Satan dans la cité

 

Conversations entre un Sociologue et un Théologien

sur le Diabolisme Politique et Social

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Marcel de LA BIGNE DE VILLENEUVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TROISIÈME SOIRÉE

 

 

Et je suis réellement bien « mordu » puisque je suis revenu le lendemain.

Sans aucune allusion à l’escarmouche où j’ai joué un rôle assez piteux, l’abbé Multi commence immédiatement, compulsant parfois des notes, ou jetant un coup d’œil et cueillant un passage dans les livres ouverts sur sa table.

– « Si vous le voulez bien, nous envisagerons aujourd’hui trois points principaux qui suffiront à éclairer en gros la matière : La possession existe-t-elle vraiment et, si oui, dans quelles limites ? – Est-il expédient de soumettre à l’exorcisme tous ceux qui présentent des déséquilibres nerveux très graves ? – Et enfin, toujours en supposant que la première question ait reçu une réponse affirmative, quelles sont les causes de l’apparente rareté de la possession ?

« En ce qui concerne le premier point, il faut avant tout déblayer le terrain et le délimiter. Grosso modo, vous savez que deux opinions contradictoires s’y heurtent. Selon la première, la plus répandue, il n’y a pas, ou il n’y a plus de possession, mais seulement des grands malades nerveux, justiciables uniquement de la médecine ou, au besoin, de la chirurgie du cerveau, et, pour préciser davantage, des hystériques, des schizophrènes, des cataleptiques et des épileptiques. C’est l’idée qu’exprime, avec une brutalité sommaire, le Dr Légué, par exemple, dans la conclusion de son livre : Urbain Grandier et les Possédés de Loudun, paru en 1884. « La science », écrit-il, « a aujourd’hui secoué le joug de la théologie ; elle n’admet plus le recours à des influences diaboliques ou divines... Voilà longtemps déjà que des maîtres illustres étudient ces singulières affections névropathiques qui passaient jadis pour des maladies surnaturelles. Grâce à leurs travaux, à l’impulsion et à la direction qu’ils ont donnée aux recherches contemporaines, Satan, l’être imaginaire, a complètement disparu ; la place appartient sans conteste à une réalité scientifique. Les hystériques, comme tous les autres malades, relèvent du médecin, non plus du prêtre ou du moine exorciste... »

« Une seconde façon de voir, tout opposée et très rare dans sa formule la plus nette, est exprimée ou impliquée dans les assertions de Léon Bloy que vous avez citées ; elle est, on doit le dire, soutenue par certains ecclésiastiques. On peut la résumer en disant qu’il n’y a pas de grands malades nerveux, mais seulement des obsédés ou des possédés justiciables des exorcistes. Tout au moins si l’on se trouve en face de l’un de ces déséquilibrés, il est indiqué d’avoir recours au prêtre avant d’appeler le médecin.

« L’opinion de Léon Bloy fait plus honneur à sa foi qu’à sa perspicacité, à son sens critique et à sa prudence. Tout en appréciant à son juste mérite, qui est grand, ce génial vociférateur, je suis bien obligé de constater qu’il s’est laissé aller à commettre ici une lourde sottise et une dangereuse inconséquence. On peut difficilement lui trouver des excuses ou des circonstances atténuantes, car il possède à fond l’histoire évangélique et il savait fort bien, par conséquent, que le Christ et les Apôtres ont fait de très nettes distinctions entre les possédés et les malades. Ils exorcisent les uns, mais ils se contentent de guérir ou de consoler les autres, sans nulle allusion à une inhabitation quelconque des démons qui les auraient réduits en esclavage. C’est l’attitude du bon sens. Elle nous dicte la nôtre. Celle-ci sera intermédiaire entre les deux propositions extrêmes que nous avons présentées tout à l’heure. Elle peut se formuler ainsi : il n’est pas vrai que tous les prétendus obsédés ou possédés soient réellement des épileptiques, des cataleptiques, des hystériques, mais il est vrai que certains prétendus malades épileptiques, cataleptiques, hystériques soient réellement des possédés ou des obsédés.

