L’empire des morts

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

P.-L. JACOB et C.-H. DEWISME

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GOULART 1 rappelle cette histoire d’après Job Fincel 2 : « Un riche homme de Halberstadt, ville renommée en Allemagne, tenait d’ordinaire fort bonne table, se donnant en ce monde tous les plaisirs qu’il pouvait imaginer, si peu soigneux de son salut, qu’un jour il osa vomir ce blasphème entre ses écornifleurs, que s’il pouvait toujours passer ainsi le temps en délices, il ne désirerait point d’autre vie. Mais au bout de quelques jours et outre sa pensée, il fut contraint de mourir. Après sa mort, on voyait tous les jours, en sa maison superbement bâtie, des fantômes survenant au soir, tellement que les domestiques furent contraints de chercher demeure ailleurs. Ce riche apparaissait entre autres, avec une troupe de banqueteurs, en une salle qui ne servait de son vivant qu’à faire les festins. Il était entouré de serviteurs qui tenaient des flambeaux en leurs mains, et servaient sur table couverte de coupes et gobelets d’argent doré, portant force plats, puis desservant : de plus, on entendait le son des flûtes, luths, épinettes et autres instruments de musique, bref, toute la magnificence mondaine dont ce riche avait eu son passe-temps en sa vie. Dieu permit que Satan représentât aux yeux de plusieurs de telles illusions, afin d’arracher l’impiété du cœur des Épicuriens. »

 

 

Un bien mauvais coucheur...

 

« Certain Italien, dit Alexandre d’Alexandrie 3, ayant fait enterrer honnêtement un sien ami trépassé, et comme il revenait à Rome, la nuit l’ayant surpris, il fut contraint de s’arrêter en une hôtellerie, sur le chemin, où, bien las de corps et affligé d’esprit, il se met en la couche pour reposer. Étant seul et bien éveillé, il fut avis que son ami mort, tout pâle et décharné, lui apparaissait tel qu’en sa dernière maladie, et s’approchait de lui qui, levant la tête pour le regarder et transi de peur, l’interroge sur son identité. Le mort ne répondant rien se dépouille, se met au lit, et commence à s’approcher du vivant. L’autre ne sachant de quel côté se tourner, se met sur le fin bord, et comme le défunt approchait toujours, il le repousse. Se voyant ainsi rebuté, il se mit à regarder de travers le vivant, il se vêtit, se leva du lit, chaussa ses souliers et sortit de la chambre. Le vivant eut telles affres de cette caresse, que peu s’en fallut aussi qu’il ne passât le pas. Il racontait que quand le mort approcha de lui dans le lit, il toucha l’un de ses pieds, qu’il trouva si froid que nulle glace n’est froide à comparaison. »

 

 

Quand les morts sortent de leur tombe

 

Goulart 4 rapporte, d’après divers auteurs résumés par Camerarius 5, les apparitions des morts dans certains cimetières : « Un personnage digne de foi, dit-il, qui avait voyagé en divers endroits de l’Asie et de l’Égypte, témoignait à plusieurs avoir vu plus d’une fois en certain lieu, proche du Caire (où grand nombre de peuple se trouve à certain jour du mois de mars, pour être spectateur de la résurrection de la chair, disent-ils), des corps de trépassés se montrant et se poussant comme peu à peu hors de terre : non point qu’on les voie tout entiers, mais tantôt les mains, parfois les pieds, quelquefois la moitié du corps. Cela fait, ils se recachent de même peu à peu dedans la terre. Plusieurs ne pouvant croire telles merveilles, de ma part désirant en savoir de plus près ce qui en est, je me suis enquis d’un mien allié et singulier ami, gentilhomme autant accompli en toutes vertus qu’il est possible d’en trouver, élevé en grands honneurs et qui n’ignore presque rien. Celui-ci ayant voyagé dans les pays que j’ai dits avec un autre gentilhomme aussi de mes plus familiers et grands amis, nommé le seigneur Alexandre de Schullembourg, m’a dit avoir entendu de plusieurs que cette apparition était chose très vraie ; et qu’au Caire et autres lieux d’Égypte, on ne la révoquait nullement en doute. Pour m’en assurer davantage, il me montra un livre italien, imprimé à Venise, contenant diverses descriptions des voyages faits par les ambassadeurs de Venise en plusieurs endroits de l’Asie et de l’Afrique, entre lesquels s’en lit un, intitulé Viaggio di Messer Aluigi di Giovanni, di Alessandria nelle Indie. »

« L’an 1534, dit Taillepied 6, la femme d’un prévôt de la ville d’Orléans, se sentant déjà de la farine luthérienne, pria son mari qu’on l’enterrât après son décès sans pompe ni bruit de cloche, ni aucune prière d’église. Le mari, qui portait fort bonne affection à sa femme, fit selon qu’elle avait ordonné et la fit enterrer aux Cordeliers, dans l’église auprès de son père et de son aïeul. Mais la nuit suivante, comme on disait matines, l’esprit de la défunte apparut comme sur la voûte de l’église, ce qui produisit un tintamarre extraordinaire. Les religieux avertirent les parents et amis de la défunte, ayant soupçon que ce bruit inaccoutumé venait d’elle qui avait été ainsi inhumée sans solennité. Et comme le peuple s’était trouvé en telle heure et qu’on avait adjuré l’esprit, il dit qu’il était damné pour s’être adonné à l’hérésie de Luther. Son corps fut déterré et porté hors de terre sainte. »

