sur le terre-plein.

D’un geste, il montra à l’enfant, comme il aimait la contempler, la grande plaine liquide et son tapis de roseaux. Devant eux, en plein contraste, le clocher de Saint-Joachim, comme un phare, surplombant seul le paysage, jetant sa flèche hardiment vers le ciel.

– Regarde comme c’est beau, dit-il.

– Oh oui ! répondit l’enfant enthousiasmé.

– Quand tu seras grand, il faudra me décrire cela.

– Je ne saurai pas, Monsieur Jacques.

– Mais si, tu verras. Tu iras à la grande école, je t’y aiderai.

– J’aimerais tant.

L’Ermite possédait là un bout de terrain solide entouré de roseaux. Il y disposait d’une confortable maisonnette, au toit de chaume, solidement assise sur ses pieux qui formaient l’armature des côtés comblés à l’intérieur par de larges planches. Une fenêtre grillagée laissait passer la lumière du jour.

Personne ne pénétrait dans cet antre. C’était une manie du vieillard qui y passait l’été de longues heures, on ne savait trop à quelle occupation ; et l’enfant lui-même, qui pourtant était autorisé à entrer couramment dans la chaumière de l’île, restait sur la terrasse.

Assez curieux, cela le gênait un peu, mais il savait que s’il violait ce tabou il en serait fini pour lui de ses relations avec le vieil homme qu’il aimait.

L’insouciance de son âge l’aidait à respecter cette volonté.

L’Ermite se dirigea vers une cabane contiguë à la maisonnette, dont il ouvrit la porte afin d’y prendre les graines nécessaires à la nourriture de ses volailles qui accouraient à sa voix.

Ceux-ci avaient les palmes des pattes taillées d’une certaine façon, correspondant à un code de l’île, qui permettait d’en déterminer aisément le propriétaire.

Au moment où il se baissait pour prendre ses céréales, un superbe canard apprivoisé jaillit d’un angle de la cabane, en lançant ses coins coins à tous les échos. Tout en frétillant de la queue, il vint happer le bas du pantalon de son maître qui se retourna en riant :

– Ah ! te voilà, mon Colvert, tiens, attrape cela et laisse-nous tranquilles un instant, fit-il en le caressant et lui jetant une poignée de grains.

Le jeune Michel, amusé par la cocasserie du volatile, lui saisit la queue, mais le canard se dégagea en sautant et se mit à fuir en rond, en cancanant de plus belle, poursuivi par l’enfant qui s’en faisait un jeu.

– Là ! Michou, arrête, tu vas me le déplumer. Ce n’est pas charitable, ce que tu fais là.

L’enfant stoppa son élan, puis, abandonnant Colvert et les autres canards, il s’enfonça derrière la maisonnette à la cueillette de « chandelles de loup », ces belles quenouilles marron qu’il apercevait, se balançant à la brise légère.

Le temps passait, le ciel s’était découvert et le soleil descendait à l’horizon, dorant les roseaux dans la douceur de ce beau soir. Régulièrement, à cette heure, le Briéron rentrait.

– Viens, Michel, nous nous en allons.

– J’arrive, Monsieur Jacques, je regardais le soleil, on dirait une toupie rouge.

– En effet, le moment est unique. Vois-tu, Michou, ce qu’il y a de merveilleux dans la nature, c’est que nous puissions contempler, nous imprégner de ce qu’il y a d’infini dans l’instant qui passe.

– Oui, comme quelque chose de beau qui devrait durer toujours.

– C’est bien cela.

– J’aime quand vous me parlez ainsi, je voudrais pouvoir en faire autant.

– Cela viendra, mon Michel, chaque chose en son temps. On appelle cette façon de s’exprimer : philosopher... J’ai noté la pensée suivante dans un cahier que tu trouveras plus tard, mais rappelle-toi : « Toute la philosophie du monde tient dans un sourire, un feu de bois, un rayon de soleil, le miroitement d’un fleuve, l’infini de la mer ou l’air pur des montagnes. En dehors de cela, il nous faut rejoindre le monde invisible. »

– S’en aller au ciel pour trouver plus beau ?

– Oui, mon petit, et y retrouver aussi tes parents et les miens, j’espère.

