Elvire, ou la folle de la vallée
ÉLÉGIE.
Not angry – no – the feeling had
No touch of anger, but most sad.
It was a sorrow calm as deep
A mourn fulness that could not weep.
Th. MOORE, the Loves of the Angels.
Si vous apercevez de loin, dans la vallée,
Une fille des champs errant échevelée,
Ou rêvant immobile aux pieds des saules verts,
Muette, ou dont la voix à la brise mêlée,
Fait retentir la plainte au sein des bois déserts ;
Oh ! ne l’approchez pas ! voyageur téméraire,
N’allez pas de sa peine épier le mystère ;
Qui veut l’interroger insulte à son malheur :
Laissez, laissez pleurer la vierge solitaire ;
Qui veut la consoler offense sa douleur.
On la plaint dans le monde, et l’on dit qu’elle est folle ;
Mais dans ses jugements le monde est si frivole !
Hier l’écho du soir m’apporta ses accents ;
Mon cœur a recueilli sa naïve parole :
Voyez, si la raison a des sons plus touchants.
« Edmond, Edmond !... pourquoi, douce voix du zéphyre,
« Me répéter ce nom qu’il ne faut plus redire ?
« Car vous le savez bien qu’Edmond ne m’aime plus,
« Qu’il ne vient plus ici, que je suis délaissée...
« Oh ! pourquoi ramener dans mon âme oppressée
« Un amer souvenir, des regrets superflus !...
« Et vous, petits oiseaux, en ces lieux, à cette heure,
« Pourquoi m’importuner de vos joyeux accents ?
« Portez, portez plus loin voit ébats et vos chants,
« Laissez en pain celle qui pleure !
« Ah ! je fus heureuse autrefois ;
« Et je chantais... Combien son âme était charmée !
« Il me disait : Ma bien-aimée,
« Le zéphyr est moins doux que le son de ta voix.
« Et je fus belle aussi... du moins dans le village,
« On le disait autour de moi ;
« Et lui, quand de baisers il couvrait mon visage,
« Quand son cœur près du mien battait d’un tendre émoi,
« Il me disait : Elvire, au destin d’être roi
« Je préfère celui de vivre ton esclave !
« Modeste fleur des champs, la rose est moins suave,
« Et le lis est moins beau que toi !
« Il disait... Et pourtant je suis abandonnée !
« Et pour moi plus de chants, plus d’amour, de bonheur ;
« Comme l’herbe des prés ma beauté s’est fanée...
« Mais j’ai toujours gardé mon cœur !
« Alors qu’on a pleuré bien longtemps sur la terre,
« On dit que dans la mort on cesse de souffrir ;
« Que notre âme revient comme une ombre légère,
« Vers ceux dont l’existence autrefois nous fut chère...
« Oh ! que je voudrais bien mourir !
« Chaque nuit, pour le voir, je quitterais ma tombe ;
« Pour ne point l’effrayer, d’une faible colombe
« J’emprunterais la forme et la blanche couleur ;
« Et je voltigerais au-dessus de sa couche,
« Et je m’approcherais doucement de sa bouche,
« Afin de respirer le souffle de son cœur.
« Non... je serais encore Elvire ;
« À lui je m’offrirais telle qu’en mes beaux jours,
« Et lui dirais tout bas, avec un doux sourire :
« Edmond, te souviens-tu de tes jeunes amours ?
Et la voix s’éteignit au fond de la vallée.
Comme le bruit tremblant de la cloche ébranlée,
Annonçant aux mortels l’angoisse d’un mourant,
Comme un dernier soupir d’une âme qui s’envole,
Comme le son plaintif d’une harpe d’Éole,
Comme un timide adieu qu’on se fait en pleurant.
Le vierge regagna l’humble et triste chaumière
Où sa mère la voit revenir chaque soir ;
Sa mère... qui gémit aujourd’hui d’être mère,
Qu’elle ne connaît plus et qui n’a plus d’espoir !
« Mon Dieu, mettez un terme à sa douleur profonde,
« Cette fille des champs souffre trop ici-bas ;
« Retirez-la bientôt du milieu de ce monde,
« Car son mal est celui dont on ne guérit pas. »
Adolphe MICHEL.
Paru dans les Annales romantiques en 1826.