Les blasphémateurs punis

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Michel KLIMO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANS le village de Regéez vivaient autrefois trois frères, avec leurs deux sœurs. La cadette était douce, pieuses et charitable. L’aînée, au contraire, était impie et méchante comme l’enfer.

C’était la Fête-Dieu. La sœur aînée, qui s’était levée de grand matin, alla frapper à la chambre de ses frères en s’écriant :

– Hors du lit ! Fainéants que vous êtes ! Qu’on se dépêche, et qu’on aille travailler dans la vigne !

– Ma chère, objecta timidement la cadette, c’est aujourd’hui grand jour de fête : la Fête-Dieu. Ce serait blasphémer contre le Bon Dieu que de travailler aujourd’hui.

– Tais-toi, bavarde, répondit l’aînée en menaçant du poing sa sœur. Mais voyez quelle insolence, continua-t-elle. Ne pas travailler, par exemple ! Rester les bras croisés toute la journée. J’y mettrai bon ordre. Allons, détale vite. Va-t’en dans la forêt me chercher un fagot, et en revenant tu apporteras une cruche d’eau ; puis, à midi, tu porteras le dîner à tes frères, et pendant qu’ils mangeront, tu travailleras dans la vigne et tu couperas un peu d’herbe pour les vaches, entends-tu ? Ah ! Mademoiselle est d’avis qu’il faut chômer. Mais ce n’est pas en chômant qu’on augmente sa fortune. Et maintenant, pars vite, et fais ce que je t’ai dit.

Baignée de larmes, la pauvre jeune fille s’en alla en poussant de gros soupirs. Comme elle traversait la rue, elle entendit sonner la messe, et vit des groupes de jeunes filles endimanchées qui se rendaient à l’église pour assister à la procession.

Tout à coup le père Nicolas, ancien ami de la famille et tuteur des cinq orphelins, l’aborda en demandant où elle allait ainsi, la cruche à la main. La pauvrette lui raconta ce qui s’était passé à la maison.

– Mais c’est honteux, dit le paysan. Non, je ne souffrirai jamais qu’on t’outrage de la sorte. Tu resteras ici ; nous irons ensemble à l’église ; quant à ta sœur, je me charge de la ramener au Bon Dieu. Ce qui fut dit fut fait.

On alla à la procession, on dîna en famille chez le père Nicolas, et après-midi on passa le temps à causer avec les voisines. Pendant ce temps-là, la vilaine créature, qui était restée à la maison, pestait contre sa sœur et jurait de la maltraiter à coups de pincettes, quand elle serait de retour.

Comme le dîner était prêt depuis longtemps, la méchante fille, lasse d’attendre, s’en alla elle-même le porter à ses frères. Quand ceux-ci la virent arriver, ils se mirent à l’injurier, en la traitant de sans-cœur qui les laissait mourir de faim.

– Ce n’est pas ma faute, dit-elle. C’est cette maudite fête et la fainéantise de votre sœur cadette qui ont causé le retard.

Et tous de s’écrier en chœur :

– Maudite soit la vaurienne, et maudites soient toutes ces fêtes qu’on nous impose !

Puis ils s’approchèrent pour ôter la corbeille de dessus la tête de leur sœur. Mais au moment où ils allaient y toucher, ils furent changés en pierre tous les quatre.

La cadette qui les attendait tremblante, sur le seuil de la porte, ne les revit plus jamais.

Non loin des ruines de l’ancien château de Regéez, on voit encore de nos jours ce groupe impie changé en pierre, avertissement du ciel qui semble dire :

– Malheur à ceux qui outragent la religion.

 

 

 

Michel KLIMO,

Contes et légendes de Hongrie,

1898.

 

 

 

 

 

 

 

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