Ils embarquèrent laissant sur place Colvert qui leur lançait son chant d’adieu.

Une certaine fraîcheur montait du canal. L’avance régulière de la barque était rythmée par le bruit de la perche sur son arrière, alors que retombaient, en petits grains irisés, les gouttelettes d’eau.

On approchait de l’île. Le pays noir se concrétisait par ses chandeliers de mottes de tourbe que l’on côtoyait le long du rivage.

L’Ermite manœuvra, approcha le flanc de l’esquif contre la murette de protection du bord du canal, l’immobilisa, l’enchaîna et sauta à terre.

Main dans la main, satisfaits de leur soirée, le vieil homme et l’enfant rentrèrent au logis.

 

*

*     *

 

Il fait beau cet après-midi-là. Un groupe de briéronnes à sarraus noirs coiffées d’un léger fichu maintenant leurs cheveux blancs devisent à l’ombre près d’un carrefour.

Soudain une belle voiture rutilante et luxueuse s’arrête à leur hauteur. Un homme de la ville, habillé d’un complet gris clair en descend.

– Pardon, Mesdames, pourriez-vous m’indiquer le domicile de Monsieur Jacques Goureau, s’il vous plaît ?

– Dame, Monsieur, vous allez au bout de l’île, là-bas, tout dret, la chaumière qu’est toute seule à gauche, la plus tassée, c’est là qu’il habite.

– Je vous remercie.

L’antiquaire de Nantes remonta en voiture et, doucement, se rendit au lieu indiqué.

L’arrivée de cet homme, qui ne semblait pas un touriste, inquiétait fort notre petit groupe.

– Qu’est-ce que peut ben aller faire ce monsieur chez l’Ermite ? Il ne reçoit jamais personne, sauf le docteur... Ah ! le notaire, un jour aussi, mais depuis on ne l’a point revu.

Le plus intrigué était un jeune garçon qui venait d’accourir près de sa grand-mère et dont l’intérêt pour la belle voiture était des plus vifs. Il partit en courant.

– Eh ! Jean-Louis, où vas-tu comme cela ?

– J’y vas là-bas, marraine, pour voir l’auto.

La conversation reprit de plus belle :

– Il est curieux, l’Ermite, pas mauvais homme, ben sûr, mais il vit à part ; on ne sait jamais trop ce qu’il fabrique. Il paraît qu’il fait l’école au petit Michel Larrec.

– On le dit.

– Qui donc c’était ? Il semble instruit. Jamais il n’a dit d’où il venait avant, et il vit comme un ours, bien simplement pourtant.

– C’est un homme qu’a dû avoir des malheurs.

Tout en tricotant, les braves grand-mères s’étaient assises à l’ombre, bien décidées à attendre le départ de l’inconnu.

Ce ne fut pas très long. Bientôt la voiture repassa devant elles, semblant glisser sur le chemin ; une légère accélération et elle disparut.

Jean-Louis, à son tour, bondit d’une ruelle voisine.

– Savez pas, grand-mère, le monsieur, il a emporté des cartons, et l’Ermite, il disait : « À part une ou deux, vous avez les meilleures pièces, j’en ai de plus courantes ailleurs, mais c’est sans intérêt pour l’instant, je les garde. Au revoir, Monsieur. »

– Ma parole, dit une vieille, il fait du trafic.

– Bas ! cela se saura ben, un jour.

– Pour l’instant, j’sommes pas plus avancées.

 

*

*     *

 

La nouvelle tomba comme une bombe pour l’Ermite.

– Michel est sérieusement malade.

Inquiet de ne pas le voir apporter ses devoirs, Monsieur Jacques s’était rendu chez la grand-mère du garçonnet et avait trouvé l’enfant au lit avec une forte fièvre, et délirant. La pluie était tombée avec abondance la veille, et il avait couru longtemps dehors, alors que depuis quelques jours, il ne se sentait pas très bien.

– Il faut faire venir le docteur tout de suite.

– Monsieur Verton ?

– Non, le mien, voulez-vous, Monsieur Bernardeau. Ne vous inquiétez pas, je paierai tout, mais nous le tirerons de là.

– Vous êtes bon, merci.

