Ristontac

 

CONTE DE NOËL

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Andrée MAILLET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ristontac s’éveilla un beau matin de décembre, sous la tente maternelle toujours enfumée. Il se leva et, pour bien s’aguerrir, courut dans la neige vierge des bois, nu comme une anguille et aussi frétillant.

Il revint au foyer, revêtit l’habit de peau de chevreuil et la ceinture de perles rouges et noires. Sa mère lui tressa en couettes ses cheveux luisants et y planta une superbe plume d’outarde teinte en vermillon. Elle lui donna à manger un morceau d’orignal cuit dans de l’écorce d’érable.

Ristontac lui dit : « Dans dix jours bien longs, le Manitou des Visages-Pâles se fera petit et naîtra dans la grande île d’Hochelaga. »

Son père entra et l’entendit. Il était Ristonwégha, chef et représentant de sa tribu à la confédération iroquoise.

Il dit : « Les français-aux-arcs-tonnants sont de nouveaux ennemis des iroquois vengeurs. Leur Dieu ne viendra que pour exterminer nos guerriers aux cœurs indomptables. »

Ristontac avait huit ans. Il discutait avec son père, d’homme à homme : « Le grand-père-blanc-à-la-robe-noire a dit que son Manitou naîtrait pour tous les iroquois du monde et aussi pour les algonquins, les hurons, les abénaquis et pour toutes les tribus rouges, jaunes, noires et blanches de la terre. Le Doux Manitou Jésus se fera petit enfant. Il descendra dans Ville-Marie par une nuit belle et prochaine. Moi, Ristontac, fils du grand chef Ristonwégha, et de la fière Kouatehwé, irait le voir et lui présenter mes armes. Et je deviendrai invincible comme l’Esprit du Vent. »

Ristonwégha mit sa main droite sur la tête de son fils : « Ton père Ristonwégha part sur l’heure pour la tribu voisine où se tiendra un conseil des tribus confédérées. Ristontac son fils gardera le feu et chassera le castor. Le grand-père-blanc-à-la-robe-noire parle bien mais il ment mieux encore. Son Manitou est hostile à Ristonwégha et à son fils Ristontac, parce qu’ils sont iroquois au cœur farouche incomparablement brave. »

Et il partit avec ses armes et un sac de provisions que sa femme Kouatéhwé lui accrocha au cou.

La journée passa très lentement pour le jeune sauvage. Son cœur débordait d’une foi limpide comme l’eau des fleuves sous la glace bleue.

Le sorcier Waghéhaghéha qui lui enseignait les danses sacrées de la Guerre, de la Mort, de la Victoire, de la Joie, de la Torture et du Festin, le trouva distrait et même récalcitrant.

Pour taquiner son vieux maître, Ristontac faisait à tout propos un geste étrange. Il mettait un genoux en terre et portait la main droite à son front, puis à sa poitrine, puis à l’épaule gauche, et enfin à l’épaule droite, disant : « Ô le plus grand de tous les manitous ! Ô le Chef des manitous ! Fais toi petit pour Ristontac ! Viens à Ristontac ! N’oublie pas Ristontac ! »

Et Waghéhaghéha n’y comprenait rien du tout.

– « Tu es fou comme un chevreuil au printemps ! » lui dit-il sévèrement. « C’est le grand-père-blanc-à-la-robe-noire qui t’enseigna ces gestes ? »

En se taillant une flèche, Ristontac lui répondit : « Oui. »

– « Nous l’avons tué et mangé à la dernière époque des glaces, parce que son peuple nous a trahis. »

– « Peut-être bien », fit tranquillement Ristontac. « Mais le grand-père-blanc mourut en brave. Et quand on lui a coupé les mains, sa barbe de neige n’a pas tremblé. »

– « Tu es un fier iroquois. Oublie tout ce que le grand-père-blanc t’a raconté ! »

Ristontac secoua la tête : « Comment le puis-je ? » demanda-t-il. « J’appartiens maintenant au Dieu Jésus. Le grand-père-blanc-à-la-robe-noire a baigné d’eau mon front altier. Il m’a marqué d’une croix ineffaçable et m’a consacré guerrier de son Dieu. Je suis Jean de Brébeuf Ristontac, fils de Ristonwégha et de Kouatehwé, soldat du Seigneur Crucifié. » Et tournant le dos, il laissa le sorcier fort en colère contre lui.

