La kelpie
(Légende écossaise)
Ils étaient cinq, cinq tout jeunes garçons
Qui revenaient un soir de leur école
Chantant, criant, jouant dans les rigoles
Ou bien jetant dans les maigres buissons
Des galets ronds.
Sans se hâter, ils rentraient au village
Ayant le temps, pauvres fils de pêcheurs
De regagner les foyers sans bonheur
Près de la mer étalés sur la plage
Depuis des âges.
À l’horizon le soleil rutilant
Dans les flots verts va terminer sa route
Et du sol nu, s’élève vers la voûte
Du ciel tout gris, le brouillard qui s’étend
Rapidement.
La mer au loin, en vives étincelles,
Jaillit et meurt sur les rochers gisants,
Rageant, hurlant, martelant les brisants,
Cris que la brise emporte avec elle
Plainte éternelle.
C’est l’heure sourde où la brume à pas lents
Envahit tout et prête à la magie
Ses voiles lourds, où l’homme se confie
À tous ses saints et voit des faits troublants
Tout en tremblant.
Il ne faut pas sortir sans sa lanterne,
Ni partir seul au long des grands chemins
Sans bien tenir son missel à la main,
De peur qu’un soir, les Sylves ne vous cernent
Et ne vous bernent.
C’est l’heure noire où sans bruit les Lutins,
Le vieil Anouk, son char et les Kelpies
Des grands lacs noirs, les Gnomes, les Génies,
Viennent chercher sur terre leur butin
Pour leurs festins.
Et c’est l’heure où sur les lames mouvantes
Chantent au loin les Filles de la Mer,
Vous attirant au sein des flots amers
Pour vous jeter dans les algues verdissantes
Et pourrissantes.
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Ils étaient cinq, cinq tout jeunes garçons
Qui revenaient un soir de leur école
Chantant, criant, jouant dans les rigoles
Ou bien jetant dans les maigres buissons
Des galets ronds.
Bientôt la peur de l’ombre grandissante
Leur fit presser le pas vers les maisons.
Et, c’est alors, que soudain, sans raison,
Vers eux s’en vint la jument hennissante,
Toute fringante.
Elle avait l’air si doux cette jument,
Que tous, sans plus, ils montèrent en croupe
Et bien joyeux ils pensaient à la soupe
Qu’ils mangeraient près de l’âtre fumant
Tranquillement.
De ses naseaux, soudain, sortent des braises,
Crachant du feu, dans un galop d’enfer,
Frappant le sol de ses sabots sans fer,
Crinière au vent, elle court sur la glaise
Vers la falaise.
Elle franchit les prés et les coteaux
Et près du lac dérobé par la brume
D’un seul élan se jette dans l’écume.
On retrouva seulement un chapeau
Au bord de l’eau.
Car les démons le soir hantent la terre ;
Des voyageurs ne sont jamais revenus...
Et les récits des malheureux perdus
Sont dits autour de la lampe, en mystère
Par les grand’mères.
Frédéric MULHENHEIM,
de l’Union canadienne des écrivains.
Paru dans Mosaïque, Éditions Nocturne, 1963.