La Providence et le sauvage
ANECDOTE HISTORIQUE
Ô vous, cœurs superbes et vains
Qui dédaignez la commune croyance,
Et qui, sur terre, au sein de l’opulence
Vous croyez des êtres divins,
Que sert-il qu’enflés de science,
Vous sachiez tout ou pensiez tout savoir
Si vous ne savez pas remplir votre devoir
Venez aux genoux d’un sauvage,
Au fond d’une forêt, sur un lointain rivage,
Humilier votre orgueil irrité,
Abjurer votre erreur, votre incrédulité,
Vous souvenir enfin que vous avez un maître
Tout puissant, et dont la bonté
Dans tout son jour à l’instant va paraître.
Mais de notre homme écoutez la leçon :
Bien qu’il n’eût pour toute fortune
Que son arc et son hameçon,
Il bravait de son mieux la misère importune ;
Cependant il était époux,
Il était père, et ce titre si doux
Imposait à son cœur une bien rude tâche ;
Car il fallait giboyer sans relâche
Pour nourrir huit petits marmots !
Mais comme on est, le soir, soulagé de ses maux,
Quand de retour au sein de la famille,
Et chargé d’un riche butin,
Chacun vous entoure et sautille,
Boit et mange, se couche et dort jusqu’au matin !
Tel était de notre homme à peu près le destin ;
Mais un jour, ô chance cruelle !
Il n’attrapa ni goujon ni gazelle,
Rien enfin, comme on dit, à mettre sous la dent ;
Un, deux, trois jours enfin se passent sans pitance ;
Tout autre qu’un sauvage eût perdu patience,
Et cela se conçoit ; mais notre homme prudent
Dit : « Quoi donc ! n’ai-je pas là-haut la Providence ?
« Elle a pu me créer, elle peut me nourrir ! »
Et puis, d’un ton rempli de confiance,
Ainsi commence à discourir :
« Grand Dieu qui nous a mis sur terre,
« Voudrais-tu nous abandonner ?
« Quoi ! quatre jours de jeûne et ne nous rien donner !
« N’est-tu donc plus notre bon père ?
« Cesses-tu de nous gouverner ?
« Ah ! je vois bien que je t’offense,
« Ce sont tous mes péchés qui demandent vengeance,
« Et tu m’en punis par la faim !
« Hélas ! je le mérite bien. Mais vois ces petites victimes,
« Qu’ont-elles fait et par quels crimes
« Méritent-elles de souffrir ?
« Ah ! si tu veux, fais-moi mourir ;
« Mais elles qui n’ont pas demandé l’existence,
« Attendent tes secours bien dus à l’innocence ;
« Donne-leur seulement de quoi faire un repas !
« Mais quoi ! tu ne dis mot, tu ne me réponds pas !
« N’ai-je pas la voix assez forte
« Pour aller jusqu’à toi ? Attends ; je vais crier ! »
– Las ! il a beau s’égosiller,
C’est en vain. – « Ah ! dit-il, tu n’ouvres pas ta porte,
« Et bien ! je vais faire autrement
« Et t’éveiller avec mon instrument ! »
Alors de sa cabane aussitôt il apporte
Un vieux couvercle de chaudron,
Et puis, frappant dessus, vous fait un carillon
Que le diable en eût pris les armes !
Accompagnant ce bruit de plaintes et de larmes,
Ayant toujours le nez en l’air.
À peine eût-il fini l’harmonieux concert,
Qu’il entend quelque bruit à travers le feuillage ;
Un ours énorme était caché dans un bocage,
Et le monstre effrayé de ces aigres accords,
Se dégageant par mille efforts,
Se disposait à fuir ; mais la flèche mortelle
Vole et le chasseur avec elle ;
Toute la maisonnée est bientôt sur ses pas :
« Nous en avons, dit-il, pour au moins vingt repas !
Ah ! bénissons la Providence !
« Voyez-vous, mes enfants, que notre père est bon,
« Lui qui régale ainsi ceux que la confiance
« N’abandonne jamais ; demandons-lui pardon
« D’avoir montré par notre inquiétude
« Que nous doutions un peu de sa sollicitude. »
Il dit, et chacun à genoux,
En son jargon par les noms les plus doux,
Remercia l’Être suprême.
– Eh bien ! ingrats tout remplis de vous-mêmes,
Cette leçon n’est-elle pas pour vous ?
MAGU, Poésies de Magu, tisserand, 1846.