« Je dois remarquer ici en passant qu’il est tout à fait inexact d’affirmer que l’Église voit des possédés partout et s’efforce d’étendre le plus possible le domaine de la possession pour avoir l’occasion d’intervenir et de perpétuer vaille que vaille son influence. Mgr Waffelaert démontre que les théologiens, notamment le P. Thyrée, dès le XVIe siècle, l’autorité ecclésiastique, en particulier le Pape Benoît XIV, le Rituel Romain, dans la partie Obsessi a daemonio, se sont toujours préoccupés de distinguer les simulateurs ou les névrosés simples, des véritables possédés du Démon et recommandent expressément de ne recourir aux exorcismes que si les moyens de guérison naturelle ont échoué. Très expressément, le Rituel met les prêtres en garde contre une crédulité imprudente : In primis, ne facile credat aliquem a daemone obsessum esse, sed nota habeat ea signa quibus obsessus dignoscitur ab iis qui atra bile vel morbo aliquo laborant.

« Et voilà qui nous amène aux signes de la possession. On s’imagine généralement se trouver en face d’un possédé lorsqu’on voit un malheureux être qui semble avoir perdu son bon sens et se livre à des gesticulations et contorsions effroyables, à des blasphèmes ignobles, ou des imprécations hurlantes et incoordonnées. L’Église est beaucoup plus sévère ; elle ne s’arrête point à de telles manifestations, si spectaculaires soient-elles. Elle fait une sévère critique des signes de possession et écarte tous ceux qui peuvent comporter une explication naturelle. C’est ainsi que le P. Thyrée, dans son De Daemoniacis, qui date de 1598, distingue entre plusieurs catégories de signes : ceux qu’il faut rejeter ; ceux qui peuvent, tout en demeurant d’importance douteuse, être retenus pour examen dans certaines circonstances ; ceux qui peuvent être considérés comme certains.

« Des premiers, il forme une liste de douze qui ne doivent pas retenir l’attention. Ce sont : « l’aveu de quelques-uns qui sont intimement persuadés d’être possédés... ; la conduite, quelque perverse soit-elle... ; des mœurs sauvages et grossières ; ...un sommeil lourd et prolongé et des maladies incurables par l’art des médecins, comme aussi des douleurs d’entrailles..., la très mauvaise habitude de certaines gens d’avoir toujours le Diable à la bouche ; ...ceux qui ne sont nulle part en sûreté, se sentant partout molestés par les esprits ; ...ceux qui, fatigués de la vie présente, attentent à leurs jours ; ...ceux qui invoquent les démons, en perçoivent visiblement la présence et sont enlevés par eux ; ...la furie ; ...la perte de la mémoire ; ...voire même la révélation des choses occultes. » Et il ajoute, comme également dépourvues de signification décisive, la cécité, la surdité, la mutité, la cruauté contre son propre corps ou contre autrui.

« Le P. Thyrée ne refuse d’ailleurs pas d’admettre que telle ou telle de ces manifestations puisse émaner du Prince des Ténèbres et ne s’oppose point à l’examen si les circonstances rendent vraisemblable la supposition d’une activité diabolique. Il dit simplement qu’elles ne lui paraissent pas indubitables et n’y attache donc tout au plus que la valeur de présomptions. Il ne retient pratiquement qu’un petit nombre de signes considérés comme certainement révélateurs d’une intervention démoniaque. Adoptant en somme cette façon de voir, le Rituel en énumère trois, sans exclure toutefois que l’on puisse s’arrêter à quelques autres :

« i°) Ignota lingua loqui pluribus verbis ; on remarquera l’exigence du texte qui ne se contente pas de mots isolés, mais veut que le patient fasse la preuve qu’il parle ou comprend suffisamment les langues qu’il n’a point apprises ;

« 2°) distantia et occulta patefacere ;

« 3°) vires supra aetatis seu conditionis naturam ostendere.

« Intrinsèquement, ces trois cas paraissent bien inexplicables et irréalisables par les forces personnelles d’un individu ; ils exigent une intervention extra-naturelle. Mais cette intervention envisagée en soi peut être aussi bien d’ordre divin que d’ordre diabolique. Une condition supplémentaire et très importante sera donc exigée qui dépendra des circonstances du phénomène : il faudra que l’activité du patient soit exercée sans but raisonnable, ou même pour un motif coupable, tel par exemple que de faire injure à Dieu ou de nuire au prochain.

