L’âne de saint Joseph
Air : Dempiei lou jour que m’embingnère.
I
Dès qu’il a su la loi injuste
Que les enfants de lait
Seront tous égorgés,
Le vieux menuisier lance au loin
Sa planche et son rabot...
Bâte vite son âne, y fait monter Marie
Avec le tout petit qui à son sein sommeille,
Et lui dit : Vierge, il faut partir !
Un ange vient de m’avertir
Que de l’endroit il faut sortir...
De plus rester, voyez, ça ne vaut pas un sou !
Long du chemin je vous dirai pourquoi...
Et l’ange crie à l’âne :
« Arri ! arri ! Blanquet ! »
II
Mais le Démon plein de malice
Vite les vient tenter
Pour les faire arrêter ;
Et l’enfançon qui le tracasse
Aura le temps d’être saisi...
Et vite ! il sangle l’âne : au flanc de la colline,
Il creuse un précipice avec ses pieds fourchus.
Et Marie de crier : Mon Dieu !
Voici l’abîme devant moi !
Joseph, tiens l’âne et prends mon fils ;
Sous le poids j’ai peur que l’âne s’effondre.
Il semble déjà faire cloche-pied.
Mais l’ange crie à l’âne
« Arri, arri, Blanquet ! »
III
Là-bas, si loin que l’œil peut voir,
Ne se voit que du sable
Que le brûlant soleil
Fait rayonner comme du verre ;
Marie pleure, Joseph est las !
Le Diable alors fait croître une île verte
Où un ruisseau gazouille au milieu des violettes.
Le frais souffle du mois de Mai
Donne à Marie un air plus gai.
Et le bon vieillard lui dit :
« Faisons pausette ! Ici, ne vous déplaise !
Long du ruisseau je ferais une sieste...
Mais l’ange crie à l’âne
« Arri ! arri ! Blanquet ! »
IV
Pas une étoile ; quelle nuit sombre !
Le monde est endormi,
L’effraie gémit.
Et de l’enfer, noire caverne,
Tous les monstres sont vomis,
Soudain sur le chemin un grand feu monte aux nues :
Couleuvres et gros serpents à y sauter se précipitent
Au pauvre vieux tout tremblant,
Marie dit, le cœur en peine :
« Ah ! retournons à Bethléem !
Joseph, de peur que mon fils s’embrase,
Il faut tourner l’âne et risquer le tout »
Mais l’ange crie à l’âne
« Arri ! arri ! Blanquet ! »
V
Dans la mer, que d’eau se jette !
La plaine verdoie... ici
Tout a un air réjoui,
Et qu’il est bleu, le ciel d’Égypte !
En terre sauve les voici.
À la sainte Famille heureuse et souriante,
Dieu de son Paradis envoie une hirondelle.
Et Jésus regarde l’oiseau
Portant la vie à sa nichée
Et puis revolant dans les airs.
– Oh ! reste, oiseau, et que ton aile rase
Le sol ; pour Jésus ce sera un jouet...
Et l’ange arrête l’âne :
Ils descendent de Blanquet.
Frédéric MISTRAL.
Traduit par Jean Soulairol.
Recueilli dans La grande et belle bible des Noëls anciens,
par Henry Poulaille, Albin Michel, 1951.