Le retour
À travers les rameaux d’une forêt aride
Les vents faisaient entendre un plaintif sifflement.
La neige, en tourbillons, tombait d’un ciel livide,
Et les ombres du soir montaient au firmament.
Au bord de la forêt était une chaumière
Au toit garni d’écorce, obscure et triste à voir :
Le jour, quatre carreaux lui donnaient la lumière,
Et la lueur du poêle était sa lampe au soir.
Une femme encor jeune et dont un pâle voile
De tristesse et de peine éclipsait la beauté,
Était assise seule à la porte du poêle
Et filait sa quenouille avec anxiété.
Auprès d’elle un enfant, sur un grabat de mousse,
S’endormait doucement en priant le bon Dieu.
Ernest avait dix ans ; sa parole était douce ;
Il était le meilleur des enfants de ce lieu.
Et puis, de temps en temps, la solitaire femme
Regardait une croix pendant aux murs noircis :
Alors, un long soupir s’échappait de son âme,
Et sur sa main tombait son front plein de soucis.
De temps en temps aussi sa paupière baissée
Laissait couler des pleurs, pleurs, hélas ! superflus !
Elle n’espérait point. D’une voix oppressée
Elle disait : Seigneur, il ne reviendra plus !
Et comme elle priait, unissant sa prière
Au long gémissement des vents impétueux,
Un homme vint frapper à la pauvre chaumière.
Il entra s’appuyant sur un bâton noueux.
Elle trembla de peur, ainsi qu’une colombe
À l’aspect imprévu d’un avide vautour.
« Femme, dit l’étranger, de fatigue je tombe :
Puis-je, ici, du matin attendre le retour ? »
Elle lui répondit : « Le Seigneur me préserve
De rester insensible à la voix du malheur !
Voyageur, assieds-toi ; que Jésus nous conserve !
Qu’il te donne la paix, et calme ma douleur ! »
L’étranger, près du feu, vint s’asseoir sans attendre
De son épaule large un grand manteau tombait,
Son œil, couleur du ciel, était brillant mais tendre,
Et jusque sur son sein sa barbe descendait.
« Femme, votre douleur est-elle sans remède ?
Votre cœur abattu ne peut-il espérer ?
Au temps, vous le savez, toute amertume cède,
Et la mort vient bientôt du deuil nous retirer. »
« Hélas ! reprit la femme, essuyant une larme,
J’ai connu le bonheur et j’ai béni mon sort ;
Mais le jour maintenant pour moi n’a plus de charme,
Je n’aime plus la vie, et pourtant crains la mort !
« Par mon travail pourtant j’éloigne la misère,
Et mon petit Ernest est si beau, si vermeil !
Cet ange, il ne sait pas les larmes que sa mère
Verse pendant qu’il dort d’un paisible sommeil.
« Le pauvre enfant n’a point souvenir de son père,
Car il avait encor pour berceau, mes genoux,
Quand ce père chéri sur la rive étrangère,
Pour conquérir de l’or, s’en alla loin de nous.
« Qu’avions-nous donc besoin de ces richesses vaines,
Nous nous aimions tous deux, et c’était le bonheur !
La pauvreté souvent voit des heures sereines,
Et l’or ne guérit pas les blessures du cœur !
« Ah ! si je le voyais avant que de descendre
Dans le sombre tombeau que m’ouvrent les ennuis !
Mais le ciel à mes vœux refuse de se rendre,
Et les jours ont pour moi plus d’ombre que les nuits ! »
Elle disait ainsi les chagrins de sa vie ;
Et des larmes tombaient des yeux de l’inconnu.
Soudain entre ses bras il s’élance et s’écrie :
« Femme, console-toi, ton époux est venu. »
Pamphile LEMAY.