La légende des trois pleureuses

 

 

                                                                                  À Henri Bauer.

 

 

Le prince, le jeune prince aussi beau qu’un roi est mortellement blessé,

Tandis qu’il chassait au profond des bois.

Ô le chasseur distrait !

Distrait par l’unique hantise des tresses dorées,

Des lourdes tresses dorées de la princesse sa femme.

Il fut assailli par un méchant sanglier

Qui le navra de ses crocs acérés.

 

                                     *

                                   *   *

 

Et le voici maintenant aussi pâle qu’une touffe de jasmins, couché sur les brocarts sanglants du lit.

Du lit heureux où quelques semaines avant il avait reçu la virginale épouse, sa princesse aux tresses dorées.

Autour du lit, trois pleureuses sont debout  : la Mère, la Sœur et l'Épouse.

 

                                     *

                                   *   *

 

Courons, dit la Mère, courons vite chez le Magicien qui vit farouche au profond des bois.

Lui seul pourra composer un baume qui guérisse mon beau prince, aussi beau qu’un roi.

 

                                     *

                                   *   *

 

Quand elles furent parvenues au profond des bois,

Le magicien ainsi leur parla :

– Je puis guérir le jeune prince,

Je puis vous donner un baume qui guérisse le jeune prince,

Mais, pour me payer cet incomparable baume il me faut donner :

Toi la Mère, ton bras droit tout entier,

Toi la Sœur, ta main blanche avec l’anneau du doigt,

Et toi l’Épouse, ta lourde tresse dorée.

 

                                     *

                                   *   *

 

La Mère dit  : N’est-ce que cela ? et elle donna son bras droit.

La Sœur dit : Prends ma main blanche avec l’anneau du doigt.

Mats l’Épouse gémit : Hélas ! faudra-t-il me dépouiller de ma tresse dorée ?...

Je ne puis en vérité donner ma tresse dorée.

Et le magicien garda son baume,

Et le prince mourut.

 

                                     *

                                   *   *

 

Or, elles sont là, les trois pleureuses, autour du corps trépassé.

La Mère pleure, soutenant la tête de son prince bien aimé, abattu comme un sapin des bois.

La Sœur pleure aux pieds du prince aussi beau qu’un roi.

Et l’Épouse pleure près du cœur.

Près du cœur mort qui palpita de si tendre amour pour ses tresses dorées.

 

                                     *

                                   *   *

 

Et à la place où pleurait la Mère – ce devint un beau fleuve aux flots immortels qui coule jusqu’à ce jour.

Où pleurait la Sœur ce fut une source vive.

Mais où pleurait l'Épouse – ce fut une petite mare que le premier soleil a séchée.

 

 

 

Maria KRYSINSKA.

 

 

 

 

 

 

 

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