Noël espagnol

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Louis et Augustin MILJARES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

LES petits rideaux blancs ont remué, les draps s’agitent, la couverture rouge a glissé, lentement d’abord, puis rapidement jusqu’à terre, et, à la lueur de la lampe, entre les blancheurs, apparaît le brun visage de la fillette, où les beaux yeux agrandis par la curiosité mettaient deux trous d’ombre.

Il se passe quelque chose dans la maison. Sans nul doute se réalise le mystère attendu de ce Noël dont elle avait seulement l’idée confuse, d’un Enfant Jésus entouré de très fines toiles blanches, environné de lumières, adoré par une multitude de gens agenouillés autour d’un berceau de papier doré.

Elle s’éveillait au bon moment. La nuit durait encore, et, cependant, elle entendait une rumeur confuse de pieds glissant avec précaution, de voix étouffées et un peu étranges, arrivant à ses oreilles comme des lamentations contenues, mais qui devaient être autre chose. Qui pourrait pleurer lorsque naît l’Enfant Dieu ?

C’était un tableau ravissant que celui de cette petite figure brune, plus brune encore dans les rideaux si blancs, regardant avec ses grands yeux dilatés, de cette petite tête penchée, l’oreille tendue et les lèvres entr’ouvertes par un sourire enchanteur et malicieux de femme curieuse, d’Ève mordant à pleine bouche au fruit défendu.

 

*

 

Le mystère allait, sans doute, se réaliser devant elle.

Là-bas, en face de son lit, elle découvrait le petit rocher de carton auquel sa mère avait travaillé si longtemps, mettant des taches de brun rouge sur la terre de sienne jaunâtre et le noir de fumée, ce qui avait produit une bigarrure sans couleur définie, véritable volcan en plein Bethléem, avec des prairies invraisemblables dans leur abondance de blé vert, des cascades brillantes et immobiles de fer-blanc, des moulins dont les ailes immenses gesticulaient sur la montagne, le tout vu, à la lumière indécise de la petite lampe, par des yeux encore sous l’empire du grossissement fantastique des songes.

Tout là-haut, très loin, venant de l’Orient (qui devait être quelque chose de plus éloigné que la côte d’Afrique), elle voyait confusément les trois Mages, ces trois personnages qui lui causaient tant d’admiration, ces trois rois qui venaient adorer un pauvre enfant et le courtiser en lui offrant des joujoux, perchés sur des monstres qui tenaient du cheval, du chameau, du serpent et même du boudin.

Eu bas, au centre, la grotte obscure, encore vide, où, cette nuit, avait dit le père, viendraient la Sainte Vierge et saint Joseph, menant par une corde la vache et la mule, où, parmi la douce sonnerie des cloches, – et ici commençait l’inexplicable, – naîtrait l’enfant, avec un bruit assourdissant de tambours, de tambourins, de castagnettes, de chants d’oiseaux, de cris des bergers, de carillons, dans des torrents de lumière.

Il n’était pas encore minuit, car la grotte demeurait toujours vide et obscure ; sa ténébreuse profondeur inspirait presque l’épouvante.

Quel dommage que son petit frère Augustin, qui se traînait à peine à quatre pattes, fût malade ! Il ne pourrait pas jouir du sublime spectacle ; il lui faudrait attendre l’année prochaine.

Pauvre petit ! où était-il ?

On l’avait séparé d’elle parce que la maladie se gagnait..., quelque chose dans la gorge..., une vilaine chose qu’on appelait le croup... Allait-il mieux ?

Et, dans les corridors, continuait le même murmure de voix étouffées, de pieds glissant doucement, quelque chose d’extraordinaire, d’incompréhensible à cette heure qui, sans doute, préparait l’instant mystérieux du Noël.

Il fallait savoir !

 

II

 

Elle sortit une petite jambe, puis l’autre, glissa doucement et posa ses petits pieds sur le sol. Et, enveloppée dans la blanche et longue chemise, souriante, les yeux grands ouverts, elle passa dans la chambre à coucher de ses parents.

Là aussi, elle trouvait de grandes ombres, accrues par les hautes tentures du lit et les rideaux lourds et sombres des fenêtres ; mais, à travers les vitres de la porte qui donnait sur le salon, entrait une large nappe de lumière tremblante qui se reflétait dans la glace.

Là était le Noël..., par là venait le mystère !

Et, se haussant sur la pointe de ses petons, elle demeura en extase dans l’admiration du spectacle qu’elle entrevoyait, les yeux dilatés, la bouche ouverte, le petit nez aplati contre la vitre. Au centre du salon, elle apercevait un blanc trône de dentelles, et, sur le trône, quelque chose comme un berceau, mais un berceau comme elle n’en avait jamais vu, blanc aussi, très blanc, orné de brillants galons d’or et d’argent, entouré de fleurs blanches, très blanches aussi, et puis des lumières, beaucoup de lumières, l’inondation d’une aurore immense, comme si le ciel se fût ouvert, écartant les nuages et dévoilant les étoiles, et, tout autour, à genoux comme les bergers, beaucoup de personnes, et d’autres en groupes, près du balcon.

Chose étrange : elle les reconnaissait..., ses grands-parents, ses oncles, ses tantes..., et là, assise et les yeux fixés sur le berceau, sa mère..., et, près du trône, courbé comme en signe de respect ou d’adoration..., son père.

Chose plus étrange encore : un enfant était couché dans le berceau... À peine en voyait-on la tête et les bras croisés sur la poitrine ; mais cette tête pâle, reposée, révélant une tranquillité, un calme qu’elle ne connaissait pas, était celle de son frère, du petit Augustin qu’elle croyait malade, luttant avec la malpropreté des sirops et des cataplasmes.

Était-ce cela, le Noël ?

Involontairement, sans conscience de ce qu’elle faisait, elle poussa la porte, et, avec ses petits pieds nus, sa chemise blanche, ses yeux malins, sa bouche rieuse, elle se trouva au milieu du salon, criant, dans le silence plein de tristesse :

– J’ai vu le Noël ! Qu’il est joli !

Et, tandis que le père courait à elle, la prenait dans ses bras et l’emportait jusqu’à sa chambre, que la mère, en le suivant, se jetait dans le rocher de carton, renversait les Mages et les immobiles cascades de fer-blanc, que tout le monde, dans le salon, commentait l’évènement, que le petit Augustin restait indifférent, plongé dans la paix de l’éternel sommeil, la grand’mère, avec sa foi inébranlable, murmurait :

– Le Noël !... la Nativité !... la naissance..., qui sait ?

 

 

 

Louis et Augustin MILJARES.

 

Traduit par Camille Saint-Saëns.

 

Paru dans Les Annales politiques et littéraires en 1908.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net