« Et ce n’est pas encore tout. Sauf exception commandée par l’évidence, le Rituel n’attache de valeur pleinement démonstrative à ces signes qu’autant qu’ils se manifestent non pas isolés, mais réunis et se fortifiant les uns par les autres, ou corroborés par d’autres insuffisamment pertinents à eux seuls, mais qui, par leur groupement, acquièrent plus de portée. C’est pourquoi il ajoute :

« et id genus alia, quae cum plurima occurrunt, majora sunt indicia. »

« C’est en particulier dans cette quatrième catégorie que l’on pourrait ranger, toujours sous les mêmes conditions, les lévitations, les suspensions, les transports par les airs contrairement aux lois de la pesanteur, qui se remarquent assez souvent dans les possessions, tandis qu’elles ne figurent pas dans la symptomatologie des grandes névroses. Certains auteurs y voient, avec le développement de forces physiques surhumaines dans un corps humain, l’un des signes certains de l’inhabitation diabolique. D’autres n’y veulent trouver qu’une présomption très sérieuse, qui peut prendre une valeur déterminante en se joignant aux autres preuves. C’est à cette attitude de prudence consommée que s’arrête le Rituel.

« Avez-vous des explications supplémentaires à me demander sur ce premier point ? »

– « Ma foi, non », dis-je, « je vous ai écouté avec le plus grand intérêt et vous avez prévenu les objections qui auraient pu me venir à l’esprit. Dans votre exposé, j’ai trouvé matière à réformer mon opinion qui était, je l’avoue, précipitée et aventureuse. Je vois à présent que si l’on avait quelque reproche à formuler à l’encontre de l’Église, ce serait celui de réserve plutôt que celui de présomption, celui d’effacement plutôt que celui d’accaparement. C’est tout à fait contraire à la croyance commune qui est fausse sur ce point comme sur tant d’autres. Je m’explique à présent que nombre de médecins consciencieux acceptent et réclament expressément la collaboration du prêtre quand leur science et leur art se révèlent déficients. Et je me rends compte aussi que ce n’est pas par défaut de foi que les exorcistes emploient aussi rarement leurs pouvoirs. »

– « Ils ne font en cela qu’obéir à la discipline ecclésiastique dont les prescriptions sont fondées sur un sage discernement. L’exorcisme est bien en effet le suprême recours dont les malheureux possédés peuvent attendre leur délivrance. Mais cela n’autorise nullement à l’employer au hasard, même dans les cas les plus douteux, sous prétexte que s’il ne fait pas de bien, il ne pourra pas faire de mal.

« Assurément, on peut être frappé de l’extrême facilité et de la fréquence avec lesquelles on recourait à l’exorcisme dans la primitive Église et de l’efficacité en quelque sorte foudroyante qu’il manifestait, ainsi que de l’esprit de foi ardente qu’il supposait. Tenez », s’interrompt M. Multi, en ouvrant à la page marquée l’un des livres préparés sur sa table, « laissez-moi vous lire ce passage si frappant de Bossuet, dans son second Sermon sur les Démons.

« Messieurs », dit le sublime orateur, « écoutez parler Tertullien dans son admirable Apologétique. Il reproche aux Gentils que toutes leurs divinités sont des esprits malfaisants ; et, pour leur faire entendre cette vérité, il leur donne le moyen de s’en éclaircir par une expérience bien convaincante. Edatur hic aliquis sub tribunalibus vestris quem daemone agi constet. Ô juges qui nous tourmentez avec une telle inhumanité, c’est à vous que j’adresse ma parole : qu’on me produise devant vos tribunaux ; je ne veux pas que ce soit en un lieu caché, mais à la face de tout le monde ; qu’on y introduise un homme qui soit notoirement possédé du démon ; je dis notoirement possédé et que la chose soit très constante : quem daemone agi constet ; alors, que l’on fasse venir quelque fidèle ; je ne demande pas qu’on fasse un grand choix, que l’on prenne le premier venu, pourvu seulement qu’il soit chrétien : Jussus a quolibet christiano ; si, en présence de ce chrétien, il n’est contraint, non seulement de parler, mais encore de vous confesser ce qu’il est et d’avouer sa tromperie, n’osant mentir à un chrétien : christiano mentiri non audentes ; Messieurs, remarquez ces paroles : là même, là même, sans plus différer, sans aucune nouvelle procédure, faites mourir ce chrétien imprudent qui n’aura pu soutenir par l’effet une promesse si extraordinaire : ibidem illius christiani procacissinii sanguinem fundete. »