Au loin, on entendait le chant des chefs délégués qui s’éloignaient de la bourgade. Et le chant ne se perdait pas dans l’azur, mais se répétait de montagne en montagne, et tous ceux qui l’entendaient savaient bien que le chant se répéterait ainsi toujours, de montagne en montagne, jusqu’au dernier chaos.

Ristontac, sous le soleil, imitait distraitement dans la neige des pistes de lièvre, à l’aide d’un bâton à bout rond. Il songeait à la promesse que le grand-père-blanc lui avait faite l’an dernier, de l’amener lui et les autres catéchumènes, à Ville-Marie, pour y entendre la belle messe de minuit.

Et l’idée lui vint que peut-être, en marchant à travers les forêts, vers l’île des français-aux-arcs-tonnants, il arriverait à temps pour la nuit merveilleuse, tout juste à temps pour l’arrivée du Dieu-Petit-et-Pauvre.

Waghéhaghéha, informé par le diable du dessein de Ristontac, s’en fut prévenir Kouatehwé. – « Femme ! Surveille ton petit loup. Son esprit est empoisonné par l’âme du grand-père-blanc, et le mauvais manitou a mis son gros doigt au-dessus de sa tête. »

L’iroquoise effrayée laissa là son ouvrage et courut à la recherche de son enfant.

Il n’était pas très loin et causait avec Adhéwada, un ancien qui enseignait aux jeunes l’art de polir le granit. Il fabriquait également de bons hameçons avec certains os de gibier.

Innocemment, Ristontac le questionnait sur ses voyages, car Adhéwada avait parcouru bien du pays en son bon temps.

« Et dis, vieux sage et ancien brave, tu as vu les îles d’Hochelaga ? »

« Si je les ai vues ! Et si j’y ai pêché ! De l’achigan et du maskinongé, en quantité ! Assez pour charger des sacs hauts comme des huttes et... »

« Et elles sont très loin, dis, les îles d’Hochelaga, vieux père à la mémoire magique ? »

« Oh... pas tellement loin de ce bourg sont les îles dont je parle. À quelques jours, plusieurs nuits. »

À ce moment là, Kouatehwé appela son fils.

« Où sont-elles donc ? » dit vivement Ristontac.

« Par là, jeune renard », lui répondit l’ancien, tandis que ses yeux se plissaient en un sourire malicieux ; et de son menton, il désigna le Sud.

Kouatehwé, surgissant, saisit Ristontac par la tignasse et l’amena chez elle en le gourmandant. Il était l’aîné des fils de Ristonwégha et elle le chérissait parce qu’il était déjà fier et intrépide comme son père, et aussi indépendant d’allure qu’un jeune ouaouaron.

Depuis que le grand-père-blanc-à-la-robe-noire l’avait conquis, le cœur du petit iroquois mystique s’était ouvert à Dieu, et l’amour divin en débordait comme la sève de l’épinette qui craque sous la gelée.

Ce soir-là, il s’enroula dans sa peau d’ours et s’endormit comme d’habitude.

Vers minuit, il ouvrit l’œil, car un ange se tenait devant sa couche.

« Viens », lui dit celui-ci. « La nuit est douce et pâle. Viens avec moi. Je te ferai connaître un jeu magnifique. Le plus beau qui soit. »

Ristontac se leva et se vêtit. Il accrocha à sa ceinture le petit tomahac et le carquois, prit son arc et suivit la nitescente apparition.

L’habit de l’angelet était de feuilles vermeilles. Sa chevelure de soleil couchant coulait sur ses épaules comme une chute d’or. Ses ailes étaient faites du duvet des plus brillants oiseaux, et un bandeau diamanté retenait sur son front une plume blanche et légère comme une flamme.

Il prit Ristontac par la main et l’entraîna dans une course impétueuse. Leurs pas, sur le verglas où se mirait la lune, ne laissaient aucune trace.

Au milieu d’une belle clairière, bordée de bouleaux en colonnades marbrées et de sapins verts hauts comme des tours, l’ange s’arrêta et dit à son compagnon : « Nous voici dans le temple du Seigneur. Agenouille-toi près de moi et prions. » Ce qu’ils firent.