L’enfant s’était réveillé.

– Eh bien ! Michel, cela ne vas pas, mon petit ?

– Ah ! Monsieur Jacques, j’ai mal.

– Où ?

– Là, à la tête, et puis j’ai du feu dans la poitrine.

– Bon, le médecin va venir. Dors et reste bien couvert, dit l’Ermite, en lui rebordant sa couverture qui avait glissé.

– ... Ne vous dérangez pas, grand-mère, je vais téléphoner moi-même.

Dans la chaumière, on attendait. Un léger crissement de freins se fit entendre, le docteur arrivait.

– Bonjour Madame, bonjour Monsieur Goureau, où est l’enfant ?

– Dans la pièce voisine, docteur.

Il examina soigneusement Michel, hocha la tête, puis revint dans la cuisine où il rédigea son ordonnance.

– Voici, Madame, suivez bien mes prescriptions. Ce ne sera pas trop grave, il est soigné à temps. Pneumonie simple tout de même.

L’Ermite régla la consultation, prit l’ordonnance et sortit avec le praticien.

– Alors, docteur, c’est donc sérieux ? J’aime beaucoup cet enfant, comme si c’était le mien. Ne vous étonnez pas si je le prends en charge.

– C’est comme je vous ai dit à l’instant, rien de plus, j’espère. La maladie évolue vers son degré d’acmé. Si cela n’allait pas, retéléphonez-moi, voulez-vous. Faites aussi surveiller la température, mais je repasserai après-demain.

Le médecin, tout en parlant, observait l’Ermite dont le visage était un peu tiré et pâle.

– Et vous, Monsieur Goureau, comment vous portez-vous en ce moment ?

– Assez bien, docteur, malgré tout. J’ai été un peu fatigué ces jours-ci, mais le coffre est encore solide, et j’ai toujours ce qu’il faut sur moi en cas de crise. Je n’en ai pas eu depuis longtemps d’ailleurs.

– Accepteriez-vous un conseil amical ?

– De vous, certes.

– Vous prenez un peu d’âge, Monsieur Goureau, je ne vous apprends rien, mais vous auriez besoin de soins, disons plus attentifs. Votre vie isolée dans ce marais ne vous convient plus guère.

– J’aime cette île...

– Je sais, je sais, vous en subissez le tellurisme, mais il est de mon devoir de vous rappeler, car vous en avez les moyens, qu’il existe à la ville proche d’excellents établissements où vous seriez mieux, beaucoup mieux traité.

– Je vous remercie beaucoup de votre aimable sollicitude, j’en suis très touché, mais croyez-moi, psychologiquement, je ne pourrais y vivre. Je m’excuse de cette pertinacité, mais tant qu’il me sera possible, je resterai là. Ma vie est finie, docteur... À la grâce de Dieu.

Le médecin lui serra longuement la main.

– Hélas, je vous comprends, dit-il, à bientôt pour Michel, au revoir.

– Au revoir, docteur.

 

*

*     *

 

L’automne est venu drapant la Brière de son grand manteau de brouillard. Avant de disparaître dans le froid de l’hiver, le soleil jette parfois quelques beaux éclairs au cours de doux après-midi.

L’Ermite, dans sa maisonnette des roseaux, a mis la dernière main à une œuvre qu’il a fignolée avec amour.

Quoique heureux d’en avoir terminé, il se sent las, et se dispose à donner du grain à ses canards.

Il sort de son abri, et s’arrête un instant, ravi. Jamais les rayons du soleil couchant ne lui ont paru plus beaux. Il s’attarde à les contempler, mais Colvert qui accourt en cancanant le rappelle à ses occupations prosaïques.

C’est alors que, subitement, une vive douleur le saisit au cœur ; il étouffe serré comme par un étau. C’est la crise, la grande crise d’angine de poitrine. À bout de force, terrassé, il s’abat sur la terre hospitalière, Dans le choc, un objet noir tombe de sa poche...

C’est fini, l’Ermite a rejoint le Monde Invisible.

 

*

*     *

 

Michel est tout guilleret. Il a bien travaillé, et en folâtrant sur le chemin, il apporte à son vieil ami ses devoirs d’écolier intelligent et consciencieux.

