Mariette

 

CONTE DE NOËL

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Pamphile LEMAY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faisait froid. La neige des chemins criait sous l’acier des traîneaux. Les prés et les collines resplendissaient dans leurs blanches draperies, et les sapins sombres, chargés de brillants flocons, inclinaient vers le sol leurs rameaux pesants.

C’était la veille de Noël. La terre allait tressaillir et les anges allaient chanter, comme il y a dix-neuf siècles.

« Gloria in excelsis Deo. »

Mais seuls les petits et les humbles, comme alors peut-être, pourraient entendre le céleste cantique.

Il semble qu’à cette heure solennelle un doux effluve d’amour se répand dans les airs. Les fronts se relèvent, les courages se raffermissent, l’espérance rafraîchit, comme une ondée bienfaisante, les cœurs meurtris. Et pourtant il se trouve encore des âmes qui souffrent et des lits de douleur où la vie agonise.

Là-bas, dans la maison de madame Verchamp, une veuve très estimée, dormait, sur un lit tout blanc, une jeune fille malade. Elle dormait, et un songe agréable la visitait sans doute en ce moment, car malgré sa souffrance, elle souriait. Elle revivait peut-être un beau jour perdu, comme cela arrive parfois dans le sommeil.

Elle était amaigrie, et la pâleur de ses joues faisait ressortir son grand œil noir plein de tristesse. Près d’elle, sa mère pleurait.

Sa mère pleurait, et en essuyant ses larmes du coin de son tablier, elle pensait :

Pourquoi l’a-t-elle tant aimée ?...

Soudain la porte s’ouvrit. Elle vit entrer deux hommes. Elle ne les reconnut pas d’abord, à cause des grandes capotes qui les enveloppaient, et des collets de fourrure qui leur montaient jusqu’aux yeux. Elle tressaillit cependant, et s’avança au devant d’eux.

 

*   *   *

 

Trois ans auparavant, un soir de la fenaison, Mariette, la jeune malade d’aujourd’hui, revenait au fenil sur un chariot de foin. Enfoncée dans le trèfle et le mil comme dans un nid, elle se laissait bercer au cahotage des roues, et chantait, de sa voix douce et quelque peu plaintive, une chansonnette gracieuse dans sa forme et sage dans son enseignement :

 

            La fleur de la charmille,

            La fleur de la famille,

            Ont un destin commun,

            Lorsque les mains les cueillent,

            L’une et l’autre s’effeuillent

            Et perdent leur parfum...

            

            Petite rose blanche,

            Reste donc à la branche

            Dont la sève nourrit,

            Petite fille chère,

            Reste donc à ta mère

            Dont l’amour te sourit.

 

Octave Desruisseaux, qui traversait le clos voisin, la faux sur l’épaule, l’entendit et fut charmé. Il ne la connaissait point. Il devina qu’elle était belle et se prit à l’aimer, sans se demander s’il ne courait pas au désenchantement. Il était jeune, d’humeur agréable, bien découplé, laborieux, avec cela il serait bien maladroit s’il ne réussissait pas à décrocher un bon petit cœur. Cela ne tient pas tant après tout.

Il était de Sainte-Croix. Victor Poudrier l’avait fait venir pour les foins et les récoltes, car il passait pour vaillant. Sa faux allongeait de fiers andains, et son « javelier » couchait d’épaisses javelles, depuis les heures fraîches du matin jusqu’aux ombres de la soirée.

Un dimanche, la jeunesse se réunit, après le repas du soir, chez Marcelin Thiboutot, le forgeron, pas loin de la côte de sable. Octave et Mariette se virent et s’aimèrent. Ils gardèrent leur secret cependant.

Le lendemain, Mariette alla au champ pour faner le foin nouveau. Le soleil rayonnait et donnait aux clôtures grises une apparence de cadre lumineux. Un large chapeau de paille protégeait contre les rayons trop chauds sa jolie figure. Car elle était jolie, Mariette. Un mince fichu de mousseline se tordait négligemment sur sa gorge un peu brunie. Elle tenait une fourche de saule et jetait dans l’air pur les bribes perlées de la dernière chanson du village. De tempe à autre, ses regards curieux se promenaient sur le pré voisin. Une pensée douce l’obsédait. Elle éprouvait les délices du réveil de l’amour, et trouvait à aimer un bonheur inexprimable.

