La dame des eaux

                           ou

           LA TOUR DE CORDOUAN 1

 

 

« DAMOISELLE du haut parage,

« Délivré des fers du soudan,

« Je vous apporte un doux message

« Du beau Lois de Cordouan.

« Si le Seigneur daigne sourire

« Aux vœux d’un amour mutuel ;

« Bientôt vous verrez son navire

« Devant votre antique châtel. »

 

À ces mots, d’Élisène émue

Le front s’est couvert de rougeur :

« Que Dieu bénisse ta venue,

« Pèlerin ; tu ravis mon cœur !

« À la chapelle du rivage

« J’irai, pleine d’un saint transport,

« De la Vierge invoquer l’image,

« Pour qu’un bon vent le mène au port. »

 

Et le lendemain, dès l’aurore,

Élisène était à l’autel.

« Ô Vierge, c’est toi que j’implore !

« Guide la nef du damoisel !

« Naguère dans la Palestine

« Il a combattu pour ton fils :

« Étends sur lui ta main divine,

« Et calme les flots ennemis ! »

 

Mais le jour fuit, la foudre gronde,

Les vents mugissent, et l’éclair

Lui montre une nef vagabonde

Qui roule sur la vaste mer.

Que deviens-tu, triste Élisène,

Quand, à ses rapides lueurs,

Tu vois flotter sur la misaine

L’enseigne où brillent tes couleurs ?

 

Hélas ! vers la dame éperdue

Le bien-aimé tendait les bras,

Lorsque la nef, des flots battue,

Sur les rocs se brise en éclats.

Vainement à l’onde en furie

Il cherche à disputer ses jours ;

Aux yeux d’Élisène qui prie,

La mer l’engloutit pour toujours.

 

Depuis, la Vierge en sa mémoire

Nourrit de profondes douleurs ;

Et seule, dans son oratoire,

Elle n’a de goût qu’à ses pleurs.

Enfin, succombant à sa peine

Et soumise aux décrets du sort,

À ses femmes la châtelaine

Dicta ce testament de mort.

 

« Je veux que sur le roc funeste

« Où mon amant perdit le jour,

« Un phare désormais atteste

« Et son naufrage et mon amour ;

« Je veux qu’au milieu des tourmentes,

« Guidant la nef prête à périr,

« Il préserve d’autres amantes

« Du destin qui me fait mourir.

 

« Là, que ma cendre malheureuse

« Repose au bruit de l’Océan,

« Et que cette tour lumineuse

« Porte le nom de Cordouan ;

« Qu’un prêtre en surveille les flammes

« Avec un soin religieux,

« Et toutes les nuits, pour nos âmes.

« Élève sa prière aux cieux. »

 

Elle mourut bientôt : son ombre,

D’un long voile traînant les plis,

Vint s’assurer, dans la nuit sombre,

Que tous ses vœux étaient remplis.

Souvent, au milieu des orages,

Elle aime à suivre les vaisseaux,

Et les marins de ces parages

La nomment la Dame des Eaux.

 

 

M. LORRANDO.

 

Recueilli dans Tablettes romantiques, 1823.

 

 

 

 

 



1 Une ancienne tradition, qui s’est conservée parmi les habitants du Verdon, dans le Bas-Médoc, a donné l’idée de cette romance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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