Il ne reste pas trace de sa maladie, et il se sent de nouvelles forces. Il a un peu grandi et garde grand appétit. Que c’est bon ce retour à la vie et à l’activité.

Arrivé à la chaumière, il frappe à la porte les trois coups habituels. Tout étonné de n’avoir pas de réponse, il réitère ses coups, puis appelle :

– Monsieur Jacques !

Rien, toujours pas de réponse. C’est étonnant, jamais, au grand jamais, l’Ermite n’est rentré aussi tard.

Inquiet, il va jusqu’au canal, la barque qu’il connaît bien est absente, il n’y a pas de doute, Monsieur Jacques n’est pas rentré.

La nuit va venir, l’enfant bondit à la maison, appelle les voisins. Il a dû arriver quelque chose. Deux hommes qui rentrent de leurs travaux se décident à aller voir. On embarque avec Michel, et en route sur la voie d’eau.

La maisonnette est en vue, ombre noire sur les roseaux. Un dernier canard navigue au bord du canal, c’est Colvert qui s’approche de la barque. Mais quel est cet objet qu’il porte au bec, on dirait une statuette, mais oui c’est bien cela. Michel la lui enlève. C’est en effet une statuette de mortas, noire, dure et lisse, finement et artistement travaillée qui représente une belle vierge : Notre-Dame de la Brière.

On a abordé sur le terre-plein. Quelques pas encore et on se heurte au corps encore tiède de Monsieur Goureau. Michel, frappé de stupeur, éclate en sanglots.

Les deux hommes ont soulevé l’Ermite, et l’ont installé sur la couchette de la maisonnette, puis, surpris, ont jeté un regard sur l’intérieur.

Dans le fond, il y a un tour et des outils, et sur des étagères une dizaine de statuettes bellement sculptées. C’était donc cela son grand secret et les travaux auxquels il se livrait.

Il y a aussi, sous la fenêtre, une petite table à étagère. Sur celle-ci quelques cahiers qu’on ouvre : des manuscrits. Plusieurs de poésies, un spicilège de pensées, une étude sur la Brière.

Mais qu’est ceci ? Bien en apparence, une grande enveloppe jaune avec la suscription « À ouvrir en cas d’accident grave ».

Les deux hommes hésitent, se regardent. L’aîné se décide, il ouvre.

Il y a là le double du testament de Monsieur Jacques Goureau, ex-instituteur à Nantes, et en retraite à Fédrun.

Tous ses biens, meubles et immeubles, sont légués au jeune Michel Larrec sous condition qu’il fasse ses études à Saint-Nazaire. Des dispositions spéciales sont prises à cet effet auprès de Maître Le Barzic, notaire en cette ville, qu’il y a lieu de prévenir pour les obsèques.

L’homme qui a lu les principaux paragraphes referme soigneusement l’enveloppe qu’il met dans sa poche.

– Yves, dit-il à son compagnon, je retourne à Fédrun prévenir le maire qui téléphonera au curé de Saint-Joachim, au médecin et au notaire. Nous n’allons pas laisser le corps ici, mais le ramener à sa chaumière. Attends-moi et nous reviendrons à plusieurs. J’emmène le petit.

Puis, se tournant vers l’enfant :

– Michou, te voilà riche maintenant. C’est à toi que Monsieur Goureau a laissé tous ses biens. Viens, nous partons.

Mais Michel, à genoux près du corps de l’Ermite, ne bougeait pas. En pleurs, il ne pouvait détacher son regard de ce doux visage immobile qui semblait dormir, en lui souriant.

Il se rappelait à cet instant les longues soirées où son maître lisait quelques textes choisis qu’il admirait.

Entre autres, lui revenaient à l’esprit les paroles du Petit Prince de Saint-Exupéry : « J’aurai l’air d’être mort, et ce ne sera pas vrai. »

Il lui semblait les entendre encore.

Il sentit une lourde main peser sur ses épaules, se leva, jeta un dernier regard sur la dépouille, puis avant de sortir, il se signa.

 

 

Camille HUMEAU.

 

Paru dans Rythmes et couleurs en 1966.

 

 

 

 

 

 

 

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