Cumnor-Hall

 

BALLADE ANGLAISE.

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

William Julius MICKLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UNE nuit d’été répandait sa fraîcheur sur les bruyères, la lune argentait les murs de Cumnor-Hall et les chênes touffus qui s’élevaient dans leur enceinte.

La nature était calme, l’activité du jour et le bruit des travaux avaient fait place au repos et au sommeil : troublant seuls le silence universel, les soupirs d’une infortunée s’échappaient de ces tours isolées.

« Leicester, s’écriait-elle, est-ce là cet amour que tu m’as juré tant de fois ? m’abandonner honteusement dans cet édifice solitaire, me rendre captive au milieu de ces murs !...

« Tu n’accours plus avec l’empressement d’un amant auprès de ton épouse, de celle que tu jurais d’adorer toujours : Hélas ! que t’importe aujourd’hui sa destinée !

« On ne m’avait pas accoutumée à tant d’indifférence, lorsque je goûtais le bonheur dans la maison paternelle : que dis-je ! un parjure époux ne m’opprimait pas ; mon sein ne se glaçait pas par le frisson de la crainte.

« Je me levais avec la riante aurore, non moins enjouée que l’alouette, non moins brillante que la fleur, et, semblable à l’oiseau qui salue le matin, je chantais joyeusement comme lui.

« Si ma beauté, faible sans doute, devait essuyer des mépris à la cour, pourquoi, dédaigneux comte, l’avoir arrachée au séjour où l’on savait l’estimer ?

« Mais j’étais belle quand vous m’adressiez vos vœux, vous le disiez alors ! et fier de votre conquête vous avez enlevé le fruit et laissé dépérir la fleur.

« Maintenant, négligés et méprisés, la rose est pâle et le lis est fané ! Celui qui jadis prisa tant leurs attraits, a causé la perte de leurs couleurs et de leurs charmes.

« Lorsqu’elle devient la proie du chagrin dévorant, et que le mépris a payé sa tendresse, on voit la beauté dépérir... Quelle fleur peut endurer la tempête ?

« La beauté, m’a-t-on dit, a son trône à la cour où chaque lady vient étaler les attraits les plus rares ; les fleurs de l’Orient qui font pâlir le soleil ne sont ni plus brillantes ni plus belles.

« Alors, comte, qui t’a fait quitter les couches où les roses, où les lis rivalisent, pour chercher une primevère dont les pâles nuances devaient s’effacer devant tant d’éclat ?

« On me distinguait parmi les beautés rustiques : aux champs, les fleurs sauvages sont belles. Quelqu’amant de village m’aurait obtenu, et mes attraits auraient paru divins à ses yeux enchantés.

« Mais ce n’est pas la beauté qui attire tes vœux, Leicester, c’est plutôt l’ambition d’une couronne qui te fait oublier ton humble épouse.

« Hélas ! pourquoi rechercher la fille d’un hameau ? pourquoi louer ses humbles charmes pour les laisser ensuite se flétrir ? pourquoi m’avoir attirée dans tes bras caressants et m’avoir ensuite abandonnée aux pleurs que je répands tout le temps du jour ?

« Les filles des champs me saluent lorsqu’elles passent dans la plaine ; elles remarquent avec envie mes vêtements de soie et ne peuvent imaginer qu’une comtesse connaisse le malheur.

« Ô simples filles ! elles ne savent pas que leur condition est la meilleure, qu’elles sourient tandis que je soupire, qu’elles ont la joie... et moi la grandeur.

« Que j’envie leur sort ! sans cesse je languis, le chagrin consume mes jours, je suis comme une pauvre plante séparée de sa tige, en butte à la froidure.

« Et ne croyez pas, cruel Comte, que je puisse jouir des charmes de la solitude : vos insolents mignons troublent ma paix par leurs regards sinistres et la dureté de leurs paroles.

« La nuit dernière comme je me promenais, livrée à ma douleur, la cloche funèbre du village frappa mon oreille ; ils se firent des signes et semblèrent dire : Comtesse, prépare-toi... ta fin est prochaine !

« Et maintenant tandis que l’heureux paysan sommeille, je m’arrête ici, seule et désespérée ; et rien ne me console que Philomèle qui s’unit à mes pleurs sous l’épine fleurie.

« Mes esprits s’affaiblissent, mes espérances s’éteignent : cette affreuse cloche de mort ébranle encore mon oreille ; et plus d’un présage semble me dire : Comtesse, prépare-toi... ta fin est prochaine ! »

Ainsi gémissait dans Cumnor-Hall, si solitaire et si effrayant, cette infortunée, languissante et chargée d’ennuis ; de profonds soupirs soulevaient son sein, et des larmes amères coulaient sur son visage.

Et le premier rayon de l’aurore n’avait pas encore apparu, lorsque de ces murs noircis s’élevèrent des cris funèbres et des clameurs déchirantes.

Trois fois on entendit sonner le glas du trépas, on entendit une voix gémir dans les airs, et trois fois le corbeau secoua ses ailes au-dessus des tours de Cumnor-Hall.

Le dogue hurla à la porte du village ; les chênes semèrent leurs feuilles sur le gazon : funeste fut l’heure où l’infortunée comtesse disparut pour jamais.

Et maintenant dans ce manoir, plus de festin joyeux, plus de bal animé ! Pour toujours, depuis cette heure terrible, les esprits ont hanté Cumnor-Hall.

Les filles du village, avec des regards effrayés, évitent l’antique muraille que la mousse dévore : elles ne conduisent plus la danse champêtre sous les bosquets de Cumnor-Hall.

Le voyageur pensif a souvent soupiré et donné des pleurs au sort de la comtesse, lorsque ses pas le conduisaient vers les tours abandonnées de Cumnor-Hall.

 

 

 

William Julius MICKLE.

 

Traduit de l’anglais par M. Loève-Weimars.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 

 

 

 

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