Puis ils se relevèrent, et l’ange enseigna à Ristontac le jeu promis.

Il prit son arc enchanté et ses fines flèches de cristal, translucides et pures comme les glaçons des pruches miroitant aux planètes. Il lança les flèches au firmament et chacune d’elles perçait une étoile qui filait et tombait dans l’espace, telle une reine déchue, laissant derrière elle une longue traînée incandescente.

– « Moi aussi, moi aussi », s’écria Ristontac. « Je veux chasser les étoiles ! »

« Tes flèches terrestres », allégua le page de Dieu, « n’interrompraient point le vol de l’épervier qui se cache dans les nuées avant de fondre sur sa proie. Vois, il ne me reste plus qu’une seule de mes flèches magiques. Prends-là et choisis bien, parmi les lampes célestes, celle qui te conduira où tu veux aller. »

Le jeune iroquois, d’un geste instinctif, porta la main à son front. Il scruta la nue de ses yeux perçants comme ceux d’un aiglon des Rocheuses.

Tout à coup, il pointa vers l’ouest. – « Celle-là ! Celle-là ! Oh, c’est celle-là que j’atteindrai. »

L’ange lui donna ses armes et Ristontac se campa sur ses deux petites jambes et murmura : « Ô doux Manitou Jésus ! Permets à Ristontac d’arrêter la belle étoile. »

Alors l’ange s’approcha de lui et posa ses deux mains sur celles du jeune iroquois, et tous deux s’arc-boutant, muscles tendus, lancèrent la flèche qui partit zouitttt–fuhuhu–avec un sifflement mélodieux.

Ristontac se retourna et se trouva seul. Il vit que l’ange qui avait lancé la flèche avec lui était parti avec la flèche, et que l’ange était la flèche, que l’ange était lui-même en sa Foi, que l’ange était l’Amour, son Amour, et il vit aussi que son cri d’Amour, comme une flèche, avait percé l’espace et arrêté l’étoile des bergers, à l’instant précis où les berges se relevaient tout étonnés et se préparaient à suivre le Signe.

Et Ristontac, sublimisé, se retrouva hors de lui-même, dans le temps et dans l’espace. Il goûta le bien-être des élus.

Puis, son esprit réintégra son corps et il marcha vers le sud, suivant l’étoile et souriant.

Toute la nuit il marcha, la tête au ciel, les yeux pleins de lune. Son cœur battait fort, si fort, joyeux tam-tam, marquant son pas allègre.

Au nord, cependant apparurent d’inquiétants petits nuages que l’astre nocturne bleuissait. Ristontac, pourtant observateur, ne les remarqua pas, occupé qu’il était de sa grande joie.

Au détour d’une piste de chasseurs, un grand orignal se dressa devant lui, dans la pleine gloire de ses bois triomphants.

– « Salut et Paix ! » lui cria l’enfant. « Viendras-tu avec moi adorer mon tendre Seigneur ? »

L’orignal tourna sa tête couronnée, gratta la neige de ses sabots et le suivit.

Quand l’aube perça l’atmosphère opaque, puis les ramures de la forêt, Ristontac marchait encore. Il chantait pour distraire sa faim, et le silence d’hiver et les nids d’absents oiseaux perpétuaient son chant.

Puis il pria. Soudain, un gémissement vint distraire son oraison. La plainte venait d’un fourré voisin, où un blanc coureur des bois avait caché un piège en métal. Ristontac chercha un peu et y découvrit un loup dont le cou était pris dans le cruel collet, et qui devait être là depuis longtemps, à voir sa maigreur et la détresse de ses yeux épouvantés.

– « Oh ! » compatit l’iroquois. « Tu ne resteras pas là, pauvre loup. » Il prit son tomahac et fit si bien qu’il démantibula le ressort du traquenard. – « Va », dit-il. « Vieux loup. Mon Jésus t’aime aussi. »

Le carnassier se releva, et chancela sur ses pattes raidies. Il s’ébroua et secoua son cou que la fourrure, épaisse à cet endroit de son corps, avait un peu protégé. Et faisant demi tour, il s’éloigna de Ristontac puis s’arrêta, se retourna et braqua sur le petit iroquois un regard étrange. C’était une forte bête au poil long, blanc et gris, noir sur les pattes et autour des yeux, de l’espèce la plus féroce des loups des bois.

