Mohos

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Michel KLIMO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Grâce à son activité infatigable, le père Nicolas avait amassé une fortune respectable. Il vivait heureux, entouré de ses fils et de ses petits-enfants. Rien ne manquait à son bonheur. Mais un jour, il lui sembla voir que ses fils étaient en proie à quelque inquiétude. Il les étudiait donc, et fit si bien qu’il finit par découvrir la cause de leur préoccupation : ils songeaient au partage de la fortune du vieillard.

Sans faire semblant de rien, le père profita d’un moment où ils étaient tous ensemble, et leur tint ce discours :

– Mes chers enfants, grâce à la bonté divine, qui a bien voulu bénir notre travail assidu, nous voilà à notre aise. Mais croyez-moi, ce que je préfère à tous les biens de la terre, c’est cette concorde dans laquelle nous avons vécu jusqu’à présent. Aussi vous prié-je de ne jamais vous désister de ce trésor. Quand je serai mort, restez ensemble, je vous en conjure, et songez que, les trois quarts du temps, ce sont les partages qui amènent la discorde et la haine dans les familles.

Touchés par les paroles persuasives du vieillard, les fils promirent d’être sages, et de ne plus songer à se séparer.

Quelque temps après, le père mourut. Aussitôt l’envie de partager la fortune renaît dans leur cœur. On y procède, et voilà bientôt la fortune partagée.

Restèrent encore six gros bœufs, que chacun voulait posséder. Enfin l’un d’entre eux dit :

– Si vous m’en croyez, nous conduirons paître les bêtes sur le plateau de Mohos ; nous y avons chacun un petit pré. Je propose que les six bœufs soient à celui sur le pré de qui ils se reposeront à midi.

– D’accord ! s’écrièrent les autres.

Comme s’ils avaient compris ce qu’on venait de résoudre, les bœufs s’élancèrent paître sur la pente de la montagne.

Vers midi, toute la parenté courut à la recherche des bœufs. Un beuglement plaintif se fit entendre de loin.

Arrivé sur le plateau, on trouva le pré changé en un marais d’où sortaient encore les cornes des bœufs, qui venaient de se noyer.

Tristes et silencieux, les héritiers retournèrent chez eux, résolus cette fois de vivre ensemble, et de suivre les conseils de leur père. Aussi ne tardèrent-ils pas de s’apercevoir de la bénédiction de Dieu.

Toutes les fois qu’on entend gronder le vent du côté de Mohos, les habitants des environs disent :

– Voilà les bœufs du Mohos qui beuglent ; quelqu’un va mourir, il y aura un partage.

 

 

 

Michel KLIMO,

Contes et légendes de Hongrie,

1898.

 

 

 

 

 

 

 

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