La douloureuse Nativité
Et volucres habitant in ramis.
S. Matthieu, XIII, 32.
C’est la dernière heure de la dernière nuit blanche que Jésus passe au sein maternel. Il baigne encore dans les eaux de l’humilité et de l’ensevelissement, mais elles lui sont moins amères que toute lie audacieusement exhaussée par quelque haineuse dérision.
Autour de ces eaux où déjà Marie nous délave de notre boue ; autour de ce lac pur qui contient un Dieu trinitaire trois fois replié sur lui-même, commence une chair immaculée, une terre sainte circonscrite par le silence.
C’est bientôt fini « de paître entre les lis », de se nourrir de ce froment intact ; c’est le moment du face à face humain où Marie prendra ravissement, et l’incrédule, scandale. Déjà s’ouvrent les quatre cieux ; déjà se lèvent les neuf portes des chœurs angéliques, car pour la première fois, la lumière d’en haut recevra sa splendeur de la lumière d’en bas. Déjà une musique murmure : « Lève-toi, ma Belle, voici le Bien-Aimé... »
– Ah ! vous croyez que c’est facile d’enfanter la vie, d’être une goutte d’eau et de répandre la mer ! Vous croyez donc que c’est sans douleur qu’on arrache son âme de son âme juste au moment où l’étreinte consomme une double croissance d’amour ; car moi, Femme, ce que j’ai donné en chair, je l’ai reçu en Esprit, et chaque jour, Il m’est plus intime !
Marie agonise seule. Son corps ne sera pas plus froissé que le roseau, quand la marée s’en sépare, mais son cœur subit la distension de la rupture. Le Verbe a pris chair en elle et il a tout pris d’elle. Il s’est non pas enraciné en elle, mais identifié à elle. Il tire sur elle, et de tous les points de son être elle le sent partir pour sa course sauvage de géant...
Il reste cette heure de l’effort, ce consentement à ce que la Vigne paraisse et mûrisse la grappe pourpre de la Passion. Et Marie ne sera plus le vase clos, mais le lieu ravagé où se rencontrent le Vin et la soif ; aux yeux des hommes, moins encore, la colonne cachée qui soutient et livre la treille...
Voilà pourquoi, à cet instant de ténèbre, Marie s’agenouille sur la pierre pour céder ce double Cœur qu’elle contraignait de ses deux mains ; elle étend les bras vers les horizons terrestres et appelle le Sauveur.
Et Jésus, voyant ces bras étendus, ces rameaux où descendent des millions d’oiseaux plus étincelants que toutes les neigées des neiges et des astres, Jésus, sentant que Marie a relâché toutes les fibres maternelles, naît silencieusement au pied de cette croix vivante...
Rina LASNIER, Miroirs.