Goutte d’eau
Villers-sur-Mer.
Il pleuvait. Le nuage allait au gouffre amer.
Cent mille gouttes d’eau se noyaient dans la mer,
Et cent mille autres. « Quoi ! mourir et disparaître !
Disaient-elles. Briller dans l’air pour ne plus être !
Chacune, sous le ciel, nous vivions, nous comptions.
Nous ne sommes plus rien de ce que nous étions !
Au sein des flots salés nous voici descendues,
Et toutes dans un même abîme confondues !
Maudite la nature, et maudit son auteur ! »
Une seule, en tombant, bénit le Créateur,
Pauvre goutte modeste et simple : nulle plainte,
Nul effroi de périr ! La loi qui frappe est sainte.
Dieu, là-haut, fut touché de son humilité.
Et, comme elle rentrait dans cette immensité
Où ses sœurs n’étaient plus que des vagues d’orage,
Il la reçut au cœur nacré d’un coquillage :
Il en fit une perle incrustée aux parois,
Pour qu’elle ornât, un jour, la couronne des rois.
Eugène MANUEL.
Paru dans L’Année des poètes en 1894.