 

 

Chose promise, chose due

 

En 1695, un certain M. Bézuel (qui depuis fut curé de Valogne), étant alors écolier de quinze ans, fit la connaissance des enfants d’un procureur nommé d’Abaquène, écoliers comme lui. L’aîné était de son âge ; le cadet, un peu plus jeune, s’appelait Desfontaines ; c’était celui des deux frères que Bézuel aimait davantage. Se promenant tous deux en 1696, ils s’entretenaient d’une lecture qu’ils avaient faite de l’histoire de deux amis, lesquels s’étaient promis que celui qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles de son état au survivant. Le mort revint, disait-on, et conta à son ami des choses surprenantes.

Le jeune Desfontaines proposa à Bézuel de se faire mutuellement une pareille promesse. Bézuel ne le voulut pas d’abord ; mais quelques mois après il y consentit, au moment où son ami allait partir pour Caen. Desfontaines tira de sa poche deux petits papiers qu’il tenait tout prêts, l’un signé de son sang, où il promettait, en cas de mort, de venir voir Bézuel ; l’autre où la même promesse était écrite, fut signé par Bézuel. Desfontaines partit ensuite avec son frère, et les deux amis entretinrent correspondance.

Il y avait six semaines que Bézuel n’avait reçu de lettres, lorsque, le 31 juillet 1697, se trouvant dans une prairie, à deux heures après midi, il se sentit tout d’un coup étourdi et pris d’une faiblesse, laquelle néanmoins se dissipa ; le lendemain, à pareille heure, il éprouva le même symptôme ; le surlendemain, il vit pendant son affaiblissement son ami Desfontaines qui lui faisait signe de revenir à lui... Comme il était assis, il se recula sur son siège. Les assistants remarquèrent ce mouvement.

Desfontaines n’avançant pas, Bézuel se leva pour aller à sa rencontre ; le spectre s’approcha alors, le prit par le bras gauche et le conduisit à trente pas de là dans un lieu écarté.

« Je vous ai promis, lui dit-il, que si je mourais avant vous, je viendrais vous le dire : je me suis noyé avant-hier dans la rivière, à Caen, vers cette heure-ci. J’étais à la promenade ; il faisait si chaud qu’il nous prit envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse dans l’eau, et je coulai. L’abbé de Ménil-Jean, mon camarade, plongea : je saisis son pied, mais soit qu’il crût que ce fût un saumon, soit qu’il voulût promptement remonter sur l’eau, il secoua si rudement le jarret, qu’il me donna un grand coup dans la poitrine, et me jeta au fond de la rivière, qui est là très profonde. »

Desfontaines raconta ensuite à son ami beaucoup d’autres choses.

Bézuel voulut l’embrasser, mais alors il ne trouva qu’une ombre. Cependant, son bras était si fortement tenu qu’il en conserva une douleur.

Il voyait continuellement le fantôme, un peu plus grand que de son vivant, à demi nu, portant entortillé dans ses cheveux blonds un écriteau où il ne pouvait lire que le mot in... Il avait le même son de voix : il ne paraissait ni gai ni triste, mais dans une tranquillité parfaite. Il pria son ami survivant, quand son frère serait revenu, de le charger de dire certaines choses à son père et à sa mère ; il lui demanda de réciter pour lui les sept Psaumes qu’il avait eus en pénitence le dimanche précédent, et qu’il n’avait pas encore récités ; ensuite il s’éloigna en disant : Jusqu’au revoir, qui était le terme ordinaire dont il se servait quand il quittait ses camarades.

Cette apparition se renouvela plusieurs fois. L’abbé Bézuel en raconta les détails dans un dîner, en 1718, devant l’abbé de Saint-Pierre, qui en fait une longue mention dans le tome IV de ses Œuvres politiques 7.

 

 

LES VAMPIRES

 

« Les revenants de Hongrie, ou les vampires, sont, d’après dom Calmet 8, des hommes morts depuis un temps parfois considérable qui sortent de leurs tombeaux et viennent inquiéter les vivants, leur sucent le sang, leur apparaissent, font le tintamarre à leurs portes et dans leurs maisons et enfin leur causent souvent la mort. On leur donne le nom de vampires ou d’oupires, qui signifie, dit-on, en esclavon une sangsue. On ne se délivre de leurs infestations qu’en les déterrant, en leur coupant la tête, en les empalant, en les brûlant, en leur perçant le cœur. »

