Le miracle des roses

 

 

                                              (Récit de Gascogne)

 

 

(Le dict de Sainte Germaine de Pibrac, auprès Toulouse.)

Pour Germaine ma femme au cœur si tendre. Son mari.

 

 

Enfants, ce soir, je vais vous dire

Un mystère de l’Ancien Temps.

Pour vous, je viens de le relire

Dans un livre d’au moins cent ans.

 

Hélas ! depuis combien d’années

Emportant tant de beaux récits,

Tour à tour se sont succédé

Dans l’ombre sourde de l’oubli ?

 

S’échappant de cette nuit noire

Quelquefois du passé sans fond

Il revient une belle histoire

À d’autres ajouter son fleuron.

 

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Parmi les landes toulousaines,

À Pibrac, un petit hameau,

Chaque jour on voyait Germaine

Aux champs conduire son troupeau.

 

Menant les grasses brebis rousses,

Au gré de ses jours sans bonheur,

Pauvrette, elle allait, humble et douce

Parmi les fleurs des champs, ses sœurs.

 

Mais elle avait pour elle un monde ;

Elle parlait au ruisseau clair,

Au vent, à la forêt profonde,

Aux oiseaux, aux fleurs, à l’éclair.

 

Qui l’aimait ?... Sans doute personne,

La misère n’a pas d’atour...

Mais sa petite âme aimait, bonne,

Même ceux qui grondent toujours.

 

Aimez ! dit Jésus dans Sa gloire.

Dans l’église au jour coloré,

En parlant de la Sainte Histoire,

Aimez ! redit le vieux curé...

 

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Or un jour d’hiver où la neige

Avait sur les prés endormis

Répandu son blanc sortilège,

Un mendiant de froid pâli

 

Humblement demandait l’aumône.

Mais la maîtresse au cœur si dur

Oubliant ce que l’on dit au prône

L’avait chassé hors ses murs.

 

Faire le bien sans qu’on le voie,

Mettre un reflet d’amour sur ceux

Qui le long des chemins sans joie

S’en vont tout seuls et malheureux,

 

Germaine en cachette ramasse

Quelques secs croûtons de vieux pain,

Pour l’homme qui va tête basse

Avec son malheur et sa faim.

 

Vite, elle court, franchit la porte...

L’avare mégère a tout vu !

Voir ainsi son bien qu’on emporte

Pour le donner à des inconnus

 

L’enrage, et, de sa voix hargneuse

Crie en levant son lourd bâton :

« Ouvre ton tablier, voleuse !

Allez ! Rends-moi mes rogatons ! »

 

Germaine reste-là, morose,

Courbe le dos, attends les coups,

Quand soudain voici que des roses

Tombent du tablier noir, partout.

 

Comme un air d’été, parfumées

Des roses de toutes couleurs

Couvrent la neige immaculée

Et la pauvre enfant tout en pleurs,

 

Voit au ciel sur elle penchée

La Sainte Vierge ouvrant ses bras,

Sur cette odorante jonchée

Donner au pauvre son repas.

 

 

 

Frédéric MULHENHEIM,

de l’Union canadienne des écrivains.

 

Paru dans Mosaïque, Éditions Nocturne, 1963.

 

 

 

 

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