Tout à coup elle aperçut un jeune faucheur courbé sur la prairie, et elle sentit son cœur se serrer et sa joue rougir. C’était lui. Quand elle fut plus près, elle vit, comme un serpent de feu, la faux luisante s’enfoncer dans l’herbe, et elle entendit, comme un chant d’amour, le crissement de l’acier qui montait du clos, par intervalles courts et mesurés.

Le faucheur ne la devina point.

Un peu plus tard, il suspendit son travail et marcha vers l’endroit où il avait déposé sa pierre à aiguiser. Plusieurs jeunes filles fanaient dans les alentours, en criant des choses gaies, et en jetant des éclats de rire. Il chercha à les reconnaître, mais il n’y parvint guère, à cause des larges bords de leurs chapeaux. Il se tourna vers le clos de la veuve Verchamp. Mariette paraissait absorbée dans sa tâche. Il aurait bien voulu qu’elle regardât de son côté. Il prit la pierre qui trempait dans un vase plein d’eau, et leva sa faux devant lui. La lame décrivait une courbe étincelante comme un nimbe vis-à-vis son front trempé de sueurs. La pierre mordit l’acier. D’autres faucheurs aussi affilèrent leurs outils, et ce fut comme un clair retentissement de cymbales dans l’air sonore. Les jeunes filles levèrent la tête, et les fourches restèrent piquées dans le foin parfumé. Les cigales, cachées dans le feuillage des grands arbres, jetèrent comme des fusées leurs trilles vibrants. Des oiseaux, entraînés par le plaisir, se mirent à voltiger d’une aile folle, en éparpillant de joyeuses notes... Et des rires s’égrenaient de toute part. Jamais fête plus belle n’avait fait tressaillir ces champs tant de fois moissonnés.

Faucheurs et faneuses reprirent leur travail. D’un bras infatigable, Octave Desruisseaux couchait les andains pleins d’arôme, mais son esprit hantait le clos voisin.

Les pensées des jeunes amoureux se fondaient mystérieusement. Dans l’après-midi, les faneuses quittèrent leurs fourches et s’armèrent du râteau. Le foin séché par l’ardeur du soleil fut amassé, lié avec des harts de coudrier, et transporté sur les fenils.

Octave et Mariette se rencontrèrent et se sourirent.

Le lendemain, ils causèrent quelques instants à l’ombre d’un cenellier touffu, sur le bord de la route. La tendre liaison se fortifia de plus en plus.

 

*   *   *

 

On parlait dès lors de la grande république américaine, et nos campagnes se dépeuplaient. Jeunes gens et jeunes filles, pères, mères et vieillards se levaient de partout et prenaient le chemin de la terre étrangère. Quelques-uns revenaient ; la plupart renonçaient volontiers, sur le sol de la liberté, aux durs labeurs du défrichement et au pain noir de la patrie.

Hélas ! nous oublions trop facilement que la vie est un temps d’épreuve et la terre, une arène où la lutte est sans merci.

L’homme ne peut naître cependant pour une destinée qu’il ne saurait atteindre.

Nous devons donc espérer une autre existence plus parfaite en sortant de ce monde. S’il n’en était ainsi, Dieu aurait fait une œuvre monstrueuse en nous créant.

En effet, j’ai soif de bonheur et le bonheur est un rêve que je poursuis en vain ! J’ai faim de plaisirs, et les plaisirs me fatiguent et m’épuisent ! Je veux la paix, et je suis en butte à mille tracasseries ! Je cherche l’amour, et je suis dédaigné ou trahi ! Les voluptés qui m’enivrent un moment ne me laissent que des remords et des regrets !

Si j’arrive aux honneurs, la calomnie me mord et l’envie travaille à ma ruine. Si je prie avec humilité, je suis un hypocrite, et si j’entre dans l’église la tête haute, je suis un impie ! Mon champ est semblable à une nappe d’or, et les pluies tombent par torrents pour détruire mes moissons. Mes biens sont considérables, et des procès ruineux ou des malheurs inévitables me les enlèvent ! Ma santé est florissante, et voilà qu’au sortir d’une fête un souffle glacé me flétrit. Une chute de voiture, et je suis brisé. Un naufrage, et me voilà enseveli dans les flots ! J’ai une femme que j’adore, des enfants qui font ma joie, et voici que ma porte s’ouvre pour laisser passer des tombes !

