La fileuse à la fenêtre



                                I

C’était là que, le front tout nimbé de lumière,
Cependant que le lin séchait aux soliveaux,
Elle filait, filait ses écheveaux,
Mon aïeule, la belle et robuste fermière.

C’était dans l’embrasure du châssis
Qui donne sur la route attirante et lointaine,
Bordée à l’infini de charmille hautaine,
Et dans la chaise où tant des miens se sont assis,

Qu’elle filait. Au sein de la maison rustique
Elle régnait. Son front s’auréolait de jour,
Et son visage avait des rayons tout autour,
Comme les fronts de saints dans un vitrail antique...

L’amour fait les fronts radieux.
Plus blanche que la laine en sa pâleur dormante,
Plus douce que le lin était son âme aimante,
Et des flammes d’orgueil palpitaient dans ses yeux...

Comme la femme dont nous parle l’Évangile,
Elle semait du lin, élevait des brebis,
Fauchait les épis mûrs et cousait des habits,
Et le rouet tournait sous sa main très agile...

Et des enfants nombreux jouaient à ses côtés,
– Robustesse de fils, grâce blonde de fille –
Elle était jeune femme et mère de famille ;
Comme une vigne rose où croissent les étés !


                                II

Et la fileuse ancienne
– Rou, rou, filons la laine ! –
Disait à son rouet :
« Voici le jour, n’es-tu pas prêt
« – Rou, rou, rou, rou, filons la laine! –

« Dans un grand chemin non battu,
« Où l’hiver grondera peut-être,
« Mon homme ira bûcher le hêtre :
« Il faudra qu’il soit bien vêtu...

« Déjà l’automne à perdre haleine
« – Rou, rou, filons la laine ! –
« Souffle sur le champ refroidi,
« Et le vieux sol est engourdi...
« – Rou, rou, rou, rou, filons la laine ! –

« Hélas ! entends-tu par moments
« Grincer les portes de l’étable,
« Et le nordais si redoutable
« Courir dans les ravalements ?...

« La neige couvrira la plaine,
« – Rou, rou, filons la laine ! –
« Bientôt nos toits deviendront blancs,
« Et les troupeaux seront tremblants.
« – Rou, rou, rou, rou, filons la laine ! –

« Déjà le ciel s’endeuille un peu.
« Voici la saison des veillées,
« Des écheveaux, des quenouillées,
« Et des longs soirs auprès du feu...

« Mais de bonheur mon âme est pleine,
« – Rou, rou, filons la laine ! –
« Mon bien-aimé m’aime toujours ;
« Comme autrefois sont nos amours...
« – Rou, rou, rou, rou, filons la laine ! –

« En ce moment il est là-bas,
« Aux champs où l’orge est entassée,
« Mais vers moi s’en vient sa pensée,
« Et mon coeur me parle tout bas...

« Et, pour me payer de ma peine,
« – Rou, rou, filons la laine ! –
« Ce soir il mettra sur mon front
«Un baiser joyeux et profond...
« – Rou, rou, rou, rou, filons la laine ! »


                                III

Mais un jour la mort apparut,
Entr’ouvrant son aile glacée ;
La fileuse ancienne mourut,
L’écheveau tomba de sa main lassée...

Et le rouet abandonné,
Depuis lors immobile
N’a plus tourné
Sous la main habile.

Car celle qui l’aimait, jadis,
L’aïeule aux doigts tendres et lestes,
S’en est allée au paradis
Tourner les quenouilles célestes...

Les saints anges – esprits subtils –
Surent bientôt la reconnaître.
« – Souvent, bien souvent, dirent-ils,
« Nous l’avons vue à sa fenêtre.

« Elle filait soir et matin...
« Que son geste était doux et sa grâce posée !
« Que nous aimions, à l’heure où le soleil s’éteint,
« Écouter la chanson de sa blonde fusée ! »

Et la Vierge dit à son tour :
« – J’aimais cette fileuse ancienne.
« Je l’aimais pour l’amour
« Dont sa vie était pleine...

« Le bruit de ses fuseaux
« Et de sa quenouillée
« Montait, comme des voix d’oiseaux
« Sous la feuillée... »

Et la Vierge dit doucement:
« – Toi qui filas si tendrement
« Des habits et des langes,
« Viens filer éternellement
« Pour habiller les anges !... »

Et maintenant, assise en la clarté du ciel,
Dans les rayonnements du matin éternel,
Elle file le lin d’une divine toile
Sur un rouet que Dieu fit avec une étoile...



Blanche LAMONTAGNE.






 

 

 

 

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