La philosophie
À M. l’abbé Wendling.
Un jour qu’il était en prière,
Les yeux fixés sur le ciel bleu,
Le premier homme, dans la pierre,
Sculpta l’image de son Dieu.
Toute de grâce et d’harmonie,
En son contour correct et fin,
Elle révélait le génie
Qui n’est qu’un souvenir divin.
Et la foi, – flamme presque éteinte, –
Semblait renaître sur l’autel,
Lorsqu’aux pieds de l’image sainte
Jaillit, soudain, le sang d’Abel.
Alors la race impie et folle,
Oubliant l’esprit créateur,
Fit de la statue une idole
Pour l’instinct vil et corrupteur.
Mais Dieu, d’une aussi basse injure,
Sentant, un jour, son cœur très las,
Foudroya la statue impure,
Couvrant le sol de ses éclats.
Or, bientôt, une nuit si sombre
Se répandit sur les esprits,
Que des hommes, cherchant dans l’ombre,
Ramassèrent tous ces débris.
Chacun d’eux, se creusant la tête
Pour remettre l’œuvre debout,
Avec sa parcelle incomplète
Bâtit une idole à son goût.
Et l’on vit, sous toutes les formes,
Moulés par d’innombrables mains,
Comme un chaos de dieux difformes
Offerts au culte des humains.
Chaque penseur, suivant son thème,
Fit parler sa divinité,
Échafaudant tout un système
Sur un morceau de vérité.
Certe, il en fut dont le front pâle
Sentit de lumineux frissons
Et dont la voix, stoïque et mâle,
Enseigna de nobles leçons.
Mais aucun n’eut cette harmonie
Si bienfaisante en sa vigueur.
– Socrate, avec son Ironie,
Ne satisfait pas notre cœur.
À l’âme faible, aimante et bonne
Il faut un Dieu qui, tour à tour,
Console, soutienne, pardonne,
Un Dieu d’espérance et d’amour.
Et ce principe de la vie,
Force invincible en nos combats,
Ce n’est pas la philosophie
Qui l’eût fait revivre ici-bas.
L’œuvre par ta force abattue,
Toi-même, ô Dieu, tu la refis,
Et dans la nouvelle statue
Tu soufflas l’âme de ton Fils !
Et quand il entendit : « Espère,
Tu seras sauvé si tu crois » ;
L’homme répéta : « Notre Père »,
En faisant un signe de croix.
Emmanuel de MONTCORIN.
Paru dans L’Année des poètes en 1892.