Noël vécu
par
Gaétane de MONTREUIL
Elle avait bien quinze jours, la pauvre, quand elle étrenna sa première robe.
La faute en était à sa petite maman, à qui on avait dit : « Mademoiselle, votre poupée aura une robe lorsque vous serez sage. »
Pourtant, je l’aimais bien, avec ses grands yeux bleus qui semblaient me sourire et sa chevelure de filasse blonde que je lui enviais.
Son pauvre corps vêtu de l’unique chemise éveillait dans ma jeune âme une réelle pitié. Et chaque matin, pour elle, je prenais la résolution de n’être plus ni colère ni bavarde. Mais chaque soir aussi, quand l’œil maternel scrutait ma jeune et limpide conscience, il y découvrait que j’avais battu mon petit cousin, jeté ma balle à la tête de la cousinette, dit au fils du voisin que ses habits étaient vieux et laids, que « ma maman » avait de plus beaux chapeaux que la sienne ou que mon grand frère avait assuré que toutes les demoiselles du canton étaient des sottes... Et je m’endormais le cœur gros de remords et tout près d’éclater sous l’amertume des reproches que je croyais lire au fond des prunelles de porcelaine de Princesse, étendue raide et froide, dans son berceau de dentelle, à côté de ma couche.
Ce matin, ma bonne tante – la sainte créature qui partagea avec ma mère la tâche de mon éducation – me dit, pendant qu’elle réduisait, à grands coups de peigne, la broussaille de mes cheveux : « Écoute-moi, petit lutin ; ce sera Noël demain, et ta pauvre poupée est encore en chemise. N’en es-tu pas honteuse ?... »
Hélas ! oui, je l’étais ; tout le sang de mes veines en portait le témoignage à mon front de six ans.
– Sache, poursuivit la chère femme, que le petit Jésus descend sur terre, cette nuit, apportant du ciel les trésors les plus magnifiques pour les bons enfants. Sois gentille et pas méchante tout ce jour, et je t’assure qu’il ne manquera pas de venir déposer sur le pied de ton lit, tandis que tu dormiras, une riche toilette pour « Princesse ». Si tu veux essayer, tu verras que c’est facile, et... tiens, commence tout de suite, en ne t’agitant pas ainsi pendant que je fais tes nattes.
– Oui, tante, je veux, répondis-je en réprimant une grimace et en arrêtant dans ma gorge un cri de douleur qu’allait m’arracher un maladroit coup de démêloir.
Ce jour-là, le petit cousin ne fut pas battu. Une heure plus tard, lorsqu’il ouvrit les hostilités, en lançant un glaçon à mon chien, j’eus le courage de me contenter et de lui dire :
« Tu ne perdras rien pour attendre ; aujourd’hui je peux pas parce que le petit Jésus va apporter de belles robes à ma poupée ; mais demain, tu me le payeras cher, tu peux y compter. »
La cousinette reçut également, pendant ces vingt-quatre heures, une bonne demi-douzaine de billets promissoires, et le camarade d’à côté ne put obtenir de moi que des confidences tronquées, enveloppées de tout le mystère d’une discrétion de circonstance.
Mais, « Princesse » eut sa robe. Et, le matin de Noël, quand je la trouvai parée de ses atours, je ne sais plus vraiment lequel l’emporta dans mon âme, du plaisir de la voir si belle ou de l’orgueil précoce d’avoir remporté sur moi-même ces premières victoires ?... Car, au réveil, le baiser maternel fut peut-être plus doux, et « tante » souligna son compliment d’une caresse ineffable.
Gaétane de MONTREUIL, Noël vécu, recueil de contes et nouvelles, 1926.