« J’ai appris, dit dom Calmet 9, de feu M. de Vassimont, conseiller de la chambre des comtes de Bar, qu’ayant été envoyé en Moravie par feu Son Altesse Royale Léopold Ier, duc de Lorraine, pour les Affaires de Monseigneur le prince Charles, son frère, évêque d’Olmutz et d’Osnabrück, il fut informé par le bruit public qu’il était assez ordinaire dans ce pays-là de voir des hommes décédés quelque temps auparavant se présenter dans les compagnies et se mettre à table avec les personnes de leur connaissance sans rien dire ; mais que faisant un signe de tête à quelqu’un des assistants, il mourrait infailliblement quelques jours après. Ce fait lui fut confirmé par plusieurs personnes, et entre autres par un ancien curé, qui disait en avoir vu plus d’un exemple. »

« Une villageoise étant venue à mourir munie de tous les sacrements, rapporte Charles-Ferdinand de Schertz 10, fut enterrée dans le cimetière à la manière ordinaire. Quatre jours après son décès, les habitants du village entendirent un grand bruit et un tumulte extraordinaire, et virent un spectre qui paraissait tantôt sous la forme d’un chien, tantôt sous celle d’un homme, non à une personne, mais à plusieurs, et leur causait de grandes douleurs, leur serrant la gorge, et leur comprimant l’estomac jusqu’à les suffoquer : il leur brisait presque tout le corps, et les réduisait à une faiblesse extrême, en sorte qu’on les voyait pâles, maigres et exténués. Le spectre attaquait même les animaux, et l’on a trouvé des vaches abattues et demi-mortes ; quelquefois il les attachait l’une à l’autre par la queue. Ces animaux par leurs mugissements marquaient assez la douleur qu’ils ressentaient. On voyait les chevaux comme accablés de fatigue, tout en sueur, principalement sur le dos, échauffés, hors d’haleine, chargés d’écume comme après une longue et pénible course. Ces calamités durèrent plusieurs mois. »

 

 

Un mort-vivant furieux

 

Le même auteur relate l’exemple d’un mort, pâtre du village de Blow près de la ville de Kadam en Bohême, qui apparut pendant quelque temps et qui appelait certaines personnes, lesquelles ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Les paysans de Blow déterrèrent le corps de ce pâtre, et le fichèrent en terre avec un pieu, qu’ils lui passèrent à travers le corps. Cet homme en cet état se moquait de ceux qui lui faisaient souffrir ce traitement, et leur disait qu’ils avaient bonne grâce de lui donner ainsi un bâton pour se défendre contre les chiens. La même nuit il se releva, et effraya par sa présence plusieurs personnes, et en suffoqua plus qu’il n’avait fait jusqu’alors. On le livra ensuite au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors du village et l’y brûler. Ce cadavre hurlait comme un furieux et remuait les pieds et les mains comme vivant ; et lorsqu’on le perça de nouveau avec des pieux, il jeta de très grands cris, et rendit du sang très vermeil, et en grande quantité. Enfin on le brûla, et cette exécution mit fin aux apparitions et aux infestations de ce spectre.

« Il y a environ quinze ans, rapporte dom Calmet 11, qu’un soldat étant en garnison chez un paysan haïdamaque, frontière de Hongrie, vit entrer, comme il était à table auprès du maître de la maison son hôte, un inconnu qui se mit aussi à table avec eux. Le maître du logis en fut étrangement effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne savait qu’en juger, ignorant de quoi il était question. Mais le maître de la maison étant mort dès le lendemain, le soldat s’informa de ce que c’était. On lui dit que c’était le père de son hôte, mort et enterré depuis plus de dix ans, qui s’était ainsi venu asseoir auprès de lui, et lui avait annoncé et causé la mort.

En conséquence, on fit tirer de terre le corps de ce spectre, et on le trouva comme un homme qui vient d’expirer, et son sang comme d’un homme vivant. Le comte de Cabreras lui fit couper la tête, puis le fit remettre dans son tombeau. Il fit encore informations d’autres pareils revenants, entre autres d’un homme mort depuis plus de trente ans, qui était revenu par trois fois dans sa maison à l’heure du repas, avait sucé le sang au col, la première fois à son propre frère, la seconde à un de ses fils, et la troisième à un valet de la maison ; et tous trois en moururent sur-le-champ. Sur cette déposition, le commissaire fit tirer de terre cet homme, et le trouvant comme le premier, ayant le sang fluide comme l’aurait un homme en vie, il ordonna qu’on lui passât un grand clou dans la tempe, et ensuite qu’on le remît dans le tombeau.

Il en fit brûler un troisième qui était enterré depuis plus de seize ans et avait sucé le sang et causé la mort à deux de ses fils. »

 

 

Un pieu dans le cœur

 

Voici, d’après dom Calmet 12, ce qu’on lit dans les Lettres juives :

« Au commencement de septembre, mourut dans le village de Kisilova, à trois lieues de Gradisch, un vieillard âgé de soixante-deux ans. Trois jours après avoir été enterré, il apparut la nuit à son fils, et lui demanda à manger ; celui-ci lui en ayant servi, il mangea et disparut.

Le lendemain, le fils raconta à ses voisins ce qui était arrivé.

Cette nuit le père ne parut pas ; mais la nuit suivante il se fit voir, et demanda à manger. On ne sait pas si son fils lui en donna ou non, mais on trouva le lendemain celui-ci mort dans son lit : le même jour, cinq ou six personnes tombèrent subitement malades dans le village, et moururent l’une après l’autre, peu de jours après.

