Le coursier du XIXe siècle
FABLE.
Un coursier noble et fier brûlait d’impatience
De voler aux champs de vaillance,
Et trouvait bien tardif le signal des combats
Qui devaient lui donner la gloire ou le trépas.
Un cheval de bourgeois, pacifique monture,
Le raillait en ces mots : « Stupide créature,
« Qui te pousse si fort dans les plaines de Mars ?
« Ce sont, ma foi, belles merveilles
« Que d’aller t’exposer à ces mille hasards,
« Sans compter la fatigue et le jeûne et les veilles ;
« Reste avec nous : je dors, moi, sur mes deux oreilles,
« Je mange quand je veux, j’ai du foin à souhait,
« Je promène mon maître, et ce mince bienfait
« Me vaut encore un picotin d’avoine.
« En regard de ces biens la gloire est chose vaine,
« Jouissons de la vie et dorons notre sort.
« On arrive toujours assez tôt à la mort. »
D’abord notre coursier frémit à ce langage,
Puis toisant du regard un vaste pâturage,
Il calma son ressentiment
Et jugea que ce serait sage
D’en essayer pour un moment.
Cependant le clairon sonnait pour la victoire ;
À ces sons belliqueux, le coursier hésita...
Partit d’un trait... puis s’arrêta...
L’herbe était haute... adieu la gloire !
Notre époque fourmille en chevaux de bourgeois ;
Tous les nobles élans tendent à disparaître.
Honneur, vertu, devoir, on déserte vos lois ;
Partout je n’entends qu’une voix :
Du bien-être, encor du bien-être !
HURAULT.
Paru dans La Muse des familles en 1858.