La prière de la brebis

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Gotthold Ephraim LESSING

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA brebis avait beaucoup à souffrir des mauvais traitements de tous les autres animaux ; elle s’en plaignit à Jupiter, qui l’écouta avec bienveillance et lui dit : « Ma bonne créature, je vois bien que je t’ai créée avec trop peu de défense ; c’est une injustice qu’il faut que je répare. Veux-tu que j’arme tes pieds de griffes, et ta bouche de dents terribles ?

– Oh ! non, dit la brebis, je ne veux pas être semblable aux animaux carnassiers.

– Aimes-tu mieux que je cache un venin subtil sous tes dents ?

– Ah ! reprit la brebis, les bêtes venimeuses sont si détestées !

– Eh bien ! que veux-tu donc ? Je vais attacher des cornes à ton front, et donner à ton cou plus de force.

– Point du tout, père bienfaisant ; je pourrais devenir un animal aussi querelleur que le bouc.

– Cependant si tu veux que les autres n’osent te nuire, il faut que tu puisses nuire toi-même.

– Il faut cela ! dit la brebis en gémissant ; alors, père bienfaisant, laissez-moi telle que je suis ; car le pouvoir de nuire en excite (je crains) le désir, et j’aime mieux souffrir le mal que de le faire. »

Jupiter bénit la bonne brebis, et de ce jour elle oublia de se plaindre.

 

 

 

Gotthold Ephraim LESSING.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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