« Pareil défi en dit long sur la puissance reconnue de l’exorcisme dans ces temps anciens. Il nous prouve que n’importe quel chrétien pouvait le pratiquer. Un peu plus tard, on voit l’Église intervenir pour en limiter l’usage. Elle le confie à des clercs. Mais, pour mieux marquer, dit un vieux théologien, son mépris des démons, c’est à des ministres inférieurs de la hiérarchie ecclésiastique qu’elle remet ce redoutable pouvoir. Puis, progressivement, elle en restreint et en surveille l’emploi, de façon de plus en plus étroite, pour remédier aux abus qui avaient pu être commis et prévenir des accidents fâcheux. Aujourd’hui, elle le confie à des délégués spéciaux, toujours choisis parmi des prêtres éprouvés, expérimentés et sages. C’est qu’en aussi délicate et importante matière, l’imprudence pourrait avoir, nous dit Mgr Waffelaert, des inconvénients graves aussi bien pour le patient que pour le ministre. « Car l’exorcisme, par la forte impression qu’il produit, peut affecter défavorablement un système nerveux déjà troublé et achever de le détraquer ; il est aussi un puissant moyen de suggestion et risque de développer chez un sujet faible des habitudes morbides. En outre, on n’a pas le droit d’employer sans motif grave les prières sacrées du Rituel : il faut qu’elles aient un objet. »

« De son côté, le P. de Tonquédec, dont l’expérience est grande puisqu’il a exercé pendant vingt ans les fonctions d’exorciste officiel du diocèse de Paris, ne nous laisse pas ignorer qu’un pareil ministère peut présenter les risques les plus sérieux, en particulier quand il s’adresse à des hystériques violemment agités. Le prêtre peut être non seulement couvert des plus fangeuses injures et des pires outrages, mais se voir exposé à des voies de fait que l’exaltation paroxystique du malade peut rendre fort dangereuses.

« Enfin, l’application de l’exorcisme hors de son domaine propre sera non seulement stérile, mais éventuellement capable de ridiculiser sans nul profit les cérémonies religieuses. Ici encore, écoutons le P. de Tonquédec. Répondant à l’accusation de Léon Bloy, réitérée cette fois sous une nouvelle forme, dans une lettre à ses filleuls, contre les prêtres qui ont « perdu la foi au point de ne plus croire à leur privilège d’exorciste et de n’en faire aucun usage », abstention que le pamphlétaire qualifie de « malheur horrible » et de « prévarication atroce », il ajoute avec une modestie qui renforce encore la valeur de son témoignage : « Je voudrais, pour la beauté du fait, que les prêtres qui professent ces belles théories – il y en a – essaient de les mettre à l’épreuve de l’expérience. Qu’ils parcourent donc les asiles en prononçant des exorcismes et nous en verrons les résultats. Je ne parle point ici a priori. Au début d’un ministère où la compétence ne s’acquiert que lentement, alors que je m’avançais en tâtonnant à travers un domaine vaste et inexploré, il m’est arrivé, j’en ferai ici la confession naïve et contrite, d’exorciser des malades. Le succès a été celui que l’on pouvait attendre [i]. » (1)

« Il faut cependant ajouter – ce que paraît ignorer Léon Bloy – que l’Église n’a nullement répudié sa vieille tradition. Et bien au contraire, vous allez en juger. Tout prêtre et même tout fidèle peuvent toujours, s’ils le jugent utile et opportun, recourir à l’exorcisme. Je dirai même que, sans doute en raison de la recrudescence constatée de l’influence diabolique dans le monde, les formules et prières sont devenues à notre époque plus nombreuses et plus largement vulgarisées que jadis. Inutile de vous rappeler que Léon XIII a prescrit à tout prêtre qui vient de célébrer la messe de réciter, en union avec les assistants, une oraison qui constitue un exorcisme : « Saint Michel, Prince de la milice céleste, par la vertu divine dont vous êtes revêtu, repoussez en enfer Satan et les autres esprits mauvais qui sont répandus dans le monde pour la perdition des âmes... » Cette répétition quotidienne et instante prouve bien que le Pape voulait nous faire comprendre que l’Église est engagée à cette heure dans un combat incessant et plus formidable que jamais avec l’Esprit des Ténèbres.

