Petit Pierre

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

MADELEINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La fusillade faisait rage tout autour de la cave, défoncée par un obus, petit Pierre se tenait agenouillé, priant et pleurant. Il tenait dans ses menottes la main de sa maman frappée par l’obus. Était-elle morte, sa maman, puisqu’elle ne répondait pas aux appels déchirants de son petit ?... L’aurait-elle laissé se débattre ainsi dans l’horreur ? Et l’enfant tenait, plus serrée, la main de la mère. Il n’avait que huit ans, et, depuis deux ans, il avait connu toutes les souffrances, toutes les privations, toutes les terreurs... Il avait vu mourir : tout d’abord le vieux grand-père prophétique qui avait annoncé la victoire, la grande victoire qui vengerait 70 et ramènerait sous le drapeau l’Alsace et la Lorraine ; puis la grand’mère, éteinte un matin que le canon grondait plus fort, et qu’un choc nerveux fit rouler dans la mort ; et les petites sœurs, fragiles et craintives, qui n’avaient pu résister à la terreur et aux mauvais traitements... Petit Pierre resta seul avec la maman, tandis que montait en son âme un besoin de venger toutes ces cruautés qui avaient tué autour de lui ceux qu’il aimait.

Le matin, une animation extraordinaire s’était, aux petites heures, manifestée dans le village envahi. Des soldats farouches et terribles couraient partout, mettant le feu aux maisons, pillant et brûlant tout avec une férocité épouvantable, pointant le gros canon sur les plus hautes maisons qui, d’un bond, s’écroulaient... Puis vint le tour de l’église, la modeste église où, tous ces derniers mois, les malheureux habitants s’étaient longuement agenouillés pour implorer la clémence du Sauveur. La frénésie des soldats se rua à l’assaut du temple qu’ils démolirent du faîte à la base avec une implacable fureur. Les gens affolés couraient à travers l’incendie, criant, appelant, pleurant, tandis que des injures grossières, des mots d’enfer répondaient à leurs lamentations. Les soldats, après avoir réduit en cendres le joli village où, autrefois, fleurissait la richesse de la France, firent la chasse aux humains consternés qui attendaient le trépas, hébétés par tant d’horreurs. Et, à coups de crosse, brutalement, sauvagement ils chassèrent devant eux cette foule horrifiée tournée vers l’exil, tandis que dans le lointain une charge triomphale sonnait, annonçant le retour de l’armée française. Petit Pierre et sa maman s’échappèrent du troupeau et, furtivement, se glissèrent jusqu’à cette cave éventrée en laquelle, au départ, un dernier obus venait d’éclater, tuant une femme, et ne laissant, au milieu des ruines, qu’un tout petit être de huit ans. Et derrière les fuyards qui emportaient, en guise de butin, toute une foule martyrisée, la cavalerie française courait... Elle passa rapide à travers le village, suivie des canons, puis de l’infanterie... marchant vers la victoire, sans s’arrêter. Et Pierrot, médusé, criait sans qu’on l’entendît : « Maman, ce sont eux, ce sont les Français ; maman, c’est papa qui revient ! » Mais la mère ne pouvait plus entendre... Et Pierre, qui pleurait de joie, ne s’apercevait même plus qu’il parlait à une morte. Le dernier rang des soldats s’effaçait, et l’enfant, sorti de la ruine, agitait le petit drapeau français que, durant ces deux années, sa mère lui avait fait porter sur son cœur, comme un scapulaire. Et petit Pierre se vit, tout seul, debout au milieu des décombres et des cendres. Il se tourna vers l’église où sa mère l’amenait tous les jours prier, mais la stupeur le frappa : plus d’église, mais un monceau de pierres et de plâtre. Le pauvre petit se mit à crier. Que l’on eût tout tué, tout ravagé, soit, mais l’église, elle, elle n’avait pas fait de mal à personne. Elle était le refuge, le secours, la consolation, le point lumineux à travers toute cette obscurité. Et l’on avait abattu jusqu’au grand clocher chantaient les voix argentines qui portaient au ciel la prière et la plainte de tout ce pauvre monde ! Et demain c’était Pâques : le jour de la résurrection, le jour de la joie, le jour de l’espoir, le jour où, de Rome, les cloches reviennent... Et comment pourraient-elles vibrer, les cloches, puisque le grand clocher était abattu... Et le pauvre petit pleura et cria sa peine dans le silence de ce désert de ruines et de morts.

Le corps de sa maman froidissait. Petit Pierre en avait tant vu mourir qu’il comprit que tout était fini pour son adorée. Et, au deuil de ses cloches, s’ajoutait cette détresse effroyable d’être le petit enfant qui n’a plus de maman. Sa douleur fut alors tout ce qui vivait dans le petit village de France écroulé sous la malice des hommes.

 

 

MADELEINE, Le meilleur de soi, 1924.

 

 

 

 

 

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