Au bord de la tombe
I
Pour assister son fils et lui clore les yeux,
Vers le lit d’un mourant une ombre était penchée ;
C’était d’un corps de femme une âme détachée
Portant déjà l’empreinte et le cachet des cieux.
La mansarde était sombre et le brouillard humide
Pénétrait dans ce lieu, triste, pauvre et fétide
Où gisait étendu, froid déjà, l’œil vitreux,
Un homme jeune encor au teint cadavéreux.
– Est-ce bien toi ? mon fils, disait la tendre mère,
Toi, l’orgueil de mes yeux, plongé dans la misère
Seul.... seul avec l’angoisse et l’horreur du remords
Quand ta pauvre âme échappe aux vils liens du corps... ?
Vois, pour te consoler, du ciel je suis venue.
Ne m’as-tu pas, mon fils, tout d’abord reconnue ?
Quelle autre à ton chevet, ingrat, viendrait pleurer ?
Ne crains rien, près de toi, va, je puis demeurer.
Les mères dans le ciel sans leurs enfants languissent ;
Et seuls de nos péchés tous vos maux nous punissent.
Oh ! mon enfant chéri ! pour toi j’ai prié Dieu,
Un meilleur sort t’attend au-delà de ce lieu.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il me semble au berceau, mon fils, te voir encore
Dormant de ce sommeil que le méchant ignore.
Sur ton front calme et pur je cherchais ton destin,
Hélas ! qu’il semblait beau quand la vie au matin
Comme l’aube éclairait ton doux visage d’ange !
Oh ! qui m’eût dit alors que jusque dans la fange
Par les degrés du mal tu descendrais un jour...... !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quand je t’enveloppais d’un doux regard d’amour,
Quand je rêvais pour toi tous les biens de ce monde,
Esprit, talent, succès, vertus, gloire féconde,
Je m’enivrais d’espoir et sans regret mon cœur
T’eût fait heureux, cher fils, au prix de mon bonheur.
Parfois, en te berçant je voyais sur ta tête
Le panache guerrier, et déjà j’étais prête
À donner à la foule accourant sur tes pas
Le triomphant récit de tes vaillants combats.
Où, te créant poète, hélas ! dans mon délire
Je croyais voir pleurer aux accents de ta lyre
Tous les peuples émus qui couronnaient tes vers....
Du voile de l’orgueil mes yeux étaient couverts.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
À ton mérite seul tu devais la fortune,
Les cordons et les croix. Sans crainte à la tribune
Je t’entendais tonner contre tous les abus.
À ta voix l’oppresseur et le méchant, confus,
Sur leurs coupables fronts sentaient peser le blâme.
Orateur, tes discours émanant de ton âme
Dans l’âme de chacun éveillaient mille échos,
Et la salle semblait crouler sous les bravos !
II
Sur des livres poudreux (du couchant à l’aurore),
Pâli par le travail je te voyais encore
Pencher ton jeune front de science altéré,
Galvaniser les morts et demander aux ombres
L’énigme du sépulcre et ses mystères sombres,
Pour léguer aux vivants quelque œuvre d’inspiré.
Quelquefois dans l’éther ma pensée orgueilleuse
Te faisait découvrir la route merveilleuse
De quelque astre inconnu. Tu mesurais le temps.
À ton savant compas n’échappait aucun monde ;
Et, folle, je baisais ta jeune tête blonde
En hâtant de mes vœux tes succès éclatants.
Te supposant en proie aux tourments du génie,
Je versais sous tes doigts des torrents d’harmonie
Et le clavier docile empruntait à la voix
Les cris du désespoir, l’accent de la souffrance,
Les murmures du vent, l’hymne de l’espérance,
Et devant toi s’ouvraient les fiers palais des rois.
Ou, la palette en main, t’inspirant de l’histoire,
Tu dotais ton pays de souvenirs de gloire
Et jusque dans la poudre éveillais nos héros.
Le peuple t’encensait et criait au prodige.
Et moi, le cerveau pris d’un maternel vertige,
Pour te glorifier ne trouvais plus de mots.
