Un revenant

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Henri LACORDAIRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE prince polonais de X..., incrédule, matérialiste avoué, venait de composer un ouvrage contre l’immortalité de l’âme ; il était même sur le point de le livrer à l’impression quand, se promenant un jour dans son parc, une femme toute en larmes se jette à ses pieds, et lui dit avec l’accent d’une profonde douleur : « Mon bon prince, mon mari vient de mourir. En ce moment son âme est peut-être dans le Purgatoire ; il souffre... Je suis dans une telle indigence que je n’ai pas même la petite somme qu’il faudrait pour demander la messe des défunts. Que votre bonté daigne me venir en aide en faveur de mon pauvre mari. »

Quoique le gentilhomme se tînt pour convaincu que cette femme était abusée par sa crédulité, il n’eut pas le courage de la repousser. Une pièce d’or se rencontre sous sa main, il la lui donne, et l’heureuse femme de courir à l’église et de prier le prêtre d’offrir quelques messes pour son mari.

Cinq jours après, vers le soir, le prince, retiré, enfermé dans son cabinet, relisait son manuscrit et retouchait quelques détails quand, levant les yeux, il vit à deux pas de lui un homme vêtu comme les paysans de la contrée. « Prince, lui dit l’inconnu, je viens vous remercier. Je suis le mari de cette pauvre femme qui vous suppliait, il y a peu de jours, de lui faire l’aumône, afin de pouvoir célébrer la sainte messe pour le repos de mon âme. Votre charité a été agréable à Dieu ; c’est lui qui m’a permis de venir vous remercier. »

Ces paroles dites, le paysan polonais disparut comme une ombre. L’émotion du prince fut indicible et eut pour lui ce résultat qu’il mit au feu son ouvrage ; il se rendit si bien à la vérité que sa conversion fut éclatante et persévéra jusqu’à sa mort.

 

 

Père Henri LACORDAIRE,

Discours prononcés à Sorèze, 1862.

 

 

 

 

 

 

 

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