Des espoirs envolés, des plaisirs fugitifs, des consolations éphémères, un travail pénible, des inquiétudes, des soucis, la maladie, l’oubli, l’indifférence, les morsures de l’envie, la crainte de la misère, les revers, les infirmités, l’énergie qui s’émousse, la mémoire qui s’en va, l’œil qui s’éteint, l’oreille qui se ferme, l’esprit qui se refroidit, le corps qui s’affaisse, voilà la vie !

Et c’est pour cela que l’homme serait fait ? Absurdité !

Si encore il n’y avait que quelques malheureux, on pourrait croire à un accident. Mais la désolation est universelle ; la douleur est de tous les temps et de tous les lieux ; la souffrance est de tous les âges !...

Alors ?

Alors, cette vie est une épreuve, et il y en a une autre.

Alors, restez où vous êtes et accomplissez votre œuvre en hommes et en chrétiens. Restez dans votre patrie surtout, car la patrie doit être pour ses enfants le meilleur et le plus beau pays du monde.

 

*   *   *

 

Les travaux de la ferme terminés, Octave Desruisseaux ne trouvait, chez les cultivateurs, qu’un salaire fort modique, et cela le contrariait d’autant plus que l’ambition se réveillait avec l’amour dans son cœur de vingt ans.

Il prêta l’oreille aux récits un peu fantaisistes de ses aînés, qui revenaient au pays vêtus de noir, gantés de chamois, le chapeau de soie sur l’oreille, et la breloque dorée sur le gousset. Il se laissa convaincre et partit.

Mariette pleura beaucoup. Rien de désolant comme la pensée de ne plus voir une personne que l’on aime. L’âme se sent tomber dans un vide froid, et elle se replie sur elle-même comme ces fleurs sensibles qui se ferment à l’approche de la nuit. Elle pleura beaucoup. L’amour ne brûlait pas ses veines, mais il réchauffait son cœur et donnait des ailes à sa pensée. Il l’emportait en des régions inconnues, et le transport suave qui l’agitait semblait la rapprocher de Dieu. C’est ainsi que la femme commence toujours par aimer ; c’est ainsi, souvent, qu’elle continue à aimer ; c’est dans cet amour demeuré pur en sa source, qu’elle trouve, plus tard, sa puissance irrésistible, son dévouement sans borne, et son étonnant mépris de la souffrance.

Octave Desruisseaux demanda de l’emploi dans une fabrique de cotonnade. Il devint bientôt une machine habile, parmi toutes les machines aveugles ou intelligentes qui font, au profit de quelques-uns, suinter la richesse par tous les ais des immenses ateliers. La vie au grand air de la liberté, loin de toute protection et de toute contrainte, le grisa peu à peu, et rien ne lui parut beau comme le ciel étranger.

Il écrivait à la bonne Mariette et lui peignait son existence nouvelle : ses journées ardues, ses soirées amusantes. Il lui parlait de ses promenades dans les jardins publics ; des bals où les violons faisaient sauter la libre jeunesse ; des théâtres pleins de rires ou de larmes ; des cirques peuplés de clowns et de félines amazones.

Il jurait bien qu’il l’aimait toujours et n’aimerait jamais qu’elle. Cependant à la lecture de ces choses, une angoisse étrange serrait l’âme de la pauvre enfant, et un soupçon douloureux troublait sa quiétude.

 

*   *   *

 

Une année s’écoula, une année mauvaise. Les semailles avaient été tardives à cause des pluies de mai, et les moissons n’avaient pas rempli les greniers. Alors, déduit par les images riantes que faisaient passer devant ses yeux les lettres de son ami ; désireux surtout d’améliorer le sort de sa famille, Pierre Verchamp, le frère de Mariette, alla rejoindre Desruisseaux, aux métiers des grandes fabriques.

Tristes furent les jours qui suivirent le départ du frère de Mariette.

L’hiver passa avec ses tourbillons de neiges, ses froids vifs, ses nuits étoilées ; le printemps rendit aux champs leur verdure, aux bois leurs feuillages, aux ruisseaux leurs murmures ; l’été ramena les oiseaux à leurs nids et les fleurs aux arbustes, mais le chagrin des pauvres femmes ne passa point, et rien ne ramena auprès d’elles les deux êtres regrettés.