III
Et quand gloire, succès, honneurs, bravos, richesse,
À ton ambition n’apportaient plus d’ivresse,
Des luttes, t’éloignant je cherchais un abri
Loin, bien loin des jaloux dans quelque lieu fleuri.
Là, pour toi je rêvais le bonheur domestique,
Une femme au cœur pur, à l’âme sympathique,
De beaux enfants joyeux montant sur tes genoux
Pour te couvrir le front des baisers les plus doux.
Tous ces rêves, hélas ! qui charmaient ma pensée
N’étaient qu’illusion.... ! Mon âme transpercée,
Loin du calme bonheur où je t’avais conduit,
Devait te retrouver dans ce hideux réduit !
Dis-moi par quel chemin, pauvre chère victime,
L’ange du mal a pu t’entraîner dans l’abîme ?
Trop tôt pour ton malheur Dieu vers lui m’appela...
IV
Lorsque pour me guider vous ne fûtes plus là,
Ma mère, je sentis au cœur un vide immense.
J’accusai le destin.... Dieu ! Bientôt ma démence
Enfanta le blasphème et je ne crus plus rien.
Perdant le souvenir du vrai, du beau, du bien,
Sur l’Océan houleux des passions humaines
Je lançai mon esquif. En mes brûlantes veines
Circulait moins du sang que du métal fondu.
Dans l’Éden du plaisir, vers le fruit défendu,
Je m’avançai sans peur et sa coupable amorce
Me le fit dévorer, mère, jusqu’à l’écorce.
Oh ! que n’étiez-vous là pour me dire : « Mon fils,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Ne livre point à Dieu d’audacieux défis,
« Le mal conduit au mal, écoute ton bon ange
« Qui se voile les yeux à l’aspect de la fange... !
« Arrête ! vois le gouffre où t’entraînent tes pas,
« Le déshonneur t’attend si tu descends plus bas ! »
Mais rien, rien... pas un mot : si pourtant, une femme
– Dont j’avais éprouvé le dévoûment et l’âme,
Pauvre ange qui m’aimait, – sur mon fatal chemin
Essaya de placer un flambeau. De sa main
Elle écarta les fleurs qui me cachaient la boue.
Comme un être engourdi que trop tard on secoue
Sa voix me réveilla, je fis même un effort
Pour revenir au bien, mais le vice plus fort,
Plus habile surtout me vainquit dans la lutte.
Honte ! malheur à moi ! Nelly voyant ma chute
S’éloigna pour cacher ses poignantes douleurs.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pourquoi n’ai-je pas vu, mon Dieu, couler ses pleurs !
V
Sous les traits séduisants d’une folle sirène,
L’ardente volupté m’entraîna dans l’arène
Où le lâche vaincu de fleurs est couronné.
Ma Nelly pour le ciel m’avait abandonné,
Tout me poussait au mal. De folie en folie
J’ai bu des passions la liqueur et la lie.
Devant les tapis verts j’ai tenté le hasard,
Et lorsque j’eus joué, perdu mon dernier liard,
J’ai vendu mes habits et je meurs sur la paille.
Vainement une voix du ciel m’a dit : « Travaille ! »
J’ai préféré sortir de ma triste prison
En vidant d’un seul trait la coupe du poison.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Au-delà du cercueil que trouve-t-on, ma mère ?
– Si des âpres plaisirs tu maudis la chimère,
Si tu sens le remords de tes fautes, crois-moi,
Courbe ton front souillé, mon enfant, jette-toi
Dans les bras de ton Dieu, son amour est immense.
Implore au nom du Christ la céleste clémence,
Tu seras pardonné.
– Non ! j’ai trop attendu,
Le néant me réclame et je me sens perdu.
– Toi ! perdu ! toi mon fils ? Non ! non ! pour te défendre
Ta mère à Satan même oserait bien se prendre..... !
J’ai tant et tant prié qu’au monde des esprits
Retentiraient bientôt mes sanglots et mes cris.
Sois sans peur, mon enfant, car pour sauver ton âme
Le grand Crucifié vint accomplir son drame.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
– Mère, sous un brouillard mes yeux vont se fermer.
– Viens ! dans le ciel, mon fils, viens vivre pour aimer.
Jeanne MUSSARD.
Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.