On ouvrit tous les tombeaux de ceux qui étaient morts depuis six semaines : quand on vint à celui du vieillard, on le trouva les yeux ouverts, d’une couleur vermeille, ayant une respiration naturelle, cependant immobile comme mort ; d’où l’on conclut qu’il était un signalé vampire. Le bourreau lui enfonça un pieu dans le cœur.

On fit un bûcher, et l’on réduisit en cendres le cadavre.

Dans un certain canton de la Hongrie, nommé en latin Oppida Heidonum, ajoute le même chroniqueur, le peuple connu sous le nom de Heiduque croit que certains morts, qu’ils nomment vampires, sucent tout le sang des vivants, en sorte que ceux-ci s’exténuent à vue d’œil, au lieu que les cadavres, comme les sangsues, se remplissent de sang en telle abondance, qu’on le voit sortir par les conduits et même par les pores. Cette opinion vient d’être confirmée par plusieurs faits dont il semble qu’on ne peut douter, vu la qualité des témoins qui les ont certifiés.

Il y a environ cinq ans, qu’un certain Heiduque, habitant de Médreïga, nommé Arnold Paul, fut écrasé par la chute d’un chariot de foin. Trente jours après sa mort, quatre personnes moururent subitement, et de la manière dont meurent, suivant la tradition du pays, ceux qui sont molestés des vampires. On se ressouvint alors que cet Arnold Paul avait souvent raconté qu’aux environs de Cassova et sur les frontières de la Serbie turque, il avait été tourmenté par un vampire turc : car ils croient aussi que ceux qui ont été vampires passifs pendant leur vie, deviennent actifs après leur mort, c’est-à-dire que ceux qui ont été sucés, sucent aussi à leur tour ; mais qu’il avait trouvé moyen de se guérir, en mangeant de la terre du sépulcre du vampire et en se frottant de son sang, précaution qui ne l’empêcha pas cependant de le devenir après sa mort, puisqu’il fut exhumé quarante jours après son enterrement et qu’on trouva sur son cadavre toutes les marques d’un archi-vampire. Son corps était vermeil, ses cheveux, ses ongles, sa barbe, s’étaient renouvelés, et ses veines étaient toutes remplies d’un sang fluide et coulant de toutes les parties de son corps sur le linceul dont il était environné. Le Haduagi ou le bailli du lieu, en présence de qui se fit l’exhumation, et qui était un homme expert dans le vampirisme, fit enfoncer selon la coutume, dans le cœur du défunt Arnold Paul, un pieu fort aigu, dont on lui traversa le corps de part en part, ce qui lui fit, dit-on, jeter un cri effroyable, comme s’il était en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête, et l’on brûla le tout. Après cela, on fit la même expédition sur les cadavres de ces quatre autres personnes mortes de vampirisme, de crainte qu’elles n’en fissent mourir d’autres à leur tour.

Toutes ces expéditions n’ont cependant pu empêcher que sur la fin de l’année dernière, c’est-à-dire au bout de cinq ans, ces funestes prodiges n’aient recommencé, et que plusieurs habitants du même village ne soient péris malheureusement. Dans l’espace de trois mois, dix-sept personnes de différent sexe et de différent âge sont mortes de vampirisme, quelques-unes sans être malades, et d’autres après deux ou trois jours de langueur.

Toutes les informations et exécutions dont nous venons de parler ont été faites juridiquement, en bonne forme, et attestées par plusieurs officiers qui sont en garnison dans le pays, par les chirurgiens majors, et par les principaux habitants du lieu. Le procès-verbal en a été envoyé vers la fin de janvier dernier au conseil de guerre impérial à Vienne, qui avait établi une commission militaire pour examiner la vérité de tous ces faits. »

 

 

Le meilleur des remèdes contre le vampirisme

 

« On choisit, écrit dom Calmet, un jeune garçon qui est d’âge à n’avoir jamais fait œuvre de son corps, c’est-à-dire qu’on croit vierge. On le fait monter à poil sur un cheval entier qui n’a jamais sailli, et absolument noir ; on le fait promener dans le cimetière et passer sur toutes les fosses : celle où l’animal refuse de passer malgré force coups de cravache qu’on lui délivre, est réputée remplie d’un vampire ; on ouvre cette fosse, et l’on y trouve un cadavre aussi gras et aussi beau que si c’était un homme heureusement et tranquillement endormi : on coupe le col à ce cadavre d’un coup de bêche, dont il sort un sang des plus beaux et des plus vermeils et en quantité. On jurerait que c’est un homme des plus sains et des plus vivants qu’on égorge. Cela fait, on comble la fosse, et on peut compter que la maladie cesse, et que tous ceux qui en étaient attaqués recouvrent leurs forces petit à petit, comme gens qui échappent d’une longue maladie, et qui ont été exténués de longue main. »

 

 

LE CULTE DES MORTS À HAÏTI

 