Madame Verchamp ne se laissait pas aller au désespoir cependant. Elle souffrait avec patience, mais sa résignation n’était pas l’affaissement morne des âmes sans espérance. Elle éprouvait les consolations des humbles. Elle conversait avec le ciel. Les orgueilleux se moquent bien de ces relations intimes qui se nouent entre les âmes et Dieu ; et il leur semble que ce Dieu si haut placé serait un mal appris, s’il passait à leur porte pour aller frapper à celle du pauvre.

Il en est ainsi pourtant.

Nul ne peut entendre la voix du Seigneur, ni comprendre les choses de la religion, s’il n’est humble. Mais les épanchements du Sauveur dans les cœurs sont d’une douceur infinie, et rien n’égale la félicité de ceux qui aiment dans la souffrance. Et comment la foi chrétienne aurait-elle pu subjuguer le monde, elle qui n’habite guère que dans les petits et les malheureux, si elle n’apportait avec elle la preuve de sa divinité ?

Pierre écrivait de temps en temps à sa bonne mère. Il lui parlait des travaux de la ferme, de l’étable, de la bergerie, et se montrait fort soucieux. De temps en temps aussi, il lui envoyait le fruit de ses épargnes.

C’était un bon enfant.

Verchamp, père, était mort trop tôt. Il avait eu le temps, cependant, de former au bien sa petite famille. Il n’avait pas laissé de richesses, mais il avait laissé le souvenir de ses bons exemples. Le plus bel héritage qu’un père puisse léguer à ses enfants, c’est l’amour du travail et de la vertu. Il se trouve, cet héritage, à l’abri des vicissitudes de toutes sortes qui troublent le monde, et les calculs mauvais ne sauraient l’entamer. Vous l’emportez avec vous en tous les lieux où vous allez, et loin de vous causer de l’embarras, il vous assure un secours précieux. La crainte de le perdre ne vous fatigue point ; les voleurs n’en connaissent pas le prix et le dédaignent ; chaque jour le voit s’accroître, et vous vous y attachez de plus en plus, sans trouble et sans remords. Le soir venu, vous reposez d’un sommeil paisible, car vous êtes sûr de le retrouver intact à votre réveil.

Mariette ne recevait plus qu’à de longs intervalles les lettres tendres qui seules la consolaient dans ses ennuis. Elle suppliait le ciel de la prendre en pitié, mais le ciel semblait sourd, et le désespoir la tuait lentement. Sa mère voulait la distraire et pleurait avec elle.

Un jour, le médecin fut appelé. Il jugea le cas fort grave. Il se recueillit. Il inventoria ses petits flacons, suspendit sa légère balance, pesa des poudres, ordonna du vin, et sortit sans laisser beaucoup d’espoir à cette maison affligée.

 

*   *   *

 

Noël arrivait avec ses divines consolations et ses hymnes de reconnaissance. Dans toutes les maisons, il se faisait comme un réveil des allégresses passées, et toutes les voix chantaient le mystère adorable.

La malade allait s’affaiblissant toujours, et pour elle les choses de la terre paraissaient finies. Cependant quand sa mère lui dit qu’on était à la veille de la grande fête chrétienne, elle sourit d’un sourire angélique, ouvrit ses grands yeux humides, les referma bientôt, et parut s’endormir dans une vision céleste...

C’est alors que la porte de la maison s’ouvrit, et que deux hommes entrèrent.

Madame Verchamp s’avança au devant d’eux, surprise, agitée. Tout à coup :

– Pierre ! mon Pierre ! s’écria-t-elle, Dieu bon, soyez béni !

À ce cri, la malade sortit de son rêve. Elle vit sa mère, son ami, son frère... Elle entendit des paroles affectueuses. Tout à coup elle se sentit soulevée par une mystérieuse force et se dressa sur sa couche.

L’un des deux jeunes hommes s’approcha du lit :

– Mariette, fit-il ; je reviens pour ne plus te quitter.

 

*   *   *

 

Noël ! Noël !

Partie de l’orient en fleur, au milieu de la nuit profonde, une vague d’amour et de lumière s’est avancée jusqu’à nous !... Elle s’est avancée jusqu’à nous, et nos épaisses neiges et nos vents glacials ne l’ont point refroidie. Elle roule maintenant, pleine de mélodies suaves, vers le couchant qui veille dans l’attente. Sur son passage, tour à tour tressaillent les mers et les rivages, les peuples, tour à tour, se prosternent et adorent !