Ristontac s’agenouilla de nouveau et, fermant les yeux, il reprit sa méditation en s’efforçant de ne pas songer au captif affranchi.

Le loup revint sur ses pas, tourna sept fois autour de l’enfant, le renifla, puis s’assoyant à côté de lui, posa un redoutable museau sur son épaule.

Et Ristontac tout en priant, les yeux fermés bien durs, sourit.

Vers la fin de l’après-midi, un vent glacé parcourut la forêt. Ristontac frissonna.

Au-dessus de lui, les ormes gigantesques, les sapins élancés comme des clochers de basiliques, se tordaient et leur lugubre craquement se mêlait aux lamentations des loups hurlant dans le Grand Nord, accompagné de l’Aquilon en contrebasse.

« Ah ! » regretta Ristontac. « Que n’ai-je apporté ma peau d’ours pour m’enrouler au pied d’un arbre dans la bonne neige. » Il songea à se construire un abri avec des branches, mais à cet endroit, elles étaient toutes trop hautes pour qu’il puisse en couper.

– « Il va neiger », se dit-il. « Je ferais mieux de laisser passer la tempête, sinon, sans l’Étoile, je me perdrai sûrement. »

À sept pieds de lui, l’orignal et le loup attendaient sa décision.

Tout à coup, Ristontac renifla. Une senteur âcre venait de frapper son odorat qu’il avait extrêmement sensible. Il reconnut la promiscuité d’une tanière de renards. Il s’aventura en direction de l’odeur et parvint à un endroit broussailleux qui retentissait de glapissements.

Il buta contre une racine et donna tête la première dans le buisson.

Quand il revint de son ébahissement, il se vit au milieu d’une famille de renards rouges, auprès de laquelle il s’excusa d’une aussi brusque entrée en matière.

– « Le Seigneur soit avec vous. Amis en robe de feu, souffrez que pour la nuit, mon frère loup et moi devenions renards. »

Les maîtres de céans ne firent aucune objection et Ristontac se tapit dans un creux bien chaud, avec le loup à ses pieds, tandis qu’au dehors, le grand ruminant montait la garde.

Puis vint l’aurore et le jour clair. Et d’autres nuits et d’autres jours. Cinq en tout, ni longs, ni courts, seulement des jours et des nuits dans la forêt revêtue de son manteau pailleté lequel, par endroits et sous le soleil, fondait en aiguilles de diamants.

Au bout de ces cinq jours, Ristontac parvint à un lac moyen dont la glace ne lui parut guère solide, mais qu’il fallait pourtant traverser. L’Étoile brillait là-haut et lui faisait, semblait-il, signe d’avancer. Il s’arrêta. L’orignal, le loup, les renards rouges et un jeune lièvre ramassé mourant presque de froid, s’arrêtèrent aussi.

Près de là, un caribou fouillait la neige, y cherchant quelques lichens à brouter.

– « Ô Caribou ! Noble solitaire. Loué soit Qui te créa. Te joindras-tu à nous, grand frère, afin de prier Dieu que l’infime Ristontac puisse traverser ce lac qui n’est que le miroir de l’Azur Infini qui n’est que la couleur que Dieu lui-même revêt pour nos pauvres yeux si faibles ? »

Le caribou était déjà près de lui et, pour toute réponse, plia ses pattes de devant, et Ristontac prenant le lièvre monta sur son cou, et le caribou avec sa charge, suivi de l’orignal, du loup et des renards, traversa le lac dont la glace craqua et se rompit en plusieurs endroits, tour à tour nageant et marchant lentement, ambitieuse caravane lourde d’amour pur comme l’or, et de toutes les vertus embaumés comme l’encens et précieuses comme la myrrhe.

Quand ils furent à la berge, le soir tombait. Une bande de chevreuils se réunit pour les voir passer. Le plus grand d’entre eux décida de suivre les pèlerins et Ristontac le remercia en traçant une croix avec de la neige, entre les bois superbes de la belle bête.

Alors les astres se levèrent et la troupe vaillante, Ristontac en tête, portant sur son poing fermé le petit lièvre qui dormait, suivit le Signe sur le chemin d’argent que traçait la lune à travers les arbres.