Pour tous les peuples primitifs de la terre – et par ce mot « primitif » il faut entendre aussi bien les habitants arriérés des campagnes d’Europe et d’Amérique que ceux des déserts et des jungles d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amazonie – pour tous les peuples primitifs de la terre donc, et en particulier pour les Noirs, chez lesquels la magie n’est jamais tout à fait dissociée de la vie de tous les jours, la mort est une chose grave. Une chose grave surtout pour ceux qui restent. Pour les défunts en effet, il n’y a guère de problème ; ils passent à l’état d’esprits et tout est dit. Pour les vivants au contraire, les ennuis commencent. Souvent, les morts deviennent méchants. Rôdant la nuit, ils ne pensent qu’à faire du mal aux hommes. Il faut donc, ou les combattre par des moyens énergiques, ou les amadouer. Il suffit de lire les ouvrages de Sir James Frazer pour se rendre compte des moyens employés par les peuples du monde entier dans leur lutte contre les esprits des morts. Un peu partout, les cadavres sont mutilés et ligotés, leurs biens détruits ; on les enterre au fond des rivières ; on leur coupe la tête ou on leur enfonce un pieu dans le cœur pour les empêcher de devenir des vampires et de sucer le sang des vivants. Parfois, le cadavre est brûlé ; en d’autres circonstances, comme chez les Indiens Motilones des frontières de la Colombie et du Venezuela, les os sont, après le début de la putréfaction, dépouillés de toute chair et enfouis ensuite dans une caverne secrète.

Il est rare, semble-t-il, que l’on emploie des moyens aussi énergiques en Haïti. Au lieu de combattre les morts, on préfère les honorer pour les amadouer. Si ou pas sévi’ mort-là, dit-on, ou a gagné madichon. – Si vous ne servez pas ce mort, il vous arrivera malheur (ou, plus textuellement : vous gagnerez malédiction).

Tout est donc là pour le Noir : servir le mort afin de lui enlever toute envie de nuire. À ce sujet, Mgr Le Roy écrit : « Dans le monde invisible la famille se continue, pense le Noir, sous forme de mânes. Entre ce monde et le monde visible il y a des rapports, et le rite funéraire est comme le pont mystérieux qui mène l’âme à sa destinée ; s’il est bien fait, l’âme aboutira et laissera les vivants en paix ; sinon elle se sentira abandonnée, et tout est à craindre de ses vengeances. »

Le Père Briault, lui, explique cette croyance des Africains aux fantômes, et partant, celle des Haïtiens du peuple, de cette façon : « L’âme va à Dieu ; puis elle rejoint les âmes des ancêtres, mais les Noirs ne savent pas où. On dirait que la félicité de l’autre vie ne suffit pas à ces âmes et que l’ennui les ramène ici-bas. D’autre part, le souvenir que les vivants gardent d’elles ramène leur mémoire. »

Dans les campagnes haïtiennes et les quartiers populaires, quand quelqu’un vient à mourir, on orne la maison d’étoffes et de dentelles blanches, tandis que le cadavre est déposé sur un lit ou sur une natte et couvert de fleurs. Pendant que les femmes vont aux alentours de la demeure mortuaire déposer des ouangas, ou talismans, au pied des arbres sacrés dans le but d’en écarter les esprits, les hommes achètent du rhum blanc qui sera bu au cours de la veillée funèbre. Tout le temps de cette veillée, on chantera, on fumera et on boira afin, comme le dit Herskovits, d’amuser le défunt et de l’envoyer ainsi de bonne humeur dans la tombe. Seabrook rapporte de son côté une petite expérience personnelle qui semble confirmer cette opinion d’Herskovits.

« Un soir que je venais de Morne-Rouis et me rendais aux Verettes, j’entendis dans un coin isolé de la montagne des cris, des rires, des chants, tous les bruits habituels d’une bamboche. Cela venait d’un groupe de cases cachées par des bananiers, au fond d’une gorge proche de la piste. Je mis pied à terre et menai mon cheval par la bride, entre les arbres, pensant assister à une danse Congo banale.

 

 

La fête au village

 

« Une des huttes était tout illuminée et, à la lueur des torches, une foule allait et venait dans la cour. Tout le voisinage semblait s’être réuni et les corbeilles de pain d’épices, les monceaux de biscuits et de poisson séché, une énorme marmite mijotant sur un feu de braise, tout indiquait qu’on comptait passer la nuit. Les femmes et les filles portaient leurs plus beaux habits du dimanche, des anneaux d’or, des colliers, des madras éclatants. Dans un coin, à côté d’une haute torche fichée dans la barrière de bambou, un groupe d’hommes jouaient aux cartes et, un peu plus loin, d’autres disputaient bruyamment une partie de dés.

On m’entoura aussitôt ; on me fit un joyeux accueil :

– Bonsoir, Blanc !

– Bonsoir, lieutenant !

– Bonsoir, docteu’ !

Ils ne me connaissaient pas et cherchaient quel titre me donner. Ils m’offrirent du clairin, c’est-à-dire du rhum blanc sec, dans un gobelet de fer blanc. J’en bus une gorgée, et remerciai, en demandant :

Oui, me’ci. Mais ça ou fait, tout moun ici ?

Grand moun li mort, répondirent-ils. Ent’ez donc oué li.

