L’hirondelle
par
Jean de KERLECQ
C’ÉTAIT au mois de novembre 1840, Lamennais expiait à Sainte-Pélagie je ne sais quel délit de presse qui lui avait valu une condamnation à un an de prison. Il neigeait déjà et l’hiver promettait d’être fort rigoureux ; le polémiste, amaigri par les veilles, maladif et frileux à l’excès, demanda la permission de faire du feu dans sa cellule, ce qui lui fut accordé sans difficulté. Il fit venir des copeaux et des bûches, puis il se mit en devoir d’allumer son feu. Il jouissait déjà d’une douce chaleur quand tout à coup, à travers la fumée âcre qui sortait de la cheminée, il vit se débattre un oiseau.
L’écrivain tendit les mains et il n’eut pas de peine à recueillir une hirondelle à demi asphyxiée.
Comme la fumée continuait de refluer dans la chambre, le prisonnier n’hésita pas à jeter de l’eau sur le feu qui s’éteignit bientôt, puis il enferma l’oiseau entre ses mains prudentes et le caressa pour le mieux rassurer.
Cette petite bête qui, dans la fièvre de l’amour, de la maladie, ou seulement par négligence, avait oublié l’heure du départ, lui devint subitement chère, il la réchauffa de son haleine et fut assez heureux pour la ranimer.
À peine l’oiseau eut-il repris ses sens qu’il s’échappa des mains du prisonnier et regagna son asile, dans la cheminée.
Lamennais revint vers l’âtre, retira les bûches à peine noircies et, quand le gardien vint le soir lui remettre sa nourriture, il le pria de remporter les tisons éteints, et lui déclara qu’il se passerait de feu pendant tout l’hiver.
Il passa de longs jours près de l’âtre vide et tenta de revoir le bel oiseau qui, peu à peu, habitué à voir cet homme qui semblait ne lui vouloir aucun mal, descendit jusqu’à lui.
Dès lors, l’hirondelle fit de nombreuses apparitions dans la chambre, elle vint se poser familièrement sur la table où le penseur écrivait, les doigts gelés ; puis, complètement rassurée, elle se laissa reprendre par lui ; mais, toujours, quand venait le soir, elle regagnait son asile.
Bientôt, le froid devenant plus vif, elle resta des jours entiers dans la cellule. Elle venait elle-même se blottir contre la poitrine de l’écrivain qui s’ingéniait à la réchauffer.
Cependant, quand des pas se rapprochaient de la porte, elle s’empressait de retourner dans sa cachette, et ne redescendait que lorsqu’elle avait entendu le visiteur s’éloigner.
Le prisonnier, dont elle était la seule distraction, s’efforçait de lui procurer des aliments appropriés, mais ses ressources étant, sur ce point, modestes, il confia son embarras à son gardien qui, brave homme, compatit à l’infortune de l’oiseau, et fit pour lui, chaque jour, une provision d’insectes qu’il remit à Lamennais, plus heureux de l’adoucissement apporté au régime de son hirondelle qu’il l’eut été si les portes de la prison se fussent ouvertes devant lui.
L’écrivain souffrit cruellement du froid cet hiver-là mais la solitude de sa cellule fut égayée par la présence de sa petite amie qui s’ingéniait à lui rendre en caresses tout le bien qu’elle en avait reçu. Tous deux attendirent, unis par la plus étroite affection, le retour du printemps et de la liberté.
Lamennais, qui fut le héros de cette histoire touchante et qui, durant sa détention, eut tout le temps d’observer les êtres qui s’agitaient autour de sa geôle, raconte l’amusante anecdote que voici.
« Une hirondelle était venue bâtir son nid contre la fenêtre de ma cellule, elle se disposait à y déposer ses œufs quand un moineau, profitant de son absence, s’empara de la maison qu’elle avait si patiemment construite. [...]
« Quand la légitime propriétaire du nid voulut réintégrer son domicile, elle trouva la place occupée et, s’accrochant au bord de la fenêtre, elle adressa à l’intrus un discours fort courroucé. Le moineau fit la sourde oreille, ce que voyant, l’hirondelle s’envola pour appeler du secours et revint bientôt avec une bande d’une centaine de ses congénères, dont le nombre augmenta encore par la suite.
« Moins d’une heure après, elles étaient plus de cinq cents.
« Elles attaquèrent le moineau, mais celui-ci, bien à l’abri, semblait les narguer, ne leur présentant que son gros bec.
« Les plus hardies reçurent même quelques coups, l’une d’elles perdit un œil dans la bataille et tomba sur le sol.