Puis il y eut encore des nuits, des jours et une tempête dans laquelle la caravane se serait perdue, sans un lynx qui les guida de ses yeux lumineux.

Enfin, un matin, ce fut la veille de Noël.

Depuis neuf jours, Ristontac suivit de se compagnons, allait sans presque jamais s’arrêter, affrontant le froid.

De temps à autre, pour étancher sa soif, il suçait un glaçon. Mais il était las et avait grand-faim, car dans la forêt il ne trouvait rien d’autre chose à manger que l’écorce des arbres.

Malgré la foi qui le brûlait, il grelottait et son énergie l’abandonnait peu à peu. Parfois, il montait sur le dos de l’orignal et se couchait sur son cou, mais maintenant, il n’avait même plus la force de s’y maintenir.

Il se traînait cependant, accrochant son petit bras presque gelé au col du loup qui le soutenait de son mieux. Lorsque ses pieds mal protégés par des mocassins en lambeaux refusèrent d’avancer plus loin, il se dit qu’il allait mourir.

Tristement, il songea qu’il n’était qu’à quelques heures de Ville-Marie et qu’il ne verrait pas la belle messe de minuit, et il pleura sur son malheur, à genoux, le front appuyé au tronc d’un érable austère.

– « Ah ! Jésus », gémit-il. « Ne m’avais-tu pas promis par la voix du grand-père-blanc-à-la-robe-noire que je te verrais descendre du ciel, pourvu que je t’aime assez. Ne t’ai-je pas, mon manitou Jésus, assez aimé ? Viens alors, envoie ton Esprit au secours de mon amour et je saurai t’aimer tant, que je te forcerai à naître pour moi. Mais, où descendras-tu, ô mon doux petit Dieu ? Je n’ai pas de crèche, ni d’église. »

Alors, il rampa vers un haut sapin aux ramures basses. Dessous, il bâtit avec de la neige, une minuscule chapelle, toute blanche et au-dessus, planta une croix qu’il fabriqua avec deux branchettes, puis, s’éloignant de deux pieds, il resta là, à plat ventre sur le sol glacé, les mains jointes sous son menton, le regard fixé intensément sur l’autel de neige, où il en était sûr, Dieu allait descendre pour lui. rendu ici

Ses lèvres engourdies balbutiaient des prières, des actes de désir si puissants, si puissants que lorsque minuit approcha, une grande clarté illumina la forêt.

L’Étoile s’arrêta au-dessus du haut sapin sous lequel Ristontac priait toujours, entouré de ses amis, l’orignal, le caribou, le chevreuil, les renards, le lièvre et le lynx. Son frère le loup, couché auprès de lui, soufflait doucement dans ses cheveux, comme pour réchauffer sa petite tête.

Puis, à minuit, une lueur merveilleuse emplit la chapelle de neige dont les cristaux étincelèrent comme mille joyaux.

Mais Ristontac ne ferma pas les yeux.

Il vit alors, comme du haut d’une étoile, la scène de Bethléem, telle que nous l’ont rapportée les évangélistes.

L’étable pauvre, le bœuf et l’âne. Le vieillard Joseph, les bergers, leurs moutons et leurs chiens, les Rois Mages et Sages en robes rouges et jaunes brodées d’or et de rubis.

Près de la crèche, la belle Vierge en ses voiles bleus. Dedans la crèche, le petit Dieu.

Autour de Son Sourire de Soleil, des angelots, habillés d’arc-en-ciel, chantaient une berceuse.

– « Ah ! » murmura Ristontac. « Mon Seigneur m’a comblé. Ne me quitte pas. Doux Jésus. Ne laisse pas Ristontac dans le vide de sa vie. Ô petit Dieu... »

Et Jésus l’exauça.

Ristontac coucha son front dans la neige et s’endormit pour toujours, les yeux grands ouverts, les mains jointes à jamais.

L’ange aux étoiles glissa jusqu’à lui sur un rayon de lune, lui prit l’âme et l’emporta au paradis où, depuis cette nuit-là, Ristontac chasse les astres, sous l’Œil paternel du Grand Univers.

 

 

 

Andrée MAILLET.

 

Paru dans Amérique française

en 1948-1949.

 

 

 

 

 

 

 

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