Ils me firent entrer dans la case pour voir leur mort. La pièce était bondée. Toutes les chaises, tous les tabourets avaient été empruntés aux voisins, et il y avait aussi des caisses. Sur une table, je vis encore du pain d’épices, du hareng séché, des bonbons, du sucre candi, une bonbonne de clairin à moitié vide. Toute la famille était réunie, avec les cousins et les amis, et buvait, mangeait, chantait, se lamentait et, finalement, s’amusait énormément.

Au fond, à la place d’honneur, tout près des plats et du rhum, le mort était assis, vêtu d’une chemise et d’un pantalon de toile de coton bleue, bien propres, coiffé de son chapeau de paille du dimanche, et chaussé de souliers. On l’avait assis dans une pose aussi naturelle que possible, et attaché à la chaise afin qu’il ne puisse tomber. Sa tête penchait de côté, mais le vieux visage ridé n’avait rien de repoussant. Il avait l’air d’un bon vieillard, un peu rhumatisant, qui avait voulu assister à la fête et s’était endormi.

La joyeuse compagnie attendait que j’aille le saluer. Quand j’offris des cigarettes à la ronde, un jeune homme en prit deux, en disant :

– Papa voudrait peut-être fumer aussi.

Il alluma les deux cigarettes et alla en glisser une entre les lèvres du vieillard. Cela ne me parut ni grossier ni choquant mais plutôt drôle. Et je crois que pour eux aussi, c’était comique, car quelques instants plus tard, tandis que la cigarette se consumait toute seule et que la fumée montait, une jolie fille souriante s’exclama :

Gardez tonton fimer ! Ça li fait plaisi’ !

Et plusieurs jeunes gens battirent des mains en criant :

Oui, c’est ve’tab’ !

Li fime !

Bai li boué ! proposa un garçon. (Donne-lui à boire.)

Il n’y avait nulle moquerie dans tout cela, mais plutôt une affection joyeuse. Ils croyaient que l’esprit du mort planait autour d’eux et serait heureux de ces petites attentions. »

En Haïti, où la chaleur tropicale provoque une putréfaction rapide – et cela aura une grande importance pour la fabrication d’un zombi –, la veillée funèbre est toujours fort courte, une nuit ou deux tout au plus, car les cadavres sont enterrés au bout de vingt-quatre heures. Au cours de l’ensevelissement, les parents mettent encore tout en œuvre pour s’attirer les bonnes grâces du défunt. Dans le cercueil on place un scapulaire, un chapelet, un peigne, du savon, une pipe et du tabac, du parfum s’il s’agit d’une femme. On se garde bien d’y mettre de l’alcool, car le mort pourrait s’enivrer et devenir dangereux. Si on y plaçait de l’argent, il reviendrait chez lui pour prendre le reste du magot familial. Des épingles ? Il s’en servirait pour piquer les vivants.

Enfin, quand on quitte la maison mortuaire avec le cercueil, on a soin de faire tourner celui-ci en rond à plusieurs reprises pour que le mort ne puisse plus s’orienter et retrouver le chemin du retour. Ensuite, on prend la route du cimetière, en faisant de nombreux crochets et zigzags et en semant des clous derrière soi afin que, si le défunt sortait de sa tombe, il se blesse et signale sa présence par des cris de douleur. Cette dernière précaution semble confirmer le fait que l’on craint non seulement le retour du mort en tant qu’esprit immatériel – les clous seraient alors inutiles – mais aussi à l’état de zombi ou cadavre éveillé.

 

 

Les ennuis commencent

 

Comme on doit bien le penser, toutes ces mesures sont fort souvent inutiles, et c’est seulement quand le défunt est enterré sous un solide bloc de briques ou de ciment que les ennuis commencent. On a beau faire l’impossible pour égarer l’esprit du trépassé, semer des chausse-trapes sur son chemin, il revient souvent dès les premières nuits.

Cette croyance aux fantômes est générale parmi le peuple haïtien, comme d’ailleurs à travers toutes les Antilles, et il est courant d’y voir, aux carrefours, des niches-creusées dans les talus et entourant l’empreinte d’une croix. Ces niches contiennent des images saintes, de petits bols remplis d’encens, des bougies qui, allumées les jours néfastes, sont destinées à éloigner les zombis. (Ce mot est ici employé dans sa signification la plus large, celle de spectre, et non de mort-vivant.) La crainte de ces zombis est telle parmi les Antillais qu’ils osent rarement sortir de chez eux une fois la nuit tombée, et seule la promesse d’une bamboche, ou partie de plaisir, peut leur faire surmonter cette peur.

En Afrique, les populations indigènes croient également au pouvoir maléfique des fantômes, ou mânes. Selon le Père Briault, « ces mânes circulent, la nuit surtout, autour des villages endormis, semant les maladies, propageant les malchances, causant ici la sécheresse et là l’inondation. Le mâne n’est pas un esprit ; c’est une âme désincarnée, qui revient vers les vivants et rôde autour de leur demeure ».