Noël !

Le ciel est sans nuages, et dans l’azur sombre, parmi les étoiles, la lune promène son croissant orgueilleux. Nul souffle ne berce les rameaux, et des ombres étranges dorment çà et là sur la couche immaculée de la neige.

Noël ! Noël !

Les cloches sonnent à toute volée dans les clochers étincelants, au-dessous des croix de fer qui les surmontent comme des étendards glorieux, et les échos des lointaines collines répètent de plus en plus mollement leurs appels sacrés. Ces voix de l’airain qui montent de partout, graves ou légères, claires ou sonores, enveloppent d’harmonies nos campagnes pieuses et nos villes superbes... La terre, qui porte Dieu fait homme, s’en va chantant dans les espaces infinis, sous les regards des mondes étonnés !

Noël !

Les voitures trottent à la file sur la route d’argent, entre les branches verdoyantes des jeunes sapins, et au cou des chevaux ou sur leur dos, joyeusement résonnent les grelots de cuivre, gaiement « tintinent » les sonnettes éveillées !

Noël ! Noël !

L’église s’illumine... Des reflets clairs, au bercement des lampes, passant comme des ailes d’ange dans la pénombre des arceaux... Les fenêtres jettent des gerbes chaudes sur la neige des toits voisins... Un murmure inaccoutumé s’élève et grandit... La foule se précipite comme un flot puissant !

Noël !

Les banderoles aux vives couleurs tombent gracieusement de la voûte, les cierges s’allument parmi les fleurs, l’encens fume devant l’autel, et le tabernacle adorable disparaît au fond d’une nuée lumineuse !

Noël ! Noël !

L’orgue frémit comme une âme dans l’allégresse, et la nef s’emplit de mélodies saintes. Le prêtre, vêtu d’or, s’avance pour le sacrifice ; les hymnes montent à Dieu, l’assemblée se prosterne !

Noël !

Quand se reposent les chants majestueux de la messe, des voix fraîches redisent les cantiques anciens qui faisaient palpiter nos âmes au matin de la vie, et dont les échos bénis se répercutent, de plus en plus doux, jusqu’en notre vieillesse !

Noël ! Noël !

On revoit toutes les années vécues. Elles défilent comme une procession de berceaux divins où s’éveillent et sourient les espérances et les joies, comme une procession de tombeaux mystérieux où s’endorment les douleurs et les regrets.

Noël !

L’âme, touchée de l’amour de Dieu, pardonne et s’humilie ; l’esprit enivré d’espoir se soumet an mystère ; le cœur se dilate dans l’ivresse d’une volupté divine, et tout l’être, un moment transformé par la grâce, prend son élan vers l’éternelle Vérité !

Noël ! Noël ! Noël !

 

*   *   *

 

Pendant qu’à l’église les fidèles adoraient le Verbe fait homme pour sauver l’homme, la jeune malade s’endormait d’un sommeil calme et prolongé. Tout à coup elle se vit, comme à la Noël dernière, au milieu d’une foule de jeunes personnes qui louaient Dieu par des cantiques. On la pria de chanter. Elle se leva, regarda la crèche misérable où reposait l’Enfant du ciel si longtemps attendu, puis elle commença d’une voix douce comme un soupir de fauvette :

 

            Ô saint berceau qu’environnent les anges...

 

Elle chanta tout le cantique. Sa mère, étonnée, se pencha sur elle et s’aperçut qu’elle dormait.

Alors elle tomba à genoux en pleurant.

Au dernier coup de la messe, un jeune homme était entré dans l’église, marchant d’un pas fier, un sourire dédaigneux sur les lèvres. Il vit ces transports d’allégresse qui remuaient la foule, il entendit ces refrains débordant d’une pieuse affection, ces couplets naïfs qui avaient charmé son enfance. La grâce descendit comme une rosée bienfaisante dans son âme aride. Il pencha la tête et se souvint. Des larmes coulèrent sur ses joues, et il se prosterna.

Quand il fut de retour à la maison, il s’approcha de la jeune malade et lui dit tout ému :

– Mariette, j’ai prié, et je suis heureux.

Mariette sourit, et dans ses beaux yeux presqu’éteints, on vit reluire un rayon nouveau...

C’était la vie qui revenait avec le bonheur.

 

 

Pamphile LEMAY,

Contes vrais, 1907.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net