Agar et Ismaël
Dans ton calme désert, antique Bersabée,
Sur ton sable brûlant où, comme une flambée,
Court la lumière d’or d’un soleil radieux,
Passe une femme en pleurs. Nul chant mélodieux
Pour tromper ses regrets ne s’élève autour d’elle.
Le fauve fuit ces lieux sans vie. À tire-d’aile
Sous le ciel en torpeur s’envolent les oiseaux :
Là jamais nul n’entend le gazouillis des eaux.
Une femme, pleurant, chemine à l’aventure.
Une écharpe de lin s’enroule à sa ceinture,
Et ses beaux cheveux noirs, qui furent son orgueil,
Jettent sur son épaule un long voile de deuil.
Un enfant suit ses pas. Il est pur comme l’ange,
Et dans son œil rêveur on surprend un mélange
De souffrance et d’amour. Ils marchent les pieds nus.
Exilés, ils s’en vont vers des lieux inconnus.
Dans le sable léger leurs pieds s’impriment sombres;
En l’immensité claire ils paraissent des ombres.
Au vallon de Mambré disant un triste adieu,
Tous deux ils sont partis sous le regard de Dieu.
Agar de temps en temps s’arrête, haletante,
Pour voir, à l’horizon, luire la blanche tente
De son seigneur Abram, le patriarche aimé.
Soumise, elle n’a point contre lui blasphémé
Lorsque, pour obéir à Saraï jalouse,
Il l’a chassée encore, elle, la jeune épouse.
Mais le vieillard pleurait en montrant les déserts ;
Et ses yeux, s’élevant vers le plus haut des airs,
Comme pour y chercher le Dieu des agonies,
Sur le front d’Ismaël il mit ses mains bénies.
La tente est disparue aux horizons lointains ;
Les pas des exilés semblent plus incertains,
Le désert, plus profond. Quand sonne une heure amère
Le bonheur qui n’est plus apparaît éphémère,
Le malheur qui commence apparaît éternel.
L’enfant est fatigué. Sur le cœur maternel
Il repose son front que dévore la fièvre.
Il a soif. La souffrance a fait pâlir sa lèvre,
Et sa bouche s’entr’ouvre ainsi qu’un lis. Agar
L’enveloppe longtemps d’un triste et doux regard,
Et son âme s’emplit d’une mortelle angoisse.
Un jour, au puits de Sur, un ange dit : Qu’il croisse,
Un peuple sortira de lui qui sera grand...
Et dès son premier âge, hélas ! la mort le prend,
S’écrie en sa douleur la mère stupéfaite.
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– Sara la vieille épouse, Abraham le prophète
Pouvaient, dit-elle encor, le garder auprès d’eux,
Et me rejeter seule en ce désert hideux ;
Mais non, jusqu’à la lie il faut boire la coupe.
Comme un grand parasol un arbre se découpe ;
Il se découpe noir sur la molle blancheur
Du ciel de l’Orient. C’est l’ombre, la fraîcheur.
L’eau coule là peut-être... Oh ! s’ils pouvaient l’atteindre !
Une goutte d’eau vive, et le feu va s’éteindre
Sur le front embrasé de l’enfant...
Au soleil,
Le désert brille plus qu’un océan vermeil,
Et les pieds des proscrits foulent des étincelles.
L’arbre semble un oiseau qui va ployer ses ailes.
Oh ! s’ils pouvaient l’atteindre et sous ses grands rameaux
Dormir, longtemps dormir, pour oublier leurs maux !
Elle pleure toujours, la belle Égyptienne,
Et la main d’Ismaël brûle et tremble en la sienne.
Où vont-ils ? Qui pourra, s’ils meurent, les trouver ?
L’enfant tombe souvent. Il ne peut achever
Sous l’implacable ciel sa longue course. Il râle
Et sa débile main cherche sa lèvre pâle,
Comme pour étouffer ce bruit qui lui fait peur.
Agar est, par instant, plongée en la stupeur,
Et, par instant, ses cris navrent la solitude...
Mais voilà que soudain, trompant sa lassitude,
Elle prend dans ses bras l’enfant qui va périr
Et, regardant au loin, afin de mieux courir,
Le palmier qui s’estompe au fond du ciel de flamme,
Elle s’élance.
Enfin, le désespoir dans l’âme,
Le regard obscurci par un sanglant rideau,
Sous l’arbre elle s’affaisse avec son doux fardeau.
Mais elle se relève. Il faut qu’Ismaël vive !
Il est peut-être ici quelque source d’eau vive.
Elle cherche au hasard. Le sol est desséché.
Il est partout maudit comme un lieu de péché.
Et le jeune Ismaël se tord dans le supplice.
– C’est Sara qui le tue et le ciel est complice,
Pense la pauvre mère.
Et plus rien ne défend
Contre le sort fatal le malheureux enfant.
Il paraît expirer sous l’ardente torture.
– Mon cœur s’est affermi, Seigneur, dans la droiture,
Prends pitié de mon fils et viens le secourir !
Que je meure plutôt que de le voir mourir !
Dit-elle encor.
Et puis, dans sa désespérance,
Pour n’être pas témoin de l’horrible souffrance
Et de la triste mort du fils qu’elle aime tant,
Elle s’éloigne un peu. Mais alors elle entend,
Plus fort que ses sanglots, un langage céleste :
– Agar, que fais-tu là ? Ne crains pas, Dieu te reste.
La plainte d’Ismaël a monté jusqu’aux cieux.
Agar se dresse, écoute et promène, anxieux,
Ses yeux gonflés de pleurs sur l’immensité fauve.
Soudain elle s’écrie :
– Oui, c’est Dieu qui nous sauve !
Je vois le puits limpide où boira le mourant !...
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Puissant fut Ismaël au désert de Pharan.
Pamphile LEMAY.