Les sorciers haïtiens ne semblent pas cependant partager cette crainte vis-à-vis des morts, puisque certains d’entre eux n’hésiteraient pas à aller déterrer des cadavres dans les cimetières pour les faire servir à des fins magiques. Avec la cervelle, on frotte le tranchant des machettes pour qu’elles coupent mieux, ou on enduit la tête des marteaux pour qu’ils frappent plus fort. Le cœur, séché et pilé, est placé dans de petits sachets que les personnes de faible caractère portent autour du cou pour se donner du courage. Parfois aussi, ces sorciers se serviraient de cadavres pour confectionner des ouangas de mort. Mais ces pratiques, somme toute communes, ne peuvent se comparer à celle des morts-vivants, où excellait Ti-Joseph et, paraît-il, tant d’autres magiciens « noirs » en Haïti.

Le printemps de 1918 fut une grande saison pour la canne à sucre, et l’usine, qu’alimentaient ses propres plantations, avait offert une prime sur les salaires aux nouveaux ouvriers qui voudraient s’embaucher. Bientôt, de la plaine et de la montagne, des familles entières, traînant leur bagage, vinrent au bureau d’embauchage et, de là, se répandirent dans les champs.

Voici le récit de Seabrook 13.

« Un beau matin, un vieux nègre, Ti-Joseph du Colombier, apparut à la tête d’une bande d’êtres en haillons, qui le suivaient d’un pas traînant, l’air hébété, et pareils à des automates. Comme il les mettaient en ligne pour les faire embaucher, ces êtres restèrent l’œil fixe, vide, éteint, tels des bêtes de somme, et ils ne firent point de réponse quand on leur demanda leurs noms.

Joseph expliqua que c’étaient des paysans ignorants venus des pentes du Morne-au-Diable, un district de la montagne privé de voies de communication, sur la frontière dominicaine, et qu’ils ne connaissaient point le langage créole de la plaine. Ils étaient, dit-il, effrayés du bruit et de la fumée de l’usine, mais, dans les champs, sous sa direction, ils fourniraient un dur labeur. Le plus loin, ajoutait-il, qu’on pourrait les envoyer de l’usine, du bruit et du mouvement des gares serait le mieux.

Le mieux, en effet, car ces êtres n’étaient point des hommes et des femmes en vie, mais de pauvres zombis que Joseph, aidé de sa femme Croyance, avait tirés de leurs paisibles tombes pour les faire peiner à son profit, et Joseph savait que si, d’aventure, quelques-uns de ces morts étaient reconnus par leurs pères ou leurs frères, ce serait pour lui une méchante affaire. »

Et Seabrook de poursuivre :

« Les pauvres zombis furent donc envoyés dans les champs les plus éloignés, à l’écart de tout endroit où les routes se croisent, et ils campèrent là, restant entre eux, comme eût fait tout autre groupe familial ou villageois. Mais, le soir, tandis que les autres groupes, campés à part tout comme eux, se réunissaient, chacun autour de la marmite commune de maïs ou de plantain abondamment assaisonné d’ail et de poisson sec, Croyance, elle, mettait deux pots sur le feu, car, ainsi que chacun sait, les zombis ne doivent jamais goûter ni au sel ni à la viande. La nourriture qu’on leur servait était donc privée de tout assaisonnement.

Et tandis que, jour après jour, ils peinaient au soleil sans mot dire, Ti-Joseph les battait pour les faire aller plus vite. Mais Croyance, bientôt, plaignit les pauvres créatures qui eussent dû reposer dans leurs tombes et le soir, notamment, en préparant leur bouillie insipide, elle se sentait prise de compassion.

Tous les samedis après-midi, Joseph allait toucher les salaires de l’équipe. Parfois, Joseph ou Croyance allait à Croix-de-Bouquet pour la bamboche du samedi ou le combat de coqs du dimanche, mais il en restait toujours un avec les zombis, pour les faire manger et veiller à ce qu’ils ne s’enfuient pas.

Mars et avril s’écoulèrent ainsi, et puis ce fut Pâques ; les travailleurs avaient trois jours de congé. Joseph, les poches pleines, alla à Port-au-Prince, laissant les zombis à la garde de Croyance, en lui promettant que, à la Pentecôte, elle pourrait aller à son tour en ville.

Quand le dimanche arriva et que la brave femme vit les champs déserts, elle eut le cœur serré pour ces pauvres zombis, et elle pensa : « Ils seraient peut-être heureux de voir la procession à Croix-de-Bouquet et la foule joyeuse, et puisque tous les gens de Morne-au-Diable sont repartis dans leurs montagnes de la frontière pour fêter Pâques en famille, personne ne risque de les reconnaître, alors tout ira bien. » À vrai dire, Croyance avait aussi fort envie de voir la procession.

Elle noua sur sa tête un beau madras neuf, réveilla les zombis de leur sommeil qui ne différait guère de leur état de veille, leur fit manger un bol de bouillie froide et sans sel, qu’ils avalèrent sans se plaindre, et partit pour la ville avec eux, en file indienne comme c’est l’usage dans les campagnes.

