UN HÉROS IGNORÉ ET MÉCONNU
par
Édouard MICHEL
I.
Oui, ce fut un héros, celui dont nous voulons vous raconter l’histoire, et de plus, un héros ignoré et méconnu.
II.
Il naquit dans un petit village de Normandie, de parents pauvres, mais profondément honnêtes, et qui s’appliquèrent de toutes leurs forces à lui inculquer dès l’enfance ces nobles et mâles vertus qui s’appellent religion, honneur, loyauté, bravoure, toutes choses, hélas ! devenant de jour en jour plus rares, et tendant à disparaître, diraient les pessimistes.
N’exagérons rien, toutefois : il y a toujours-chez le peuple de grandes vertus cachées.
Quand il eut fait sa première communion, le père et la mère décidèrent de l’envoyer au séminaire, encouragés et puissamment aidés surtout par le bon curé, lequel n’avait pas manqué de remarquer les heureuses dispositions de l’enfant. Au sein de cette atmosphère lumineuse et pure, les idées religieuses se développèrent de plus en plus dans son esprit, et il se sentit appeler à la vocation sacerdotale. L’abbé X... , – ainsi le désignerons-nous, désormais, si vous le voulez-bien, – n’oublia jamais plus tard l’humilité de son origine, et chaque fois qu’il parle de ses chers défunts, comme il avait coutume de dire en parlant de son père et de sa mère, ce fut toujours pour bénir et exalter leur mémoire.
Envoyé en qualité de vicaire dans une petite commune située aux confins du département, il y trouva comme curé un vieillard presque octogénaire, prêtre d’une piété austère, mais aussi bon, aussi doux pour les autres qu’il avait toujours été rigoureux pour lui-même. Plus tard, à la mort de ce dernier, les paroissiens désignèrent leur vicaire comme son successeur, et grande fut la joie au village quand on apprit que Monseigneur donnait ainsi satisfaction au désir de tous. L’abbé X... peina près de vingt-cinq ans dans cette petite paroisse qui avait eu autrefois les prémices de son sacerdoce, et pas le moindre nuage ne vint assombrir durant ce long espace de temps la complète harmonie qui régna entre le pasteur et le troupeau. Certes, l’un des plus vifs désirs du prêtre eût été de terminer sa carrière au milieu de ces bonnes ouailles, mais l’obéissance devait lui faire un devoir de renoncer un jour, à cette suprême satisfaction de son cœur. La voix de l’évêque se fit entendre de nouveau, et il fut désigné pour, une paroisse presque voisine de son pays natal. L’abbé X... connut alors toutes les douleurs de la séparation que parvinrent à peine à adoucir les sympathies dont l’entourèrent aussitôt ses nouveaux paroissiens. Mais avec les années la santé du prêtre devint bientôt chancelante, et si l’âme était demeurée toujours vaillante, combien il souffrit quand la maladie le contraignit quelquefois, malgré lui, de compter avec ses forces ! Sa nature énergique et généreuse ne calculait point pourtant, toujours dominé qu’il était par le sentiment du devoir plus fort et plus impérieux chez lui que jamais.
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Certaine nuit du mois de décembre, la sonnette du presbytère vient réveiller tout-à-coup le prêtre, au milieu de son sommeil. C’est un malade à l’agonie qui réclame à son chevet la présence de l’abbé souffrant lui-même. Sans hésitation aucune, ce dernier se lève aussitôt, et cependant Dieu sait s’il a conscience du danger qu’il va courir ainsi : quelques heures auparavant, le docteur ne lui a-t-il encore recommandé les plus grands ménagements. Mais il n’est pas d’accommodements possibles lorsqu’il s’agit d’un grand devoir à remplir, et malgré les rigueurs inouïes de la température, le vieillard s’est mis en route pour accomplir la distance considérable qui le sépare encore de la masure où son arrivée est attendue, cette nuit même. Il y parvint avec peine, tant était grand son état de fatigue et de faiblesse, mais le vaillant prêtre avait pu néanmoins arriver à temps pour prodiguer au malade les secours et les consolations de son sacré ministère. Hélas ! quelques heures après, le pauvre abbé, incapable de regagner lui-même son presbytère, était ramené chez lui où il expirait, la semaine suivante.
III.
« Ici, a écrit Chateaubriand dans la Visite aux Tombeaux ; ici, le serviteur et le maître portent la même livrée ; ici, l’indigent repose d’un sommeil aussi doux que le plus riche propriétaire. Une tombe de gazon pour le pauvre, un sépulcre de pierres orné de vaines figures pour le riche, voilà tout ce qui les distingue. »
Ces pensées du célèbre écrivain se représentèrent à ma mémoire, un jour que je visitais le cimetière où repose le saint prêtre auquel ses paroissiens reconnaissants ont fait élever un modeste tombeau. Et certes, cette simple pierre me remua plus profondément que les monuments les plus pompeux, puisqu’elle recouvrait les restes d’un de ces héros aussi ignorés que méconnus, en effet, obscures mais admirables victimes dont le souvenir impose le respect et la méditation.
Édouard MICHEL.
Paru dans La Sylphide en 1898.