« Un moment indécises, les hirondelles s’envolèrent toutes et disparurent, comme si elles avaient renoncé à la lutte.
« Il n’en était rien cependant ; seulement, leur plan d’attaque ne leur ayant pas réussi, elles avaient, soudain, adopté une autre tactique. »
À sa grande surprise, l’écrivain les vit reparaître à tire-d’aile ; chacune s’était munie d’un peu de cette terre humide dont elles se servent pour bâtir leur nid, et, les unes après les autres, elles vinrent déposer cette sorte de mortier à l’ouverture du nid qui, presque instantanément se trouva bouché.
Ne pouvant parvenir à déloger l’usurpateur, elles l’avaient claquemuré.
Leur besogne vengeresse terminée, elles se dispersèrent.
Linné, qui consacra une partie de sa vie à l’étude des bêtes, raconte un fait à peu près semblable.
M. Dupont de Nemours relate un épisode également curieux qui montre jusqu’où peut aller l’esprit de solidarité des hirondelles.
Un de ces oiseaux s’était, en voletant, pris la patte dans le nœud coulant d’une ficelle, dont l’autre bout était attaché à une fenêtre de l’ancien collège des Quatre-Nations.
Après avoir fait d’inutiles et longs efforts pour se dégager, l’hirondelle épuisée, dut renoncer à tenter de reconquérir sa liberté.
Elle pendait lamentablement au bout de la ficelle, et criait de désespoir, quand une hirondelle, attirée par ses gémissements, vint se poser près d’elle et parut vouloir se rendre compte de la situation de sa camarade.
Elle repartit d’un vol rapide et elle appela tous les oiseaux de son espèce, qui se réunirent en une bande de plusieurs milliers. Les hirondelles formèrent bientôt comme un nuage épais, toutes poussaient des cris de pitié et d’encouragement. Elles s’abattirent sur le toit du collège, tinrent un conseil tumultueux, semblant discuter sur les moyens de venir en aide à leur camarade. Enfin, l’une d’elles, qui se faisait remarquer par son gazouillis impétueux, parut avoir réuni tous les suffrages, et pour bien montrer ce qu’elle attendait de ses camarades, elle prêcha l’exemple en donnant, en passant, un vigoureux coup de bec à la ficelle.
Les hirondelles avaient compris, elle vinrent toutes, à leur tour, imiter leur ingénieuse camarade.
Les coups se succédaient rapidement et portaient toujours sur le même point. Au bout d’une demi-heure à peine de ce travail, la ficelle, usée, se rompit, et la captive reprit enfin son essor, au milieu de l’allégresse générale.
L’hirondelle aime le nid où elle est née, elle y revient après une longue absence, et y dépose à son tour ses œufs, si toutefois sa mère le lui abandonne ; dans le cas contraire, elle se construit un nid dans le voisinage et le conserve jusqu’au jour où la mort vient la surprendre. Beaucoup de ces charmants oiseaux meurent chaque année pendant la traversée de la Méditerranée ; ce sont pour la plupart de jeunes hirondelles inexpérimentées. Les aînées, instruites du danger, empruntent, pour regagner l’Europe, le détroit de Gibraltar où la traversée est courte ; les unes demeurent en Espagne, les autres continuent leur route plus au nord ; mais toujours elles reviennent au pays qu’elles ont habité précédemment et reprennent possession de leur ancien domicile.
Buffon raconte qu’un savetier de Zurich avait passé, à la patte d’une hirondelle, un anneau sur lequel il avait gravé ces mots :
Hirondelle
Qui est si belle
Dis-moi, l’hiver, où vas-tu ?
Le printemps suivant, cet homme reçut, par la même voie, la réponse suivante :
À Athènes
Chez Antoine
Pourquoi t’en informes-tu ?
Ce fait, au reste, n’a rien d’extraordinaire ; il en a été, maintes fais, constaté de semblables ; j’en ai moi-même observé, et tous les paysans citent des exemples typiques qui se rapprochent beaucoup de l’histoire du savetier de Zurich et de son hirondelle.
En somme, il faut bien avouer que si cet oiseau possède au plus haut degré le sens de l’orientation, il est doué, en outre, d’une intelligence supérieure à celle de beaucoup d’animaux qui le dépassent en force et en taille.
Combien, à la place de ces sympathiques oiseaux, auraient abandonné à son malheureux sort, un congénère dans une situation aussi grave que celle de l’hirondelle du collège des Quatre-Nations ?...
Jean de KERLECQ.
Paru dans Le magasin pittoresque en 1911.