« Léon XIII a publié ou réédité en outre d’autres formules d’exorcisme ; l’une est réservée aux prêtres ; une seconde doit être fulminée publiquement dans les églises. Une autre encore, à l’usage de tous, également diffusée par son ordre, est destinée, dit la note qui l’accompagne, aux cas « où l’on peut supposer une action du démon, se manifestant soit par la méchanceté des hommes, soit par des tentations, des maladies, des tempêtes, des calamités de toutes sortes. »

– « Soit », ai-je répondu. « Toutefois, il ne semble pas que, sauf pour le petit exorcisme de la fin de la messe, on ait souvent recours à ccs obsécrations. L’exorcisme public et solennel demeure rarissime et, nous l’avons vu, entouré de mesures de prudence extrême, sinon excessive. Ces précautions ne s’expliqueraient-elles pas, au moins en partie, par la raréfaction des cas de possession proprement dite ? C’est bien là, n’est-ce pas, un fait constaté et indubitable ? Mais c’est bien aussi, je dois le dire, un de ceux que je comprends le moins. Comment peut-il se faire que, dans une époque d’extrême décadence religieuse telle que la nôtre, dans une époque où le mal connaît les triomphes les plus étendus et les plus durables, l’intervention visible du démon se fasse plus exceptionnelle que jamais ? N’y aurait-il point tout de même là une preuve que beaucoup des manifestations attribuées à Lucifer n’étaient en réalité que des phénomènes purement naturels dont les sciences positives nous donnent à présent le pourquoi ? »

– « Je crois », répond M. Multi, « que vous présentez les choses sous un aspect vraiment un peu trop simple et que votre surprise pourra être dissipée par quelques observations.

« Qu’il y ait en apparence diminution des inhabitations spectaculaires du démon, c’est tout à la fois vrai et faux. On les retrouve encore en grand nombre dans les pays sauvages et les missionnaires nous en envoient souvent des récits extrêmement circonstanciés et dont on ne saurait mettre l’exactitude en doute. C’est dans les pays d’ancienne civilisation chrétienne qu’elles semblent devenir de plus en plus rares. Plusieurs théologiens ne voient dans ces deux faits opposés rien de surprenant. Dans les pays infidèles ou païens, disent-ils, le démon règne en maître et soumet les hommes à son empire, tandis que dans ceux qui appliquent plus ou moins complètement les principes du christianisme, fussent-ils laïcisés, Satan se trouve gêné et combattu efficacement par les moyens spirituels adéquats et se voit peu à peu contraint à céder la place. »

Comme je ne puis retenir un geste instinctif de protestation et d’incrédulité :

– « Ne croyez pas du tout », s’empresse de préciser M. Multi, « que je fasse mien ce raisonnement, ni même que je l’estime fondé de façon sérieuse. Il soulève bien des objections et néglige en particulier le fait important auquel vous faisiez allusion. Il se voit contredit par la constatation, facile à faire chez nous par exemple, que l’élimination de plus en plus marquée de l’influence chrétienne dans la vie publique du pays et dans la vie privée des citoyens coïncide précisément avec une régression des manifestations diaboliques les plus frappantes. On ne s’expliquerait pas du tout pourquoi Satan n’intensifierait pas, au contraire, ses attaques pour remporter une plus rapide et plus complète victoire. J’ai bien réfléchi à ce problème et je crois apercevoir une explication valable. Seulement, elle va nous écarter un peu des chemins battus que nous avons suivis jusqu’ici et nous amener à pénétrer dans un monde où nous devrons, sous l’égide tutélaire de la théologie sans doute, mais par nos initiatives personnelles, chercher à découvrir une vérité généralement ignorée, méconnue ou voilée par beaucoup de ceux même qui la distinguent ou la devinent. Si vous vous sentez le courage indispensable à l’exploration et le goût de la recherche, nous partirons en campagne la prochaine fois. »

 

 

 

 

Marcel de LA BIGNE DE VILLENEUVE, Satan dans la cité,

Éditions du Cèdre, 1951.

 

 

 

 

 

 


[i] J. de TONQUEDEC, ouvr. cité, p. 204.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net