Salomon
À mon Père, à ma Mère
Et dans cet âge avancé son cœur n’était
point parfait devant le Seigneur son Dieu,
comme avait été le cœur de David son père.
(Rois I, III, c. XI, v. 4.)
On raconte qu’un jour, le grand roi Salomon,
Après avoir béni des idoles de cuivre,
Regagnait son palais, muet, heureux de vivre,
Quand il vit se dresser devant lui le Démon.
Satan lui demanda si son âme était prête :
Salomon tressaillit et lui répondit « non ».....
Le Mauvais disparut. Une lueur sans nom
Éclaira le grand roi des pieds à la tête.
La lueur qui brillait comme un soleil vainqueur,
Lui dit : – « Je suis ton Dieu ; qu’as-tu fait de ton âme ?
» Jadis elle luisait comme une noble flamme.....
» Réponds-moi, Salomon, qu’as-tu fait de ton cœur ?
» Il ne faut pas trembler : Je viens demander compte
» De ce zèle pieux qui jadis me ravit ;
» Je viens te demander, au nom du roi David,
» Pourquoi tu vas prier devant ces dieux de honte ?
» Pourquoi, quand je t’ai dit sois mon fils bien-aimé,
» As-tu chassé mon nom de ton âme farouche ?
» Pourquoi tiens-tu toujours, serré contre ta bouche,
» Le veau d’or de Baal par tes mains parfumé ?
» Tu t’es laissé charmer par des sultanes viles,
» Et tu n’adores plus le Dieu qui t’adorait.....
» Je n’aurais jamais cru que Salomon, irait
» Étaler la luxure au milieu de ses villes ! »
Le roi courba le front et dit au Créateur :
– « Tu m’avais envoyé des femmes, ô mon Maître,
» Et j’ai, cédant aux coups de la faiblesse traître,
» Abandonné ton culte et célébré le leur !
» Tu m’avais envoyé, des confins de la terre,
» Une pâle maîtresse, aux yeux profonds et doux...
» J’ai dédaigné ta gloire, et de ses cheveux roux
» J’ai tressé des tapis lascifs, pleins de mystère.
» Portant sur des plateaux de nacre, de vermeil,
» Des fruits et des bijoux, des fleurs et des corbeilles,
» Du velours, du brocart, le nectar des abeilles,
» Elle m’a dit : « Mon maître, adore le soleil ! »
» J’ai péché, Dieu puissant, en proie aux passions basses,
» J’ai méconnu ton nom, ta noble majesté ;
» J’ai souillé ma couronne, et bien loin j’ai jeté
» Mon sceptre souverain, ô Maître des Espaces !
» Je m’incline et je tremble en voyant ton courroux,
» Car je sais que je suis un ingrat, un infâme.....
» Je remets en tes mains généreuses mon âme.....
» Ô mon Dieu, Salomon t’implore à deux genoux !
» Maudis mon corps obscène et que ma pâle cendre
» S’envole au vent du soir... Que mon cœur infernal
» Éclaire l’univers, formidable fanal...
» Que nulle voix ne pleure afin de me défendre ! »
Dieu regarda le roi, puis sourit doucement :
– « J’aime ton repentir, dit-il, je te pardonne. »
Salomon vit alors resplendir sa personne
Et son âme partit vers le bleu firmament.
Georges MARLOW, Évohé !, 1891.