Litava

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Michel KLIMO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le château de Litava, quoique entièrement tombé en ruines, annonce un ancien repaire de brigands. Au pied du rocher escarpé, est situé le paisible petit village de Litava, dont les habitants pieux se racontent, avec une sainte et mystérieuse horreur, une légende. Un tableau d’autel, peint sur bois, gardé autrefois dans la chapelle du château et transporté, vers le milieu du siècle passé, dans l’église du village, représente une horde sauvage qui, du haut d’un rocher, précipite dans l’abîme un vieux prêtre. Le malheureux tombe sur le fer de lances plantées dans le sol. Voici l’explication populaire de cette scène farouche :

Après la fameuse bataille de Sajo, les Tartares envahirent toute la Hongrie. Partout, où ils avaient passé, on ne voyait que villes et villages incendiés, et des traces d’horribles massacres. Une de ces hordes barbares vint piller les environs de Litava. À leur approche, ce fut un sauve-qui-peut général. Seuls les vieillards, les enfants et les infirmes étaient restés dans le village, ayant en tête leur vieux prêtre, qui les avait rassemblés et était allé avec eux se réfugier dans l’église. Les Barbares, après avoir mis le feu au village, s’en vinrent rôder autour de l’église. Debout à une des fenêtres de l’édifice, le prêtre s’efforçait de faire comprendre par des gestes que les réfugiés étaient tous des malheureux, qui imploraient leur grâce. Là-dessus, les Tartares lui tendirent une espèce de lettre à gros cachets, lettre extorquée sans doute à quelques-unes de leurs victimes, dans laquelle le curé du village voisin attestait que les Tartares traitaient humainement tous ceux qui se rendaient. Les malheureux ajoutèrent foi à la lettre, et ouvrirent la porte. Après avoir pillé l’église, et voyant qu’il n’y avait pas, parmi les Hongrois, un seul homme propre à devenir leur esclave, les féroces Tartares résolurent de les massacrer tous. Mais sur la proposition de l’un d’entre eux, ils consentirent à faire grâce à ceux qui abjureraient la foi chrétienne. Le vieux pasteur, à qui on avait fait subir des tortures indicibles, déclara hautement que, ni lui, ni aucun des siens, ne se laisseraient jamais aller à outrager ce qu’ils avaient de plus sacré au monde. Puis, s’adressant aux siens : « Courage, mes frères, dit-il, Dieu ne nous abandonnera pas. »

Là-dessus, les ennemis traînèrent les pauvres victimes jusqu’au haut du rocher, pour les précipiter dans l’abîme, sur le fer des lances.

– Voyons, hurla un des Barbares, ce que ton Dieu pourra faire pour toi.

Et il poussa le prêtre dans l’abîme. Mais, ô miracle ! Comme enlevé par une main invisible, le saint homme disparut.

Saisis de frayeur, les Tartares prirent la fuite, comme emportés par un tourbillon. Les chrétiens s’agenouillèrent pour rendre grâce à Dieu de les avoir si miraculeusement sauvés. Le vieux prêtre, dans sa chute, était resté accroché aux broussailles, et lorsqu’il reprit ses esprits, ses cris plaintifs attirèrent ses paroissiens, qui le sauvèrent à l’aide de cordes et d’échelles.

Bien des siècles se sont écoulés depuis. L’implacable cours du temps, qui emporte tout, n’a pu effacer le souvenir de cette pieuse légende qui, de père en fils, est parvenue jusqu’à nous.

 

 

Michel KLIMO,

Contes et légendes de Hongrie,

1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

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