Et Jésus dormait
Jésus dans la barque de Pierre
Se laissait aller au sommeil,
Et la mer au reflet vermeil
Semblait dormir aussi sous la grande lumière.
Dans le sombre des touffes d’arbres,
La Capharnaüm orgueilleuse,
Tout là-bas, s’étend paresseuse
Et mire dans les eaux les blancheurs de ses marbres.
Cosraïn et Bethsaïda
Dans un milieu plein de verdure
Sommeillent pleines de luxure
Mêlant leur souffle au souffle impur de Magdala.
Jésus, dans la barque immobile
Dort d’un sommeil mystérieux ;
Les apôtres silencieux
Le contemplent craintifs. Leur foi est si fragile !
Pierre soudain voit apparaître
À l’horizon un noir nuage.
Il fait signe à tout l’équipage ;
Mais il n’ose troubler le sommeil de son maître.
À l’instant même, un fin zéphir
S’en vint se jouer dans la voile ;
Il fraîchit et gonfle la toile,
Et la mer se réveille et se met à frémir.
Capharnaüm se couvre d’ombre,
L’ombre couvre aussi Magdala,
Cosraïn et Bethsaïda !
Il accourt en grondant comme un grand voile sombre.
Comme un bélier puissant, le vent frappe les tours,
Fauche les oliviers dans tous les alentours
Les étendards romains plantés sur les murailles
Sont déchirés, hachés, emportés comme des pailles.
Le fracas de la foudre aux sanglantes lueurs
Se mêle au vent qui hurle en sanglots pleins d’horreurs ;
Et les peuples lascifs des ignobles cités
Se pensent aux enfers déjà précipités.
Aux hurlements du vent, au fracas de la foudre
Et dans le tourbillon des murs réduits en poudre,
Répondent mille cris de rage et de fureur
Qu’arrache à ces damnés l’angoisse ou la terreur.
Et la barque s’enfuit au sein de la tourmente.
Les apôtres hagards et muets d’épouvante,
Ou plongent dans l’abîme ou montent sur les flots :
Le vent semble à la mort hurler à longs sanglots,
Et d’un puissant coup d’aile, il déchire la voile,
Brise net la mâture ; et les lambeaux de toile
Semblent, planant au loin, de sinistres oiseaux
Qui, de vertige pris, vont plonger dans les eaux.
La vague qui déferle et frappe à la figure
Les apôtres mi-morts, fait craquer la membrure
Du bateau qui tournoie et tangue affreusement,
Et le Seigneur Jésus dort là paisiblement.
Tous ensemble, serrés dans une étreinte folle,
Les disciples enfin d’une seule parole
Implorent le Seigneur, bégayant de frissons.
« Secourez-nous, Seigneur ! Seigneur, nous périssons ! »
Et Jésus s’éveillant fait un signe, et la houle
Se calme à l’instant même ; et le bateau qui roule
S’affermit sur les flots. Le soleil radieux
Charge de pourpre et d’or l’immensité des Cieux ;
Et nimbé d’or aussi, Jésus vient d’apparaître :
Et Pierre à deux genoux adore le doux Maître !
Jean-Marie-Arthur JOLYS.