Ils la suivirent ainsi jusqu’à la place du marché ; tous les petits abris de palmes où se tenaient en semaine les marchands de fruits, de légumes et de viande étaient abandonnés par les chalands, mais une foule se pressait tout autour, devant l’église.

Croyance fit asseoir ses zombis à l’ombre d’une de ces petites échoppes ; les cloches se mirent à sonner et la procession sortit de l’église, le prêtre en tête, tenant la grande croix dorée, suivi des petits enfants de chœur noirs, en surplis blancs et robes rouges, balançant des encensoirs, des petites filles de l’école paroissiale en robes bien amidonnées précédées par une religieuse s’abritant du soleil sous un parapluie.

Croyance s’agenouilla comme tout le monde au passage de la procession et regretta de ne pouvoir la suivre, mais les zombis restèrent assis, le regard morne, ne voyant rien.

À midi, des femmes portant des paniers passèrent dans la foule pour vendre des petites bananes-figues, des gâteaux, des oranges, du poisson séché, du clairin à un sou le petit verre.

Croyance, tout en mangeant son poisson sec et ses biscuits salés, une timbale de clairin à côté d’elle, plaignait les pauvres zombis qui avaient si bien travaillé pour Joseph et qui n’avaient rien reçu. À ce moment une femme passa en criant : “Tablettes ! Tablettes pistaches ! T’ois pou’ dix cobs !”

Les tablettes sont une espèce de bonbon en sucre brun (rapadou), tantôt aux pistaches, tantôt aux graines de coriandre.

Croyance se dit : “Ces tablettes ne sont pas salées, donc pour une fois, je peux en donner aux zombis, cela ne peut leur faire de mal.”

Elle dénoua alors un coin de son mouchoir, prit une pièce, un gourdon, et acheta des tablettes qu’elle cassa en deux et partagea entre les zombis, qui se mirent à les sucer avidement.

Mais elle n’avait pas pensé que les pistaches étaient salées, et dès que les zombis les croquèrent, ils comprirent qu’ils étaient morts ; ils se mirent à hurler, se levèrent et partirent vers la montagne.

Personne n’osa les retenir, car ils étaient des morts-vivants, et tout le monde le savait.

À la nuit, quand ils arrivèrent aux abords de leur village sur les pentes du Morne-au-Diable, ces morts marchant en file indienne furent aperçus par les villageois qui faisaient bamboche sur la place du marché. La foule approcha et chacun reconnut un père, un frère, une épouse, une fille que l’on avait enterré quelques mois plus tôt.

La plupart comprirent immédiatement qu’ils avaient été arrachés à leur tombeau et qu’ils étaient des zombis, mais quelques-uns espérèrent qu’un miracle avait eu lieu en ce jour de Pâques et qu’ils étaient ressuscités. Ils se précipitèrent pour les embrasser.

Mais les zombis traversèrent la place de leur pas de somnambule, sans reconnaître personne, et comme ils s’engageaient sur le chemin du cimetière, une femme dont la fille marchait avec les morts se jeta en hurlant devant elle et la supplia de rester ; mais la fille posa sur elle ses pieds glacés, et tous les autres marchèrent sur la pauvre femme sans la regarder. Quand ils approchèrent du cimetière, ils se mirent à courir, ils se ruèrent entre les tombes et chacun, devant sa fosse vide, se mit à gratter le sol pour y retourner ; mais au moment où leurs mains froides touchèrent la terre de leur propre tombeau, ils s’écroulèrent sur place, déjà décomposés.

Cette nuit-là, les pères, les frères et les fils des zombis, après les avoir ensevelis décemment, envoyèrent un messager à dos de mulet dans les montagnes. Il revint le lendemain, portant une chemise de Ti-Joseph trempée de sa sueur.

On fit une collecte dans le village et, avec l’argent et la chemise de Ti-Joseph, les hommes se rendirent chez un bocor habitant Trou Caïman, qui fit un ouanga de mort dans un sac noir, le perça d’aiguilles, le frotta d’excréments de bouc et l’enveloppa de plumes de coq trempées dans du sang.

De plus, au cas où l’ouanga, affaibli par la contre-magie de Ti-Joseph, ne serait pas assez rapide, ils envoyèrent des hommes solides dans la plaine, qui attendirent Joseph, et lui coupèrent un soir la tête avec des machettes... »

 

 

P.-L. JACOB.

 

Recueilli dans Le monde de la magie,

Robert Laffont, 1980.

 

 

 

 

 



1Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 539.

2Au IIe livre des Merveilles de notre temps.

3Au IIe livre de ses Jours géniaux, chap. IX, cité par GOULART, Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 533.

4Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 42.

5Méditations historiques, chap. LXXIII.

6Traité de l’apparition des esprits, p. 123.

7Dictionnaire des sciences occultes, de l’abbé MIGNE.

8Traité sur les apparitions des esprits, t. II, p. 2.

9Même ouvrage, t. II, p. 31.

10Magia posthuma, Olmutz, 1706, cité par CALMET, Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 33.

11Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 37.

12Traité sur les apparitions des esprits, t. IV, p. 39.

13SEABROOK (W.B.), L’Île magique. Firmin-Didot, Paris, 1932.

 

 

 

 

 

 

 

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