La maisonnette sur la colline

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE-BEAUREGARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je sais une maisonnette, là-bas, sur la colline.

L’ombre des peupliers la recouvre, la paix l’enveloppe, le silence l’entoure, et le bonheur la remplit... Elle est un nid humain à l’abri des souffles terrestres. Elle donne l’idée de la douceur et de l’amour. Un homme, une femme et des enfants l’habitent. Je ne la revois jamais sans songer à leur histoire simple et belle, une histoire de colon comme il y en a beaucoup dans notre pays, mais que nous n’avons jamais remarquées, une histoire d’habitant qui devrait être écrite en lettres d’or sur les murs de nos écoles, et que nos enfants devraient apprendre par cœur. C’est une histoire humble et sublime, inconnue et vivante, une histoire inépuisable de grandeur et de fécondité, c’est l’histoire des histoires : une vie de défricheur.

Je sais une maisonnette, là-bas, sur la colline... L’homme et la femme qui l’habitent étaient autrefois un jeune homme et une jeune fille qui s’aimaient. Nés tous deux de parents pauvres, ils n’avaient aucun avoir ni l’un ni l’autre. Mais ils s’aimaient. Ils s’étaient vus dans les champs, par les jours de moissons : leurs yeux s’étaient rencontrés et leurs cœurs s’étaient compris. Ils se promirent de s’aimer toujours. Que ne possède-t-on pas quand on aime ? Que n’entreprend-on pas par l’amour ? Ils se marièrent et firent des noces. Je m’étais cachée parmi les invités pour regarder danser, mais je ne regardais pas la danse. Je ne pouvais détacher mes yeux de ce jeune couple qui était presque un couple d’enfants. « Que vont-ils devenir ? Comment vont-ils faire pour vivre ? » me disais-je intérieurement. J’étais joyeuse et inquiète devant eux. J’entendis quelqu’un dire : « C’est une fille hardie ; il n’a pas même une terre en bois debout ! » Et je les plaignais, je croyais qu’ils allaient beaucoup pâtir, que la misère viendrait frapper à leur porte, et je tremblais à les voir si frêles et si jeunes. Mais je n’avais pas vu la flamme de leurs yeux, et deviné le rêve de leurs âmes. Je ne savais pas que la sainte ambition des ancêtres devait renaître en eux, et que, de nouveau, par ce jeune couple, l’histoire des aïeux allait se renouveler...

Je sais une maisonnette, là-bas, sur la colline... D’abord, ils vécurent chez son père à lui. Mais il s’était dit qu’il aurait une maison et une terre. Il s’empara d’un morceau de forêt, en abattit les grands arbres, fit brûler ce qui restait de troncs et de branches, enleva les souches, laboura avec peine ce sol nu et sema à larges mains, la joie au cœur. Que de travail et de patience ! Cependant, d’une année à l’autre, le domaine s’élargissait. Ici un peu de seigle, là un peu de blé, plus loin un peu d’avoine. Enfin, il devenait l’habitant qu’il avait rêvé d’être. Il eut plusieurs chevaux, des vaches à lait bien en ordre, et de beaux troupeaux de moutons qui paissaient, tranquilles, dans la prairie. Et plus tard, il se bâtit cette petite maisonnette, perchée sur la montagne, au milieu de ses champs. Comme c’est joli à voir cette blanche habitation dans la lumière du matin ! On dirait la retraite d’un savant, loin du monde, ou d’un poète, près du ciel... C’est la retraite d’un colon. Mais un colon est un savant aussi et un poète... C’est un savant qui comprend le mystère sans l’approfondir, un poète qui, sans le savoir, crée la poésie et la beauté.

Je sais une maisonnette, là-bas, sur la colline... Sa lampe vigilante s’allume chaque soir. Sa lueur s’étend sur les moissons neuves, comme un phare sur la mer... Son toit fume doucement... Sa légère fumée se dresse au-dessus des peupliers et des collines parfumées. Et cette fumée blanche qui monte sans bruit et qui renaît toujours est l’image de ces humbles que nul, ici-bas, ne remarque, mais dont la trace demeure, et dont l’œuvre s’éternise...

Le soir, quand les bruits s’éteignent et que les lampes s’allument, quand les êtres mystérieux se lèvent, et que l’esprit du passé rôde sur les ailes de la nuit, à l’heure où le vol des âmes commence autour des maisons bien-aimées, je crois voir l’âme des premiers colons, les fondateurs et les martyrs, entourer, là-bas, la maisonnette sur la colline !...

 

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE-BEAUREGARD,

Récits et Légendes, Beauchemin, 1922.