La chanteuse

 

 

La pauvre enfant, le long des pelouses du bois,

Mendiait : elle avait des larmes véritables

Et, d’un air humble et doux, joignant ses petits doigts,

Elle courait après les âmes charitables.

 

De longs cheveux touffus chargeaient son front hâlé,

Ses talons étaient gris de poussière et sa robe

N’était qu’un vieux jupon à sa taille enroulé

Où la nudité maigre à peine se dérobe.

 

Elle allait aux passants, les suivait pas à pas

Et disait, sans changer un mot, la même histoire,

De celles qu’on écoute et que l’on ne croit pas.

Car notre conscience aurait trop peur d’y croire.

 

Elle voulait un sou ; du pain, rien qu’un morceau.

Elle avait, je ne sais dans quelle horrible rue,

Des parents sans travail, des frères au berceau,

La famille du pauvre, à peine secourue.

 

Puis, qu’on donnât ou non, elle essuyait ses pleurs,

Et s’en retournait vite aux gazons pleins de mousse,

S’amusait d’un insecte, épluchait quelques fleurs,

Des taillis printaniers brisait les jeunes pousses,

 

Et chantait. Le soleil riait dans sa chanson.

C’était quelque lambeau des refrains populaires

Et, pareille au linot, de buisson en buisson,

Elle lançait au ciel ses notes les plus claires.

 

Ô souffle des beaux jours, mystérieux pouvoir,

D’un rayon de soleil et d’une fleur éclose ;

Ivresse d’écouter, de sentir et de voir,

Enchantement divin, qui sort de toute chose !

 

L’enfant au renouveau peut-il gémir longtemps ?

Le brin d’herbe l’amuse, et la feuille l’attire.

Sait-on combien de pleurs peut sécher un printemps ?

Et le peu dont le pauvre a besoin pour sourire ?

 

Je la regardais vivre et l’entendais de loin ;

Comme un fardeau que pose un auteur qui s’arrête,

Elle allégeait son cœur, se croyant sans témoin,

Et les senteurs d’avril lui montaient à la tête.

 

Puis bientôt s’éveillant, prise d’un souvenir,

Elle accostait encore les passants, triste et lente ;

Son visage, à l’instant savait se rembrunir,

Et sa voix se traînait et larmoyait, dolente.

 

Mais, quand elle arriva vers moi, tendant la main.

Avec ses yeux mouillés et son air de détresse ;

« Non, lui dis-je, va-t’en et passe ton chemin ;

« Je te suivais ; il faut, pour tromper, plus d’adresse.

 

« Tes parents t’ont montré cette douleur qui ment :

« Tu pleures maintenant, tu chantais tout à l’heure. »

L’enfant leva les yeux et me dit simplement :

« C’est pour moi que je chante et pour eux que je pleure. »

 

 

 

Eugène MANUEL,

Poèmes populaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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