L’absence
par
Francis JAMMES
À dix-huit ans, Pierre quitta la maison campagnarde où il était né.
Au moment précis où il s’en alla, sa vieille mère infirme était dans le lit de la chambre bleue dans laquelle il y avait le daguerréotype de son père, des plumes de paon dans un vase, et une pendule représentant Paul et Virginie, et qui indiquait trois heures.
Dans la cour, sous le figuier, son grand-père se reposait.
Dans le jardin, il y avait sa fiancée, des roses et des poiriers luisants.
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Pierre alla gagner sa vie dans un pays où il y avait des nègres, des perroquets, des caoutchoucs, de la mélasse, des fièvres et des serpents.
Il y demeura trente ans.
Au moment précis où il revint dans la maison campagnarde où il était né, la chambre bleue était devenue blanche, sa mère reposait au sein de Dieu, le portrait de son père n’était plus là, et les plumes de paon et le vase avaient disparu. Un objet quelconque remplaçait la pendule.
Dans la cour, sous le figuier où son défunt grand-père se reposa, il y avait des écuelles cassées et une pauvre poule malade.
Dans le jardin de roses et de poiriers luisants où fut sa fiancée, il y avait une vieille dame.
L’histoire ne dit pas qui elle était.
Francis JAMMES, Le roman du lièvre, 1946.